Retour sur la fausse-bonne idée de la décennie. Accrochez-vous à vos chaises, on vous explique le concept de Super Graphic.
Cet ouvrage, sorti en 2015 en France chez Huginn & Muninn, est censé compiler des données sur diverses BD (essentiellement des comics) et les présenter, avec humour, sous forme de graphiques. Ah déjà une idée pareille, faut la chier hein, c'est pas tous les jours qu'un ahuri débarque dans votre bureau avec ça sous le bras. Mais, surtout, le problème c'est que l'humour de statisticien, ça marche sans doute très bien entre statisticiens, mais sorti de là, ça tombe quand même un peu à plat.
Bon, voyons tout de même de quoi il retourne. Un sous-titre sur la cover proclame fièrement "comics et BD décryptés". Attention, le terme "décryptage" est ici bien trop fort puisque, au contraire, l'on est plutôt en face de données brutes et non d'analyses poussées.
Les domaines abordés sont très éclectiques. Cela va de l'évolution du logo de Superman (on a déjà vu des trucs amateurs bien mieux faits sur le net), aux rappeurs qui parlent de comics dans leurs... leurs "chansons", en passant par l'affluence à la Comic-Con de San Diego ou les ingrédients dans les pizzas des Tortues Ninja. Inutile de chercher un fil conducteur ou un début de logique, il n'y en a pas. Notons que l'on retrouve des données sur Watchmen (avec une chronologie assez moche), Walking Dead (sur la durée de vie des personnages) ou encore l'arbre généalogique des Duck (là encore l'on a ici un truc hideux, sans illustrations, alors qu'il existe déjà la même chose en bien mieux, cf. la Parenthèse de Virgul #9).
En effet, c'est tout de suite plus clair avec un graphique. |
Dès le départ, l'auteur, Tim Leong, trouve utile de nous préciser, sous forme graphique également, le but de son livre : informer (20%) et amuser (80%). Et, c'est assez rare pour être souligné, il échoue magistralement dans les deux domaines.
Tout d'abord, non, un graphique, ce n'est pas amusant. Avez-vous déjà entendu l'un de vos potes vous dire "tain, je viens de faire un graphique, là, mortel, tu vas te pisser dessus de rire !" ? Non, et ça n'arrivera jamais. Et pour une raison simple, on doit plus se marrer en manipulant de l'uranium à mains nues qu'en feuilletant un catalogue de graphiques. Donc, malgré les efforts pathétiques de l'auteur, ce n'est pas "amusant" du tout, c'est même aussi fun qu'un ticket de caisse, les couleurs en plus.
Ensuite, pas de bol, ce n'est pas informatif non plus. Outre les avis personnels de l'auteur, dont on se fiche, et les sujets parfois complètement anecdotiques (qui doivent visiblement l'amuser), les rares fois où l'information est présente, elle est difficilement déchiffrable car noyée dans d'improbables représentations graphiques. C'est là le comble, alors qu'un graphique est censé rendre des données plus claires, ceux-ci, la plupart du temps, sont très durs à déchiffrer.
Enfin, parmi les informations, certaines approximations frisent le non-sens. Ainsi par exemple, sur Tintin, et précisément en évoquant l'album Tintin au Congo, l'auteur affirme que "sa représentation stéréotypée des Congolais fait encore controverse à notre époque". La formulation est inexacte, car elle laisse entendre que la polémique fait rage depuis les années 30, or, les premières controverses datent des années 70, tout simplement parce que certains ont cru bon d'analyser une œuvre écrite quarante ans plus tôt en chaussant des lunettes modernes. La représentation n'est pas stéréotypée selon le contexte social et culturel de l'époque à laquelle elle a été conçue, elle le devient si on l'analyse avec un code moral et politiquement correct moderne.
Toujours à propos de Tintin, l'on a droit à une carte de ses nombreux voyages à travers le monde. L'idée n'est pas mauvaise, mais là encore le côté informatif est plus que douteux. L'auteur, pour présenter la série, annonce qu'il s'agit d'un "jeune reporter qui parcourt le monde en quête d'actualités". Or, à part dans les premiers albums (Tintin au pays des Soviets, au Congo, en Amérique), Tintin, justement, ne voyage jamais à cause de son travail. C'est même devenu une blague tellement il n'en branle pas une (il se retrouve à l'autre bout du monde pour secourir un ami, parce qu'il est en vacances ou parce qu'il est victime des circonstances, mais jamais à cause de son supposé boulot).
Parfois, ce sont les informations sur les super-héros qui peuvent surprendre. Sur un graphique comparant les caractéristiques de différents justiciers, Batman est donné comme "un peu fou", au même titre que Moon Knight, et "amoral", au même titre que le Punisher. Pourtant, niveau folie et moralité, on ne peut pas dire que le Dark Knight se situe dans la même mouvance que ses deux collègues précités.
Ce ne sont pas forcément toujours d'énormes erreurs, convenons-en, mais vu le peu d'informations que l'on trouve dans l'ouvrage, quand les rares que l'on rencontre sont bancales, ça ne donne clairement pas confiance. Et cerise sur le gâteau, il reste des coquilles malgré le faible volume de texte.
Il y a tout de même de rares petites notes positives : un long tableau sur les relations au sein de l'univers Batman ou encore un tableau à choix multiples parodiant la psychologie du Punisher (l'une des seules notes d'humour réussies), mais globalement l'intérêt reste minime en comparaison du prix, assez élevé (près de 25 euros quand même). Cela rend d'autant plus suspectes (et comiques) les critiques dithyrambiques reprises en quatrième de couverture : "brillant", "merveilleux", "meilleur livre de tous les temps"... tant qu'à faire dans le n'importe quoi, moi j'aurais mis "la première fois que j'ai ouvert ce livre, j'ai perdu connaissance, submergé par un bonheur extatique que je ne pensais jamais pouvoir éprouver, et la seule idée de m'en séparer ou de tourner la dernière page me plonge dans un marasme qui m'ôte tout désir de vivre".
Confus, ennuyeux, peu fiable, l'ouvrage reste anecdotique et ne parvient jamais à éclairer les sujets qu'il aborde ou à donner du relief aux données brutes, difficilement déchiffrables.
Collector tellement tout est raté.
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