Les Super-Héros : une catastrophe culturelle ?
Publié le
29.7.15
Par
Nolt
Nous sommes habitués aux critiques sur la BD en général ou le genre super-héroïque en particulier, mais le plus souvent, elles proviennent plutôt de parfaits béotiens qui connaissent mal le domaine qu'ils jugent pourtant si durement (ce réalisateur mexicain par exemple, certains élus ou la plupart des journalistes). Cette fois cependant, ce sont les propos d'Alan Moore en personne qui nous amènent à réfléchir un peu sur les fondements d'un genre de plus en plus populaire mais toujours décrié.
Les propos en question proviennent de cette interview fleuve, relayée par The Guardian puis ActuaBD. Et que nous assène-t-il ce brave Alan ? Eh bien, qu'il est inquiétant que le public des films de super-héros soit essentiellement composé d'adultes alors qu'il s'agit à la base de récits pour enfants. Selon lui, cela serait symptomatique d'un refus de la complexité (d'où le refuge vers le manichéisme supposé du genre). Le désastre viendrait du fait que le genre super-héroïque prend trop de place à l'heure actuelle sur la scène culturelle, ceci au détriment d'autres hypothétiques œuvres.
Bon, ça n'est pas très long comme déclaration, mais qu'est-ce qu'il y a comme conneries dedans !
Décortiquons un peu tout ça, point par point.
Accordons une chose à mister Moore, les adaptations cinématographiques tirées des comics sont en effet des films pour enfants, plutôt mal écrits et ennuyeux. D'ailleurs, le meilleur film super-héroïque à ce jour, Defendor, n'est pas issu d'une BD et est sorti directement en vidéo. Les grosses licences sont, elles, particulièrement plates et mal fichues (pour des raisons évidentes de ciblage, cf. cet article). Mais est-ce pour autant une fatalité ? On ne voit pas trop pourquoi un genre en particulier serait voué à la médiocrité. Après tout, il y a aussi de très mauvais polars ou de mauvais films de SF.
Le premier argument fallacieux de Moore tient à sa vision très limitée du genre. Qu'il considère que les super-héros étaient à la base destinés aux enfants, pas de souci, c'est tout à fait vrai. Mais le genre a un peu évolué depuis. Je sais bien qu'il estime que plus rien d'intéressant n'a été fait depuis son Watchmen, m'enfin tout de même, cela relève de la simple mauvaise foi (et d'une mégalomanie galopante).
Powers ou The Boys, par exemple, sont des comics super-héroïques modernes qui visent un public adulte. Même dans les séries mainstream, un virage radical a été pris dans les années 2000. Civil War (même si la série principale a été viandée par Millar qui n'a pas su tirer parti du potentiel de la thématique) proposait tout sauf l'affrontement traditionnel entre héros proprets et gros méchants.
Il n'y a rien dans l'ADN du genre super-héroïque qui le destine spécifiquement aux enfants. Le genre (et le support BD également) est un contenant, libre aux auteurs d'y mettre le contenu qu'ils souhaitent.
Pourtant, Moore est rejoint dans sa vision par d'autres auteurs. Chris Ware par exemple (un autre type à qui on a tellement dit qu'il était génial qu'il a fini par le croire) a notamment déclaré que le fait d'écrire des histoires super-héroïques pour adultes revenait à écrire de la pornographie pour enfants (cf. New Republic).
Autrement dit, Ware fait partie de ces gens qui lisent par exemple un Donald Duck et en déduisent que le canard est exclusivement un personnage pour enfant. Et Ware fait partie des auteurs considérés comme "intelligents" hein, ça vous donne une idée du niveau des plus cons.
Revenons au constat de Moore et notamment à ce qu'il appelle le refus de la complexité. On y a eu souvent droit à ça, c'est le fameux "ils refusent de grandir" que nous ont déjà servi Envoyé Spécial ou M6.
Que les films de super-héros soient majoritairement peu attrayants, soit, mais pourquoi diable un adulte n'aurait-il pas le droit de se divertir en regardant quelque chose qu'il apprécie ? C'est tout de même inquiétant ce discours sous-jacent que l'on s'obstine à nous servir. Comme si l'adulte devait se sentir coupable de s'amuser, s'évader un peu ou "perdre son temps" à jouer ou regarder une connerie.
Est-ce qu'un temps libre est mieux "dépensé" lorsqu'il est employé à regarder Plus Belle la Vie, à faire du tuning ou à lire des handicapés de la plume tels que Proust ou Angot ? Pas sûr. Et puis, dans "temps libre", il y a tout de même "libre".
On peut très bien jouer à cache-cache, regarder un Walt Disney ou lire du Batman sans pour autant être un demeuré qui fuit ses responsabilités. Ferait-on d'ailleurs les mêmes reproches aux fameux "tintinophiles" ? Bizarrement, être passionné par l'univers d'Hergé est considéré comme noble, alors que pourtant, ses BD visent spécifiquement un public enfantin (ce qui n'augure en rien de leurs réelles qualités, cf. notre dossier sur le sujet).
Et puis, Moore semble aussi (re)découvrir des évidences. Les gens s'intéressent à des conneries, la belle affaire ! Évidemment ! Ce n'est pas récent et ça n'est en rien propre au genre super-héroïque. Star Wars ou la série des Indiana Jones ont aussi, en leur temps, suscité un engouement. Et pourtant, même si l'univers dépeint peut avoir un réel intérêt, ce sont de mauvais films. Je ne parle même pas des séries AB qui ont fait des cartons d'audience sur TF1. Ni des records de vente de Voici. Oui, les gens n'ont pas bon goût, ça se saurait, mais les films de super-héros ne sont pas pires que le reste.
Là où l'on tombe dans le non-sens pur et simple, c'est quand Moore en vient à mettre en garde contre la place prise par le genre super-héroïque, comme si cela rognait sur autre chose. Après le goût de chiotte du public, Moore crache cette fois sur les auteurs en les accusant de verser dans la facilité sans chercher (sous-entendu, comme lui) à innover.
Les films ou les livres traitant de super-héros ne prennent pas la place d'autre chose. Quand la mode manga s'est installée en France, on a rajouté un rayon dans les librairies, on n'a rien viré.
Et surtout, qui peut prétendre qu'un fan de comics n'est QUE un fan de comics ? En quoi lire du Spider-Man ou aller voir Green Lantern empêche de se passionner pour d'autres genres ?
C'est là où j'en viens à conspuer le concept de "communauté" qui tend à faire croire des inepties aux gens. Les termes fourre-tout, comme geek (cf. cet article), ou les idées farfelues (il existerait une "communauté" de fans), ont donné une image sectaire et faussée de ce que peut être un lecteur de comics. Ou un spectateur de navets.
L'on peut très bien apprécier Straczynski, voire Moore himself à l'occasion, et lire Racine, Leblanc ou Orwell. Tout simplement parce que la fameuse communauté censée mettre la culture en danger n'existe pas. Il n'y a pas un petit village, dans un coin, peuplé d'abrutis décérébrés qui souhaitent uniquement regarder des films pourris. Un être humain est un peu plus complexe que ça, et il est étonnant que des "génies" tels que Moore ou Ware ne s'en rendent pas compte.
Le problème vient aussi du fait que Moore est effectivement devenu, comme le titre The Guardian, un "gourou" pour certains. Il a des qualités, c'est indéniable. C'est un bourreau de travail et un scénariste habile. Mais... mon boulanger aussi travaille beaucoup et connaît bien son métier. Je ne vais pas pour autant lui demander son avis sur les films que je vais voir ou pas. Ou sur les restaurants que je dois fréquenter, pour rester dans un domaine de compétences proche.
Il faut remettre un peu les choses en perspective. Alan Moore, même si l'on sent bien qu'il le souhaite ardemment, n'est pas un messie destiné à relever le niveau général. C'est là bien trop de prétention que penser que l'art, ou plus précisément la fiction, a un but sacré, un rôle à jouer au niveau des masses.
Une bonne histoire sert avant tout à divertir. Ce n'est déjà pas si mal. Si en plus elle élève l'individu, c'est un effet secondaire certes positif mais pas un but recherché. Après tout, d'immenses machineries comme l'éducation nationale, dont le but est d'éduquer, avec des moyens énormes, échouent régulièrement à remplir leur mission. Pourquoi diable un simple conteur en serait-il capable ?
Quant aux mauvaises histoires, elles peuvent parfois faire rager mais elles n'ont pas d'effets néfastes. Personne d'intelligent n'a encore jamais été rendu complètement con par un livre ou un film. Et je ne suis pas certain qu'un abruti risque grand-chose à regarder quelque chose d'idiot.
Cessons surtout de croire que quelqu'un est ce qu'il lit ou regarde. Ou qu'il n'est que ça.
Bien évidemment que les légumes et les fruits sont plus sains que les burgers, mais parfois, on bouffe des pizzas ou on va au Mac Do.
Cela ne fait pas de nous des abrutis.
Et ça ne met en danger ni la culture ni la gastronomie.
Les propos en question proviennent de cette interview fleuve, relayée par The Guardian puis ActuaBD. Et que nous assène-t-il ce brave Alan ? Eh bien, qu'il est inquiétant que le public des films de super-héros soit essentiellement composé d'adultes alors qu'il s'agit à la base de récits pour enfants. Selon lui, cela serait symptomatique d'un refus de la complexité (d'où le refuge vers le manichéisme supposé du genre). Le désastre viendrait du fait que le genre super-héroïque prend trop de place à l'heure actuelle sur la scène culturelle, ceci au détriment d'autres hypothétiques œuvres.
Bon, ça n'est pas très long comme déclaration, mais qu'est-ce qu'il y a comme conneries dedans !
Décortiquons un peu tout ça, point par point.
Accordons une chose à mister Moore, les adaptations cinématographiques tirées des comics sont en effet des films pour enfants, plutôt mal écrits et ennuyeux. D'ailleurs, le meilleur film super-héroïque à ce jour, Defendor, n'est pas issu d'une BD et est sorti directement en vidéo. Les grosses licences sont, elles, particulièrement plates et mal fichues (pour des raisons évidentes de ciblage, cf. cet article). Mais est-ce pour autant une fatalité ? On ne voit pas trop pourquoi un genre en particulier serait voué à la médiocrité. Après tout, il y a aussi de très mauvais polars ou de mauvais films de SF.
Le premier argument fallacieux de Moore tient à sa vision très limitée du genre. Qu'il considère que les super-héros étaient à la base destinés aux enfants, pas de souci, c'est tout à fait vrai. Mais le genre a un peu évolué depuis. Je sais bien qu'il estime que plus rien d'intéressant n'a été fait depuis son Watchmen, m'enfin tout de même, cela relève de la simple mauvaise foi (et d'une mégalomanie galopante).
Powers ou The Boys, par exemple, sont des comics super-héroïques modernes qui visent un public adulte. Même dans les séries mainstream, un virage radical a été pris dans les années 2000. Civil War (même si la série principale a été viandée par Millar qui n'a pas su tirer parti du potentiel de la thématique) proposait tout sauf l'affrontement traditionnel entre héros proprets et gros méchants.
Il n'y a rien dans l'ADN du genre super-héroïque qui le destine spécifiquement aux enfants. Le genre (et le support BD également) est un contenant, libre aux auteurs d'y mettre le contenu qu'ils souhaitent.
Pourtant, Moore est rejoint dans sa vision par d'autres auteurs. Chris Ware par exemple (un autre type à qui on a tellement dit qu'il était génial qu'il a fini par le croire) a notamment déclaré que le fait d'écrire des histoires super-héroïques pour adultes revenait à écrire de la pornographie pour enfants (cf. New Republic).
Autrement dit, Ware fait partie de ces gens qui lisent par exemple un Donald Duck et en déduisent que le canard est exclusivement un personnage pour enfant. Et Ware fait partie des auteurs considérés comme "intelligents" hein, ça vous donne une idée du niveau des plus cons.
Revenons au constat de Moore et notamment à ce qu'il appelle le refus de la complexité. On y a eu souvent droit à ça, c'est le fameux "ils refusent de grandir" que nous ont déjà servi Envoyé Spécial ou M6.
Que les films de super-héros soient majoritairement peu attrayants, soit, mais pourquoi diable un adulte n'aurait-il pas le droit de se divertir en regardant quelque chose qu'il apprécie ? C'est tout de même inquiétant ce discours sous-jacent que l'on s'obstine à nous servir. Comme si l'adulte devait se sentir coupable de s'amuser, s'évader un peu ou "perdre son temps" à jouer ou regarder une connerie.
Est-ce qu'un temps libre est mieux "dépensé" lorsqu'il est employé à regarder Plus Belle la Vie, à faire du tuning ou à lire des handicapés de la plume tels que Proust ou Angot ? Pas sûr. Et puis, dans "temps libre", il y a tout de même "libre".
On peut très bien jouer à cache-cache, regarder un Walt Disney ou lire du Batman sans pour autant être un demeuré qui fuit ses responsabilités. Ferait-on d'ailleurs les mêmes reproches aux fameux "tintinophiles" ? Bizarrement, être passionné par l'univers d'Hergé est considéré comme noble, alors que pourtant, ses BD visent spécifiquement un public enfantin (ce qui n'augure en rien de leurs réelles qualités, cf. notre dossier sur le sujet).
Et puis, Moore semble aussi (re)découvrir des évidences. Les gens s'intéressent à des conneries, la belle affaire ! Évidemment ! Ce n'est pas récent et ça n'est en rien propre au genre super-héroïque. Star Wars ou la série des Indiana Jones ont aussi, en leur temps, suscité un engouement. Et pourtant, même si l'univers dépeint peut avoir un réel intérêt, ce sont de mauvais films. Je ne parle même pas des séries AB qui ont fait des cartons d'audience sur TF1. Ni des records de vente de Voici. Oui, les gens n'ont pas bon goût, ça se saurait, mais les films de super-héros ne sont pas pires que le reste.
Là où l'on tombe dans le non-sens pur et simple, c'est quand Moore en vient à mettre en garde contre la place prise par le genre super-héroïque, comme si cela rognait sur autre chose. Après le goût de chiotte du public, Moore crache cette fois sur les auteurs en les accusant de verser dans la facilité sans chercher (sous-entendu, comme lui) à innover.
Les films ou les livres traitant de super-héros ne prennent pas la place d'autre chose. Quand la mode manga s'est installée en France, on a rajouté un rayon dans les librairies, on n'a rien viré.
Et surtout, qui peut prétendre qu'un fan de comics n'est QUE un fan de comics ? En quoi lire du Spider-Man ou aller voir Green Lantern empêche de se passionner pour d'autres genres ?
C'est là où j'en viens à conspuer le concept de "communauté" qui tend à faire croire des inepties aux gens. Les termes fourre-tout, comme geek (cf. cet article), ou les idées farfelues (il existerait une "communauté" de fans), ont donné une image sectaire et faussée de ce que peut être un lecteur de comics. Ou un spectateur de navets.
L'on peut très bien apprécier Straczynski, voire Moore himself à l'occasion, et lire Racine, Leblanc ou Orwell. Tout simplement parce que la fameuse communauté censée mettre la culture en danger n'existe pas. Il n'y a pas un petit village, dans un coin, peuplé d'abrutis décérébrés qui souhaitent uniquement regarder des films pourris. Un être humain est un peu plus complexe que ça, et il est étonnant que des "génies" tels que Moore ou Ware ne s'en rendent pas compte.
Le problème vient aussi du fait que Moore est effectivement devenu, comme le titre The Guardian, un "gourou" pour certains. Il a des qualités, c'est indéniable. C'est un bourreau de travail et un scénariste habile. Mais... mon boulanger aussi travaille beaucoup et connaît bien son métier. Je ne vais pas pour autant lui demander son avis sur les films que je vais voir ou pas. Ou sur les restaurants que je dois fréquenter, pour rester dans un domaine de compétences proche.
Il faut remettre un peu les choses en perspective. Alan Moore, même si l'on sent bien qu'il le souhaite ardemment, n'est pas un messie destiné à relever le niveau général. C'est là bien trop de prétention que penser que l'art, ou plus précisément la fiction, a un but sacré, un rôle à jouer au niveau des masses.
Une bonne histoire sert avant tout à divertir. Ce n'est déjà pas si mal. Si en plus elle élève l'individu, c'est un effet secondaire certes positif mais pas un but recherché. Après tout, d'immenses machineries comme l'éducation nationale, dont le but est d'éduquer, avec des moyens énormes, échouent régulièrement à remplir leur mission. Pourquoi diable un simple conteur en serait-il capable ?
Quant aux mauvaises histoires, elles peuvent parfois faire rager mais elles n'ont pas d'effets néfastes. Personne d'intelligent n'a encore jamais été rendu complètement con par un livre ou un film. Et je ne suis pas certain qu'un abruti risque grand-chose à regarder quelque chose d'idiot.
Cessons surtout de croire que quelqu'un est ce qu'il lit ou regarde. Ou qu'il n'est que ça.
Bien évidemment que les légumes et les fruits sont plus sains que les burgers, mais parfois, on bouffe des pizzas ou on va au Mac Do.
Cela ne fait pas de nous des abrutis.
Et ça ne met en danger ni la culture ni la gastronomie.