Le Règne du Vide



Bon, j’ai fait une connerie, j’ai regardé Mektoub My Love : Canto Uno.

Bien entendu je ne découvre pas la tendance du cinéma français dit "d’auteur" à faire dans la vacuité et à tirer du banal les plus médiocres des non-histoires financées à coups de subvention. M’enfin, quand même, là, on a passé un cap.
À tel point que, après trois heures de film, je n’ai aucune idée de ce que j’ai bien pu regarder. Je serais notamment incapable de faire un simple résumé tant les scènes ineptes et incohérentes s’enchaînent mollement, dans une sorte de cinéma "vérité" puant le nombrilisme et le culte du minimalisme.

Alors, ce machin-là, on le doit à Abdellatif Kechiche, réalisateur et co-scénariste (il y a un scénario ??). C’est le type qui avait déjà réussi l’exploit, avec La vie d’Adèle, de raconter une anecdote d’un quart d’heure en trois heures. Ah le mec, il n’aime pas trop les ellipses, hein. Tout est filmé en temps réel. Refaire un lacet, s’enfiler une soupe à la tomate, ça prend le temps que ça prend (sous-entendu, le temps que ça prend dans la vraie vie, désolé pour la presque tautologie) ! Rajoutez à ça du voyeurisme malsain, voire même de la franche pornographie si vous n’avez plus de voyeurisme en poudre, et vous avez le style Kechiche. Chiant & vulgaire. Wow, c’est que tu finiras bien par avoir un prix, mon cochon ! Ah merde, c’est déjà fait.
Enfin, bon, au moins, pour Adèle, on pouvait vaguement entrevoir un début d’intrigue : une jeune fille découvre son homosexualité, elle sort avec une nana, la trompe, se fait larguer et souffre. Ah, c’est pas Indiana Jones hein, question rebondissements, tu peux aller tranquillement t’acheter un hot-dog en pétrolette, tu reviens, t’es pas perdu. Il y a même des chances pour que ce soit encore la scène qui se déroulait quand tu es parti.

Pour Mektoub, là, par contre, impossible de faire une sorte de résumé, même d’une phrase. Il ne se passe rien. Il y a des gens, que l’on suit à la plage, en boîte de nuit, au boulot, ils se croisent, se disent bonjour, discutent de tout et de rien, se dragouillent, ricanent bêtement, colportent des ragots…
Pendant 3 heures !!
En terme de dilatation du temps, on est sur du Maigret avec Jean Richard !! Si t’as jamais pigé la théorie d’Einstein, là, tu vas rentrer dans la relativité à la dure !! Je suis ressorti de ce visionnage, j’avais de l’arthrose, des poils dans les oreilles et je me suis rendu compte que j’avais perdu deux dents. Et vous ne m’ôterez pas de l’idée que c’est quand même très rare de perdre spontanément une molaire et une incisive le temps d’un film.

Le pire, c’est qu’il y a une suite à ce… truc. Eh oui, si ça s’appelle "canto uno", c’est qu’il doit y avoir un "canto due", non ? Ben, oui, sauf que ça s’appelle Mektoub My Love : Intermezzo. Et que très peu de gens ont eu le "bonheur" de le voir, car en réalité, après une sortie à Cannes où le film a fait scandale, il n’a pas pu être distribué (ni diffusé par quelque moyen que ce soit). Notamment à cause d’une scène "de sexe oral, non simulée, d’une durée de 15 minutes". Oui, je vous avais dit qu’il n’aimait pas les ellipses le Kechiche.  
Du coup, la recette est limpide : une bonne scène de cul réelle emballée dans trois heures de vide, et hop, subventions, palmes et bobos en extase.
L’histoire, la cohérence, les personnages, l’émotion, le simple bon sens, on s’en cogne ! Tout ce qui importe, c’est le temps réel et le cul. Une sorte de Voisin, Voisine en version hard quoi. Ceci dit, Voisin, Voisine m’a paru moins long que Mektoub, et pourtant, je rappelle que c’est à la base 385 épisodes de 58 minutes tout de même (l’équivalent de plus de 15 jours de visionnage, en continu, à côté de ça, Le Seigneur des Anneaux en version longue, c’est de la couillonnade pour cinéphile fragile).

AB Productions : du Kechiche avec 30 ans d'avance et des idées.

Et là, ô lecteur à la pugnacité légendaire qui n’est égalée que par ton sens de l’à-propos, une question devrait te brûler les lèvres. C’est en effet à ce moment que tu me demandes, le sourire aux lèvres et la mèche au vent : "Mais pourquoi, alors que tu as bien vu au bout de vingt minutes que ça ne menait nulle part, tu n’as pas tout simplement arrêté de regarder ce film au lieu de te taper l’intégralité de cet étron cosmique ?"
Eh bien ma réponse sera limpide comme les eaux du Gange par un beau dimanche de canicule (sais-tu que le Gange, l’un des fleuves les plus pollués au monde, reçoit quotidiennement les restes de 475 cadavres humains ainsi que près de 10 000 carcasses d’animaux ? En plus, bien entendu, de la crasse et des bactéries de tous les Indiens qui ont décidé de s’y baigner pour se "purifier"… oui, on peut s’instruire tout en méprisant la culture d’un cinquième de la population de la planète, mais trêve de digression) ! Tout simplement parce que le vide possède une force d’attraction bien réelle.
Je m’explique.

Quand on a affaire à un film un peu nul, ou même clairement mauvais, c’est facile de s’en extraire. On se dit que c’est débile et on passe à autre chose. Mais quand on est face à "rien", que l’on attend un début qui ne vient jamais, on finit par se laisser gagner par une sorte de transe hypnotique, le même genre de fascination incrédule qui a fait la fortune de Jean-Luc Azoulay.
Il n’y avait tellement rien que, inconsciemment, je me suis dit qu’on allait vers un truc énorme, qui allait même peut-être assembler toutes ces pièces de puzzle éparses et hétéroclites. Ben non. C’est juste du flan à rien avec un coulis d’arnaque intellectuelle.
Comment, putain, au nom du ciel, des gens ont pu regarder ça et se dire que c’était génial ?
Parce que, attention, faut voir les critiques…
"… filmer la vie, étreindre le naturel… subite ivresse du réel." Les Inrockuptibles
"… une ôde au bel âge, où Renoir a rejoint Marivaux." Télérama
Ouais, bon, en termes de critiques, là j’ai choisi le top de la branlette parisianiste, m’enfin, quand même… "ivresse du réel", "Renoir", "Marivaux"… et mes couilles, c’est des pommes dauphine ?

Au final, c’est les Cahiers du Cinéma qui ont le meilleur résumé : "Kechiche cache sous un film mineur une ambition énorme : filmer la vie lorsque rien de spécial ne s’y passe mais que toute nouvelle journée est chargée de la promesse vague, lancinante, qu’il pourrait arriver quelque chose."
Il ne se passe rien, on est d’accord, par contre, en termes d’ambition, attendre dans l’espoir que, peut-être, éventuellement, il se passera "quelque chose", heu… on n’est pas sur de "l’énorme ambition", non. J’ai connu des types vautrés sur leur canapé, qui fumaient 20 joints par jour, qui avaient plus d’ambition que ça. Du genre, par exemple, imiter la voix de leur prof de maths en pétant. Ça ne va pas bien loin, mais bon, il y a un projet concret. C’est pas "je vais regarder les vaches dans un champ, et on verra bien si l’une d’entre elles se met à beugler comme Camelia Jordana quand elle voit un uniforme".

Vous aurez compris que j’ai choisi l’humour (acidulé) pour me moquer de ce genre de cinéma qui n’en est pas. Attention, je ne reproche pas à Kechiche de ne pas être divertissant, on peut très bien imaginer des formes d’art dont le divertissement n’est pas le but premier, je lui reproche de faire un métier (deux même : réalisateur et scénariste) de conteur sans rien raconter.
Que penseriez-vous d’un chanteur qui arrive sur scène, pose sa guitare à ses pieds, et vous regarde en souriant bêtement, sans dire un mot, pendant 1h30 ? Vous trouveriez que c’est une "sublime ivresse du réel évoquant Renoir", ou vous vous diriez "tiens, je viens peut-être de me faire enfler de 40 balles" ?

C’est bien entendu une question rhétorique, puisque vous venez d’assister à un non-concert animé par un non-musicien. Alors, je veux bien que certaines pratiques exotiques, comme le air guitar, soient à la mode, mais de là à célébrer le non-film d’un type aussi fait pour la réalisation qu’un manchot empereur l’est pour le vol, il y a un gouffre qui, lui, est bien réel.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Heu... non, rien.

  • Vide, prétentieux, libidineux et chiant. Ben, français quoi.