The Endless est un film de Justin Benson et Aaron Moorhead.
Pour vous donner une idée de l'ambiance, regardez la bande annonce... ou pas.
Les deux réalisateurs sont américains, tournent des films un rien fauchés (par rapport aux budgets habituels des productions US) et se permettent ici le luxe d'interpréter eux-mêmes (de façon convaincante, ma foi) les deux protagonistes de l'histoire fantastique qu'il vont nous narrer.
Une histoire fantastique ne fait pas toujours une fantastique histoire
La couverture du boîtier... Ne rêvez pas, ce genre d'effet très classe est moins coûteux à réaliser sur une image statique! |
Commençons donc par les nombreuses qualités du film avant d'aborder ce qui (me) fâche.
L'image du film est agréable. Un filtre vaguement sépia semble appliqué de façon plus ou moins insistante à l'ensemble, donnant une touche un peu hors du temps à l'image ; ce qui colle bien au propos, comme on le verra. De plus, la plupart des images de nuit furent tournées en journée puis assombries. Cela donne des images très contrastées et très lisibles malgré l'obscurité ambiante de certains passages.
Les effets spéciaux, quant à eux, sont suffisamment subtils et imaginatifs pour que l'on ne sente pas trop l'indigence financière qui frappe cet aspect du long métrage, et c'est de façon assez intelligente que les deux comparses vont toujours nous présenter les traces du fantastique à travers des biais nécessitant des artifices peu coûteux. Tantôt la menace est dessinée, tantôt elle est suggérée, tantôt elle n'est que ténèbres, voire même ouvertement "cheap" à l'image, afin d'exposer un fantastique un peu troublant par ses effets inattendus.
Les seuls vrais effets potentiellement un peu coûteux apparaissent vers la fin du film et sont des compositions d'images en profondeur, un procédé superposant des images existantes à d'autres, loin de la création d'images de toutes pièces (CGI) dont les productions américaines usent et abusent de nos jours. Trois personnes y travaillèrent... vous voyez qu'on n'est pas dans un état d'esprit de blockbuster, là ! Je ne suce pas tout cela de mon pouce, c'est expliqué dans un intéressant making of d'une trentaine de minutes disponible sur le Blu-ray distribué par Koba Films (au prix de 14,99€) qu'il m'a été donné de voir.
Une mention spéciale est à décerner à l'ambiance sonore (par Yahel Dooley) et musicale (par Jimmy Lavalle). Le son habille habilement la créature invisible qui menace les héros du film et la musique qui semble composée d'autant de bruits que de notes parvient à transmettre tant d'émotions que je me suis parfois demandé ce qui resterait d'elles si on ne se fiait qu'au jeu des acteurs.
En effet, loin d'être dénués de talent, ceux-ci restent quand même souvent cantonnés à de grosses ficelles (le regard perdu dans le vide pour le questionnement philosophique, les lèvres entrouvertes pour la femme désirable...). Mais allez, soyons cléments et ne faisons pas la fine bouche : globalement, le jeu des comédiens me semble tout à fait honorable, allant du correct au vraiment réaliste selon les cas... ma préférence allant néanmoins à un personnage que l'on voit (trop ?) peu et dont le mélange de détresse et de colère est presque palpable, comme on dit chez Télérama quand on n'arrive pas à trouver une formule plus alambiquée.
Petit clin d’œil de ma part au comédien qui tire le plus son épingle du jeu malgré la brièveté de son rôle. |
C'est l'histoire de deux frangins qui avaient fui une secte...
Le film commence quand Aaron (joué par Aaron) reçoit une mystérieuse cassette du camp Arcadia, une sorte de secte d'amateurs d'OVNI dont lui et son grand frère Justin (joué par... Justin) se sont enfuis dix ans plus tôt parce que Justin pensait qu'ils s'acheminaient vers un suicide collectif.
OK, le pitch initial est aussi joyeux qu'un requiem mais avouons que Justin avait pris là une décision on ne peut plus sensée... que son petit frère lui reproche pourtant !
C'est que notre Aaron était trop jeune à l'époque de leur fuite, il ne garde du camp que des souvenirs heureux et il en veut à son frangin de les avoir arrachés à une vie simple, saine et peuplée de gens aimants, au profit d'une vie moderne insipide, compliquée et solitaire. Ah, ces jeunes ! Jamais contents !
C'est que notre Aaron était trop jeune à l'époque de leur fuite, il ne garde du camp que des souvenirs heureux et il en veut à son frangin de les avoir arrachés à une vie simple, saine et peuplée de gens aimants, au profit d'une vie moderne insipide, compliquée et solitaire. Ah, ces jeunes ! Jamais contents !
Par contre, force est de constater que les membres du camp, pour des gens supposément suicidaires, semblent plutôt en bonne santé sur la vidéo... Alors, pour aider Aaron-le-pleurnichard à faire son deuil de cette "vie de rêve" dont il se souvient à peine, Justin-le-meilleur-grand-frère-du-monde accepte de l'emmener passer un jour et une nuit à Arcadia, histoire qu'il puisse, cette fois, en partir en faisant ses adieux et non s'enfuir nuitamment sous les regards d'une presse locale admirative, comme dix ans auparavant.
Ils sont accueillis bien gentiment par des gens qui, apparemment, n'ont pas pris une ride en une décennie et semblent péter la forme... mais bon, c'est l'air frais de la campagne, ça, ma bonne dame ; c'est plein de bonnes choses qui tendent les tissus de la peau et qui assurent un transit optimal !
Le camp est au bord d'un lac, dans une région boisée et très isolée ; l'ambiance y est un peu pesante et le film s'installe lentement, tissant peu à peu les rapports entre tous les personnages. Cette première partie est sans conteste une réussite. Les rapports humains y sont décrits avec précision et l'on a plus l'impression d'une sorte de documentaire captant des instants de vie que d'un film déroulant un scénario préétabli ; ce qui, pour cette première partie, est absolument idéal : ça renforce le trouble et on se prend à se dire qu'aucun plan, aucune image, aucun moment n'est fait pour nous mettre parfaitement à l'aise au sein de cette communauté "trop polie pour être honnête".
Bientôt, Aaron et Justin vont découvrir que d'OVNI il n'est point question mais que des vidéos et des photos des membres du camp et d'eux-mêmes sont trouvées de-ci de-là dans les environs. Eux-mêmes trouvent une cassette vidéo au fond du lac qui semble apparemment habité par un monstre... et là, ça commence gentiment à spoiler donc je vais arrêter de trop dévoiler l'intrigue. Pourtant, c'est aussi là que ça commence selon moi à coincer.
Mais pourquoi donc suis-je fâché avec l'histoire, alors ?
À cause du traitement réservé au fantastique. Parce que j'aime ce genre et que j'apprécie assez peu qu'il soit utilisé comme il l'est ici.
Alors oui, je sais : la critique est quasi unanime, au sujet de ce film ; le fantastique, c'est le doute ; le fait qu'il revendique dès le début sa filiation lovecraftienne annonce d'emblée un fantastique assez... "indicible", pour reprendre le mot préféré de cet auteur lorsqu'il s'agissait de (ne pas) qualifier les horreurs entrevues par ses personnages. Mais bon... permettez quand même que j'estime qu'il y a parfois des pieds au Cthulhu qui se perdent!
Le film commence en mettant en exergue sur fond noir une citation de l'auteur Howard Phillips Lovecraft, le papa du désormais fameux mythe de Cthulhu, justement : "L'émotion la plus ancienne et la plus forte, c'est la peur, et la peur la plus ancienne et la plus forte, c'est la peur de l'inconnu."
Ben voyons ! L'inconnu... ah ça, pour être inconnu, c'est inconnu !
Je ne vais pas vous gâcher le plaisir du visionnage de la seconde moitié de ce film qui, pour bancale qu'elle semble être à mes yeux, pourrait tout à fait plaire à un spectateur n'ayant pas les mêmes exigences que moi en termes de fantastique. Après tout, les qualités filmiques initiales restent les mêmes. Mais permettez-moi juste, en restant flou, de soulever deux ou trois choses.
On a une créature invisible de taille apparemment assez conséquente qui agit sur le réel sans pourtant sembler soumise aux lois qui affectent notre monde.
On a aussi, comme si ça ne suffisait pas, de nombreuses boucles temporelles de longueurs variables et circonscrites géographiquement par des repères ressemblant à de petits totems.
Toutes ces boucles sont présentées comme autant de prisons au sein desquelles on est libre d'agir comme on le souhaite mais dont on sait qu'elles vont inexorablement nous "rebooter" à intervalles réguliers (l'une d'entre elles permettant aux gens du camp Arcadia de ne pas vieillir, virtuellement, puisqu'ils sont coincés à une certaine époque).
Oui, ça fait pas mal de thèmes fantastiques. Mais ce ne serait rien si tous étaient liés... ce que l'on ne peut malheureusement que supposer.
On nous suggère assez ouvertement que la créature invisible est à l'origine des nombreuses photos et vidéos trouvées un peu partout. Au moins, ça fait un mystère partiellement levé. Mais c'est le seul qu'il eut à mon sens fallu garder mystérieux tant cette manie de filmer ou prendre en photos des humains captifs de boucles temporelles ridiculise cette créature... on nous la présente comme une force dévastatrice qui pourrait être particulièrement angoissante, mais on ne parvient plus à voir en elle autre chose qu'une sorte d'entité surnaturelle passionnée de télé-réalité... et ça discrédite pas mal la soi-disant inspiration lovecraftienne, non ?
On ne connaît absolument pas le lien qui unit la créature aux boucles temporelles. Les a-t-elle créées ? Ce serait vraiment une capacité extraordinaire qui pourrait amplifier l'aura de terreur qui émane d'elle, mais... non. Si ça se trouve, elle se baladait par là et est tombée sur ce phénomène rigolo. Alors elle s'est posée un moment pour suivre le programme et est devenue accro, comme un téléspectateur lambda devant une émission de Cyril Hanouna.
Voilà. C'est le fameux monolithe qui est sans doute important dans la vie de la créature mais qui apparaît environ deux secondes en tout et pour tout. |
Et tant qu'on y est, poussons le raisonnement un peu plus loin au sujet de ces fameuses boucles temporelles, vu qu'au sein de la rédaction, tous ces machins de voyages dans le temps, ça nous plaît beaucoup (cf. cet article ainsi que nos sélections UMAC 1 et 2 sur les voyages dans le temps au cinéma)... et qu'en plus, je vais m'en servir pour vous expliquer définitivement ce qui m'a déplu.
Les boucles temporelles suivent une logique proche de celles de Un jour sans fin (Groundhog day de Harold Ramis, la très sympathique comédie fantastique avec l'excellent Bill Murray) dans lequel le temps s'écoule au sein d'un espace-temps limité avant de revenir à son point de départ. Sauf que l'intérêt de Un jour sans fin réside dans le fait que seul le personnage interprété par Murray se souvient des boucles antérieures et qu'il peut donc à loisir tenter maintes façons de gérer cette journée qui n'en finit pas mais qui, pour son entourage, n'est qu'une journée comme les autres. C'est une configuration idéale pour une comédie puisque ça permet de gérer de façon de plus en plus drôle et absurde des situations vues maintes fois. C'est un principe de variations sur un même thème, en sorte.
Le regard terrifié et dément de "l'homme de la tente", dont le supplice reste le moment le plus angoissant du film. |
L'idée est très intéressante, d'un point de vue émotionnel, dans un film se voulant angoissant car cela offre une forme d'enfermement assez inédite.
Dans le camp, la boucle est tellement longue que l'on peut y voir une façon d'accéder à une sorte de vie éternelle. Mais ailleurs, on voit des boucles tellement courtes ou dramatiques qu'elles ne sont que torture permanente pour les pauvres bougres qui y sont coincés, certains qu'ils sont de répéter sans cesse leur disparition et leur réapparition à une vitesse effrénée, sans plus rien pouvoir vivre d'autre.
Il y a là une idée absolument géniale pour un film d'horreur que cette menace de vivre en boucle, encore et encore, non pas le même mois, le même jour ou la même heure mais les dix mêmes secondes... jusqu'à la fin des temps... en en ayant conscience ! C'est d'ailleurs à mon sens le moment le plus terrifiant du film : celui où l'on comprend la vie de ce pauvre homme, dans sa tente, dont la boucle minuscule lui fait vivre un enfer inimaginable.
Dans un film de genre de qualité, c'est cette menace que l'on aurait dû craindre pour nos héros, la perspective absolument effroyable de vivre en boucle pour l'éternité deux ou trois secondes d'horreur. Voilà un véritable danger bien plus impressionnant que l'espèce de voyeur invisible que l'on nous offre comme ennemi à fuir à tout prix.
Mais non. Aaron et Justin se promènent entre les boucles temporelles sans jamais rester jusqu'à la fin d'une d'entre elles et sans jamais, donc, y rester coincés. Ils sont des spectateurs vaguement angoissés regardant le calvaire d'autres humains pris au piège, comme si ce danger ne les guettait pas eux-mêmes au nom de leur protection blindée en scénarium.
Pourquoi ça ? Parce que ce n'est pas à ça que sert ici le fantastique, ce n'est pas comme ça que les deux réalisateurs l'emploient... et c'est là que je me fâche.
Aaron constatant tout comme nous qu'il peut s'aventurer hors de la boucle... Jamais il ne semble d'ailleurs risquer d'y être coincé. |
À la limite, lorsque c'est bien fait, j'admets que le fantastique puisse parfois faire quelques pas de recul et se mettre au service du récit, n'être plus qu'un outil de narration.
C'est le cas ici. Dans The Endless, le fantastique n'est qu'un outil au service du propos du film. Il sert à mettre en évidence la valeur d'une vie certes pénible et amenant irrémédiablement au trépas mais authentique et concrète, plutôt qu'une hermétique existence sans fin certes rassurante mais artificielle... du coup, on voit l'utilité de la boucle temporelle du camp Arcadia qui tente longtemps Aaron pour son confort. On comprend moins l'intérêt des autres boucles et c'est quand on pense à la créature que l'on se rend compte que le fantastique ici n'est qu'un prétexte, une astuce, une anecdote dans l'histoire de la vie de deux frères...
Mais le fantastique, même utilisé comme simple outil, doit néanmoins toujours à mes yeux être traité avec tout le respect que mérite cet outil si on veut qu'il fonctionne. Il doit créer le doute, puis la tension, la peur et laisser subsister le doute même après sa potentielle disparition.
Ici, les deux réalisateurs prennent à deux mains la délicate clé à cliquet (chez moi, en Belgique, on appelle ça un "racagnac" !) qu'est le fantastique et la fracassent à plusieurs reprises contre une tête de clou en hurlant : "Tu vas rentrer, oui, saleté ?"
Le fantastique est ici un bidule mal maîtrisé dont on use pour combler les vides de l'histoire en mode "vas-y-que-je-te-raconte-n'importe-quelle-connerie-et-les-gens-inventeront-un sens-au-bidule-selon -leurs-goûts".
Et ça, en amateur de vrais récits fantastiques, je ne pouvais l'admettre. Que ce genre et cette idée si prometteuse de boucle temporelle où l'on est conscient de ses multiples sauts en arrière soient si peu et si mal exploités est une injure. Ce monstre sans queue ni tête, sans logique ni volonté claires, sans réelle autre raison d'exister que celle de bêtement foutre une créature dans l'histoire, est un vulgaire remplissage tout ce qu'il y a de plus vain.
Voilà pourquoi je suis déçu. Livrez-moi le même film avec l'unique boucle temporelle du camp, une explication vaguement logique au phénomène et retirez toutes les autres traces de fantastique et je signe à deux mains ! L'histoire de ces frangins, en dehors de ça, avait tout pour me plaire.
Mais là, mon goût pour ce genre s'est senti insulté. On ne remplit pas plus les creux d'une histoire avec des indices de fantastique sans aucune logique ni aucun objet qu'on ne le ferait avec des bribes d'une enquête policière sans résolution ou avec des débuts de romance sans concrétisation ni séparation.
Voilà. Première moitié du film : une réussite. Une parfaite maîtrise de l'étrange, des tensions, du rapport entre les frères...
Deuxième moitié... sans moi, merci ! Elle se termine d'ailleurs avec des prises de décision en contradiction totale avec tout ce que les héros ont montré d'eux jusqu'alors, et des dialogues faisant partie des plus mauvais qu'il m'ait été donné d'entendre dans une scène finale depuis que je suis en âge de regarder des films.
Si toutefois vous connaissiez ce film et que vous y aviez vu plus que moi. Si vous tenez à le défendre, si je suis un abruti n'ayant rien compris, n'hésitez pas à commenter cet article sur la page facebook UMAC. C'est avec plaisir que je bavarderai avec vous pour y recueillir vos avis.
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