Voyage à l'époque victorienne avec la Ligue des Gentlemen Extraordinaires.
Un XIXème siècle mourant. Des figures nationales en fin de cycle servant un empire britannique qui se sait à l'agonie. Entre modernité et fantasmes de l'ancien régime, un petit groupe d'aventuriers renommés est rassemblé pour servir la reine.
Nemo, l'Homme Invisible, Quatermain, le Dr Jekyll et Mr Hyde... ils sont tous dirigés par une femme, Wilhelmina Murray, bien décidée à faire en sorte que sa "ménagerie" serve la couronne. Pendant ce temps, quelque part, dans les bas fonds de Londres, un homme s'apprête à lancer la première attaque aérienne de l'Histoire. La pègre chinoise détient la cavorite, un matériel anti-gravité qui peut précipiter le destin de l'Empire.
Et si le monde dépendait maintenant d'une poignée de héros à bout de souffle ?
Contrairement à une croyance trop largement répandue dans le milieu des comics, Alan Moore est loin de réussir systématiquement tout ce qu'il entreprend. Sa version de Crossed notamment était basée sur une idée totalement stupide qui rendait le récit illisible. Et l'on sait qu'il est habitué aux déclarations fracassantes certainement plus influencées par ce qu'il fume que le génie dont on l'affuble (cf. cet article).
Néanmoins, il faut reconnaître que le type est un bourreau de travail et qu'il lui arrive, régulièrement, de faire preuve d'un talent hors du commun. Ainsi, outre le très connu Watchmen, l'auteur peut se vanter d'avoir quelques chefs-d'œuvre à son actif, que ce soit Top 10 ou cette Ligue des Gentlemen Extraordinaires, parfois quelque peu sous-estimée.
D'un point de vue scénaristique, Alan Moore récupère ici les quelques personnages typiquement anglais qui sont tombés dans le domaine public au fil des ans. Rien de bien honteux comme procédé, c'est le cas d'autres séries comme par exemple Fables. L'atmosphère n'est d'ailleurs même pas spécialement britannique tant nous connaissons, au moins de nom, les premiers rôles. Le but ici est de se lancer dans une aventure à la Jules Verne, avec des tas de machins vieillots et magnifiques, en avance sur une époque improbable. Bref une influence très steampunk.
Sur la forme, l'on a l'impression d'un hommage presque parfait aux romans de genre mettant en avant la grande aventure et les héros "larger than life". Sur le fond, comme souvent avec Moore, l'on ne sera pas surpris de trouver des éléments habilement dissimulés voire un sous-texte résolument moderne qui ne cache rien des tics d'une certaine littérature et des tares d'une époque pas si lointaine.
Les dessins, réalisés par Kevin O'Neill, sont forts bons, surtout parce que l'artiste parvient à rendre un coté daté sans perdre en dynamisme en ce qui concerne les scènes d'action. C'est aussi, d'un point de vue visuel, très peu académique, dans le sens où l'on peut avoir des planches de neuf cases, à l'européenne, ou des découpages moins formels voire des plans énormes venant rythmer le récit comme des coups de boutoir. Le style, très anguleux, ne plaira cependant pas à tout le monde et peut donner l'impression de personnages un peu "raides". Les visages, bien que réellement expressifs, peuvent dérouter également, au contraire des décors qui flirtent avec la perfection. Quant à l'histoire, elle allie la légèreté du véritable divertissement et la discrète profondeur de l'ironie. Les personnages surtout, parfaitement écrits, prennent une ampleur énorme sur le long terme, chacun révélant une personnalité complexe et des failles plus ou moins importantes.
D'abord publiée par les Éditions USA puis Panini, la série a bénéficié d'une nouvelle intégrale (250 pages) l'année dernière, qui comprend les deux premières saisons.
À réserver à un public adulte.
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