Sorti il y a quelques jours à peine, on se penche sur un ouvrage consacré à Étienne Daho.
Publié chez Camion Blanc, maison d'édition spécialisée dans la musique (dont nous avons déjà parlé à l'occasion de notre dossier consacré aux textes et à l'univers graphique d'Iron Maiden), Étienne Daho - Paroles de Fans donne, comme le nom de la collection le laisse supposer, la parole aux inconditionnels de l'auteur-compositeur-interprète.
L'auteur, Nathalie Pillet, en plus de 570 pages, fait le tour de l'univers Daho, qu'il s'agisse de son enfance, son physique, ses sources d'inspiration, son caractère, son parcours ou ses textes.
Le concept peut sembler particulier mais il a l'avantage de donner la parole à ceux qui connaissent le mieux l'artiste tout en permettant une approche polyphonique. Réunissant musiciens, journalistes spécialisés ou "simples" fans, l'exercice, même s'il n'évite pas certaines répétitions, s'avère d'une étonnante richesse. Au détour des témoignages, dont certains flirtent avec la poésie ("Une voix comme une pluie chaude en été, une couverture pour s’envelopper en hiver." ; "Sa voix est chaude, bien sûr, mais d’une pureté veinée de malice. Une longue épée qui menace tout en caressant.") et témoignent d'un amour touchant pour le "Pope of Pop", l'on en apprend un peu plus sur la signification de certaines chansons, sur les influences de l'artiste, ce qui a conditionné l'atmosphère de ses différents albums ou même la profonde humilité de l'homme simple qu'il est resté malgré un succès populaire certain et une reconnaissance unanime de la profession.
Certains pourront à juste titre s'étonner que l'on puisse passer (l'éditeur ou moi-même) du hard rock lyrique de Maiden à la "pop électro-nocturno-anglo-romantico-martienne" de Daho. Et pourtant, il y a bien quelques points communs entre les deux.
La même puissance mélodique tout d'abord. Cette capacité à ancrer les notes durablement dans l'esprit. Comment ne pas se laisser emporter par Retour à Toi, Le Premier Jour, Et si je m'en vais avant toi, Duel au Soleil, Mes Copains, Comme un Igloo, Des Heures Hindoues, Les Flocons de l'Été ou, entre autres, Le Grand Sommeil ?
La qualité des textes également. Universels dans les deux cas, permettant de multiples interprétations [1] et une appropriation vorace.
Considéré un temps par certains comme un simple effet de mode, un "chanteur pour midinettes", un type à la voix déficiente (c'est arrivé même à Aznavour ceci dit), on le compare aujourd'hui à un "trésor national, un grand frère, un homme qui chante plus qu'un chanteur, un artisan"... en tout cas un véritable auteur, perfectionniste, novateur, au style unique mais aux albums ayant des sonorités sans cesse renouvelées.
Daho a fait son chemin avec discrétion, sans forcer, sans "buzz", avec une élégance que l'on retrouve dans sa voix feutrée, douce, grave et chaude. Protectrice presque. Bienveillante en tout cas lorsqu'elle semble nous parler personnellement, comme dans La Peau Dure, en évoquant l'essentiel, en mettant un baume sur les vieilles blessures, en nous murmurant que l'on n'est pas seul à morfler, que ça va aller. Une voix implacable, juste mais non violente, comme dans En Surface, qui dresse un constat difficile mais non amer, audible, nécessaire presque.
Une bienveillance présente également dans cette sélection d'anecdotes, d'avis et de morceaux de vie. Peut-être parce que la musique est finalement l'un des arts les plus intimes, les plus invasifs, chacun se rappelle avec émotion ce qui lui est rattaché. Un amour, une époque, une découverte...
Pour certains, Daho aura jalonné toute une vie. Ce qui étonne et impressionne l'artiste (car il intervient aussi par petites touches). Peut-être parce qu'il sait, malgré le travail et le talent, ce qu'il doit aux rencontres, aux hasards déterminants qui l'ont amené là où il est, comme cette tempête de neige qui obligera les Stinky Toys à rester chez lui et... à parler musique. On connaît la suite.
Daho a tout vécu, ou presque. L'absence d'un père, le déracinement, le succès qui enivre, les rumeurs et les jalousies, les moqueries, quelques épreuves plus dures et plus personnelles, mais il est revenu de tout, sans aigreur, avec ce détachement apparent qui le caractérise et qui lui permet, souvent sur un ton léger, d'aborder les thématiques les plus dramatiques et de remettre à leur place, sans méchanceté (un exploit !), les donneurs de leçon.
Ce livre est à son image. Élégant dans sa légèreté, surprenant par sa profondeur, riche de références multiples. Et plein de cette magie qui n'appartient qu'à ce Rennais que chacun s'accorde à trouver mystérieux, réservé, iconique, mais qui est finalement proche de son public.
Attention, il ne s'agit pas d'une biographie ni d'une analyse sur l'œuvre de Daho, mais bien d'une déclaration d'amour, d'un constat fait de sentences parfois subtiles, de petits riens, de souvenirs magnifiés par le temps et la patine des notes. Un beau voyage en quelque sorte, qui donne envie de ressortir les anciens albums et de se plonger dans ce qu'ils ont accompagné, que ce soit les années 80, colorées, bouillonnantes, empreintes de synthé sirupeux, ou ce qui a suivi, plus sobre, plus sombre, plus abouti peut-être aussi.
Doux et aérien. Bigrement conseillé.
[1] Ainsi, étonnamment, Duel au Soleil n'est par exemple pas la chanson d'amour que l'on pourrait croire.
crédit photo : Alexandre Isard |
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