Chroniques des classiques : À la poursuite des Slans



Sur une Terre future demeurée étonnamment figée après une conflagration atomique, les humains vivent dans la crainte des Slans, ces êtres si semblables à eux mais infiniment supérieurs : plus grands, plus résistants, plus forts mais surtout plus intelligents et capables de lire les pensées. Dans le but de préserver leur espèce qu'ils sentent menacée d'extinction, les hommes ont donc entrepris d'éradiquer la menace slan en pourchassant et éliminant tout représentant de cette engeance mutante susceptible de les remplacer au sommet de l'évolution. 
Jommy Cross, élevé par ses parents dans l'optique de mettre fin à cette traque et sauver le futur, se retrouve soudain seul au milieu des hommes, peut-être le dernier de son espèce, condamné à se cacher en attendant le jour où, suffisamment aguerri, il pourra partir en quête de l’héritage de son père : une arme absolue, de celles qui pourraient changer la face du monde.

Rédigé avec savoir-faire et beaucoup d'allant, ce roman palpitant quoique un peu bavard, rédigé d'abord sous forme de feuilleton au début des années 1940, est paru sous sa forme définitive en 1946 et préfigure les récits de chasse aux mutants qui devaient foisonner dans les bandes dessinées au cours des décennies suivantes. Les amateurs des X-Men ["dépoussiérés" par Mark Millar, cf. cet article] y retrouveront nombre de caractéristiques communes aux récits imaginés par Stan Lee ou Chris Claremont (ce dernier partageant sa nationalité canadienne avec Alfred Elton Van Vogt, auteur prolifique de l'âge d'or de la SF anglo-saxonne). Si les lecteurs français connaissent davantage sa trilogie sur Le Monde du à dont la traduction de Boris Vian a contribué à initier un véritable engouement pour le genre dans l'Hexagone, À la poursuite des Slans demeure son premier grand succès et cristallise un des paradigmes de l'écrivain natif du Manitoba : la lutte entre l'Homme et l'espèce qui est destinée à le remplacer. On ne parle pas encore d'homo superior, toutefois le parallèle avec les sagas mutantes notamment chez Marvel est indiscutables. 

Cependant, le texte peut souffrir de son aînesse : les critiques ont en effet régulièrement admiré l'imagination foisonnante de Van Vogt tout en déplorant son manque de talent littéraire. La traduction de Jean Rosenthal, élégante bien qu'un peu lourde, est le reflet de son temps. Au niveau hard science, Van Vogt se contente de termes un peu pittoresques et de quelques allégations proches du technobabble des premiers Star Trek (dont beaucoup de spécialistes s'accordent à dire qu'ils sont eux-mêmes largement influencés par Van Vogt) et nous propose un monde étrange, où la technologie n'a quasiment pas évolué (on circule en voiture, on communique par radio) alors que Mars et Vénus ont été colonisées. Cette désuétude et ce manque apparent d'ambition se retrouvent pourtant tempérés par une écriture dynamique, multipliant les péripéties malgré une tendance à des dialogues un peu trop verbeux. On comprend par la suite que le conflit entre humains et Slans a engendré une guerre qui a mis fin aux progrès technologiques qui ne sont désormais que du ressort de ces mutants dotés de petites cornes, vivant dans l'ombre et l'espoir qu'un jour ils pourront à nouveau dominer la Terre et guider l'Homme vers un destin plus grand.

Malicieusement, l'écrivain canadien parvient à demeurer sur la tangente tout en introduisant régulièrement quelques retournements habiles rehaussant le suspense. La narration s'accélère alors et offre quelques visions grandioses cohabitant avec des moments délicieusement vieillots, quelque part entre Jules Verne et Philip K. Dick [cf. cet article]. Puis Van Vogt enfonce le clou en introduisant une troisième force occulte, agissant également dans le secret et bien décidée à éliminer les Slans comme les Humains (tant qu'à faire). Cette multiplication d'intrigues et de protagonistes sera une de ses marques de fabrique par la suite, lui qui appréciait le fait d'insérer de nouvelles idées au fur et à mesure qu'il rédigeait, même si leur intrication et leurs connexions pouvaient parfois s'avérer artificielles ou contre-productives. On pourra grimacer devant certaines de ses justifications, mais le tempo enlevé finit par nous embarquer jusqu'à une fin qui a dû être surprenante en son temps.

Riche en péripéties et en surprises, un roman au style suranné mais encore flamboyant, qui mérite sa place au panthéon de la SF.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un roman précurseur des histoires de mutants.
  • Un classique de la SF, d'un auteur prolifique et incontournable du genre.
  • Un récit enlevé, suffisamment surprenant malgré son âge et empli d'idées.


  • Une intrigue surannée, des retournements souvent aisément identifiables qui trahissent son âge.
  • Une vision du futur manquant d'ampleur et d'acuité.
  • Des personnages abrupts, parfois archétypaux.
  • Des dialogues redondants.