Twin Peaks : l'Autobiographie de l'agent très spécial Dale Cooper


Après avoir exploré les affres de la psyché de Laura Palmer (cf. cet article), voyons ce qu’il en est de celle de Dale Cooper, ce fascinant agent fédéral adepte de la méditation, doté d'une intelligence et d'une sensibilité hors du commun, et dont les enquêtes puisent parfois leurs résolutions au sein des rêves étranges qu'il fait.

Dale Cooper a profondément marqué la culture populaire depuis la sortie du pilote de la série Twin Peaks en 1990. Homme posé, toujours impeccablement vêtu et coiffé, appréciant les bonnes choses de la vie avec la joie d’un enfant (la délectation qui est la sienne lorsqu’il s’abreuve du café noir et qu’il se nourrit des donuts et des tartes de la région est contagieuse), d’une exquise politesse et d’une profonde empathie, Cooper parvenait à dissimuler avec élégance certaines fêlures de son existence, des échecs tant professionnels que sentimentaux qui trouveront un écho dans les secrets inavouables que recèle l’insondable bourgade de l’état du Washington. C’est dans l’un de ces traumatismes que la trame de la seconde moitié de la deuxième saison prend sa source, lorsque Dale se trouve confronté au retour de Windom Earle, son ancien meilleur ami et mentor devenu sa Némésis, son Moriarty à lui.

Constituée à partir des enregistrements qui ont débuté un soir de Noël, suite au cadeau fait par son père (un enregistreur à bandes pas tout à fait nomade), l’autobiographie va contribuer à éclairer les zones d’ombre de la carrière courte mais émaillée de succès de l’agent Cooper. On y apprend que la fameuse Diane à laquelle il s'adresse constamment par le biais de son enregistreur de poche existe bel et bien et est sa secrétaire depuis qu'il a été affecté au Bureau (même s'il avoue dans un enregistrement qu'il ne connaît pas son nom de famille !). Surtout, on apprend dans le détail les circonstances ayant entouré la séquence dont il porte encore les stigmates dans la série TV, la mort de la femme de Windom Earle alors qu'elle était placée sous sa protection. Earle, qui occupe plus d'un quart de l'ouvrage, dont les délires schizoïdes prennent un sens nouveau après le visionnage de la série - et du film Fire Walk With Me. Auparavant, l'on grandira avec Dale, alors qu'il découvre son monde avec candeur et acuité, son héros de jeunesse (Sherlock Holmes), la lettre de Hoover, directeur du FBI, en réponse à sa candidature en tant qu'agent (alors qu'il n'avait pas encore quatorze ans !), le mystère féminin et la troublante gestion des pulsions hormonales, son premier cadavre et, surtout, la découverte de l'existence du Mal, incarné mais insaisissable.


On pourra reprocher à Scott Frost, le frère du coauteur de Twin Peaks, de contribuer à démythifier ce formidable héros moderne, détective surdoué mais perclus de failles existentielles, aussi sûr de ses performances intellectuelles et physiques (il est un tireur hors pair) que doutant perpétuellement du bien-fondé de ses relations sociales. Tout comme dans le Journal secret de Laura Palmer, l'on décèle surtout la volonté de faire apparaître le Mal en tant qu'entité indépendante, qu'il prenne dans le journal intime le nom de BOB ou qu'il ne soit perçu, par l'agent, que par le biais de sensations oniriques lors d'expériences profondément traumatisantes. Car Cooper est une âme innocente qui souffre de la perte : celle d'une mère dont il partageait les rêves menaçants, de ces filles, amies ou amantes éphémères, qui connurent des fins tragiques, au point qu'il en soit venu à se demander quelle fatalité le poursuivait. Seul son père, libre penseur aux principes évanescents, profondément touché par son veuvage précoce, a pu résister à cette malédiction, petite bouée dans un monde dont il perçoit progressivement la noirceur dans chacun des crimes odieux dont il a la responsabilité.

Un ouvrage non dénué d'humour, avec cette faculté de distanciation un peu candide qui permet à Dale de commenter les travers de notre société fonçant droit vers son destin funeste, et qui s'achève pile au moment où commence le pilote de la série (c'est-à-dire qu'on y voit donc également l'enquête avortée, faute de pistes, sur une précédente victime - Teresa Banks - retrouvée dans des circonstances similaires à Laura Palmer).
Un compagnon plutôt riche qui ravira les fans de la série imaginée par Lynch et Frost, enrichissant certains points abordés au cours de la seconde saison et conférant à la vie de Cooper un statut plus proche de la Quête initiatique.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le livre se dévore grâce à un style alerte et un humour bon enfant.
  • Le Dale qui se dévoile, tout en se montrant plus humain et plus faillible, conserve son aura fascinante.
  • Un éclairage poussé sur les circonstances liant Cooper à Windom Earle, dont le duel à distance les conduira jusqu'à la Black Lodge.
  • Une vision troublante de l'adolescence masculine et de l'éternel féminin.

  • Les dates ne collent pas avec l'ouvrage-frère (le Journal de Laura Palmer) puisque Dale affirme dans ses enregistrements qu'on a retrouvé le corps le 24 février 1989 alors que les dernières entrées du journal intime sont datées de novembre 1989.