Le serment de l'acier


Il vous faudra lire plus de 90 pages de la BD Le Serment de l'Acier avant que l'on vous explique le choix de ce titre... Heureusement, la lecture en est agréable !


C'est en effet un diptyque que nous proposent une fois de plus les éditions Bamboo (collection Drakoo) et, comme pour Monsieur Vadim, j'avais oublié de vous en parler à la sortie du tome 1. Rattrapons de ce pas cette erreur !

Dans cette BD de fantasy (Drakoo oblige), l'on suivra deux enquêtes menées par deux femmes fortes et concernant deux affaires semblant initialement n'avoir aucun rapport entre elles.
 
Estèla, jeune auxiliaire de la garde de Torrède, est bien aidée dans ses enquêtes par une sorte de pouvoir médiumnique assez limité.
Elle va devoir enquêter sur l'assassinat de Gassan Queyrel, un ancien héros de guerre occupant la charge de Faucon du Prince, tout en surveillant de près l'autre Faucon du Prince, potentiellement lui aussi menacé.
La jeune femme est un limier hors pair qui fait la fierté de son père adoptif. Ses soupçons porteront rapidement sur un archer sylvestre, tant les flèches employées et l'expertise nécessaire à réussir le tir qui fit taire Gassan lui semblent caractéristiques de ces hommes des bois.

Aelis, quant à elle, fait partie du gratin troupier onarque et est chargée de remplir une mission très haut-delà des limites de Torrède puisqu'elle va devoir retrouver la trace d'un scribe disparu qui était parti recueillir diverses connaissances aux frontières du territoire pour le compte de la grande bibliothèque. Cette guerrière accomplie intégrera pour le temps du voyage la caravane d'un accueillant clan Romani, profitant de la protection de ce convoi marchand.

Un assassinat en ville, une disparition loin de la ville... ces deux enquêtes très différentes menées par deux personnages très différents finiront évidemment par converger, bien entendu.

J'ai nourri quelques craintes à la sortie du tome 1, il me faut l'avouer... mais elles furent en grand partie dissipées lors de la lecture du tome 2. C'est que, même si j'ironisais en début d'article sur le fait qu'il s'agissait d'un énième diptyque, je n'ai malgré tout pas encore l'habitude de traiter ces sorties comme telles. Or, lorsque l'on ne tient que le tome 1 en mains, force est de constater que l'on est abreuvé d'un nombre de renseignements très conséquent qui pourrait en refroidir plus d'un.

On apprend bien entendu à connaître cet univers original mais on apprend aussi son histoire proche, marquée par une guerre civile entre Onarques, Romanis et Sylvestres d'un côté, et Lithis et Aquilins de l'autre... guerre civile impliquant ses alliances mais aussi ses mésententes entre alliés...
Les cinq peuples en question ont évidemment des modes de vie, des us et des coutumes différents et l'on nous en dépeint les plus grandes lignes.
La focale étant mise sur Torrède, on apprend à y connaître sa classe dirigeante, certaines de ses traditions, certains de ses quartiers...
Vous voyez ce que je veux dire ? C'est une BD mais ça a le lore d'un roman de fantasy. Ce qui, à mon sens, est une qualité : j'aime quand un auteur se creuse la tête pour donner de la personnalité et de la cohérence à son univers. Surtout quand, comme ici, la narration parvient à nous amener tous ces renseignements de façon relativement fluide et naturelle... mais forcément, ça nous donne un tome 1 qui se fait parfois assez bavard. Et je craignais que les enquêtes ne s'étalent sur les deux tomes que dans le but de nous présenter de plus en plus d'éléments dudit univers.
Le tome 2 m'a rassuré : il n'amène quasiment plus aucun élément de background mais fait la place belle à une action se nourrissant de tout ce que le premier nous avait appris en se permettant même de se jouer de nous qui, naïfs, nous reposons sur la description très généraliste et forcément caricaturale que l'on nous avait livrée.


Gwenaël
(L'héritier des étoiles, Les Elfées, Le Petit Monde de Violette) a clairement conçu l'histoire d'Estèla et Aelis comme une BD de près de 100 pages et non deux tomes d'une quarantaines de planches. La césure entre les deux albums tombe à un moment crucial parfaitement logique mais, néanmoins, je vous conseille de ne voir en ces deux volumes qu'un seul ouvrage et de les lire d'une traite. 
Le serment de l'acier devient alors une BD de fantasy à l'univers séduisant et bien construit dont le début assez informatif nourrit une seconde partie qui finit en apothéose. J'en viens même à me demander s'il n'aurait pas été judicieux de tenter une sortie simultanée de ces deux albums (en coffret ou en un gros volume unique). 
Plus que bien d'autres diptyque, celui-ci a un rythme qui impose sa lecture continue et souffre d'une lecture épisodique.

Elisa Ferrari
 nous livre ici un joli dessin semi-réaliste mis en valeur par les couleurs vives (parfois trop) d'Axel Gonzalbo. Une fois de plus, vous retrouverez dans la collection Drakoo la fameuse patte "à la Lanfeust" dont je vous parle depuis que je traite de leurs albums ici-même, et je ne puis que m'en réjouir.
Attention, toutefois : si le dessin d'Elisa Ferrari m'est sympathique, il n'a en rien la qualité d'exécution et le souci du détail de celui de notre amie Livia Pastore, par exemple, pour la comparer à l'une de ses compatriotes italiennes. C'est propre et bien dessiné mais c'est un trait relativement générique. On sent une certaine personnalité de l'artiste mais rien qui rende sa patte reconnaissable entre mille. 
Un joli dessin au service de son histoire, en somme. D'un autre côté, puisque l'histoire tient la route, ça nous donne un ensemble on ne peut plus satisfaisant !

Je ne puis, malgré tout, que reprocher les traits parfois bâclés de certaines silhouettes en arrière-plan, voire même ceux des personnages principaux lorsqu'ils sont en petit dans la case (comme ci-contre)... Il en est qui dessineraient cette case sur un format plus grand avant de la rétrécir et de l'intégrer à leur planche afin que tout y soit dessiné avec le même niveau de qualité. Ici, on n'a pas poussé le vice jusqu'à ce niveau de perfectionnisme. Ce qu'avait fait, par exemple, Rebecca Morse, dans les excellents Dragon & Poisons parus dans la même collection (avec un trait plus caricatural, je sais, je sais).
Allez, je vais encore me faire un peu critique mais... le découpage des planches m'a parfois un rien déplu : zapper d'un lieu géographique à l'autre en fin de page, par exemple, me semble maladroit. Il aurait sans doute été plus avisé de construire le récit de façon à ce que l'on change de lieu en changeant de planche... C'est accessoire, bien entendu. Mais ça fait partie, pour le détraqué que je suis, de ces détails qui font la différence entre une bonne BD (ce qu'est assurément Le Serment de l'Acier) et une BD mémorable.


Un des thèmes traités est précisément l'un de ceux qui m'ont toujours intrigué lorsque l'on parle de conflits armés : comment cela se passe-t-il lorsque, du jour au lendemain, l'armistice sonne la fin de la guerre ? Comment l'ennemi d'hier redevient-il juste un voisin ? Combien de temps deux peuples ennemis mettent-ils pour retrouver des rapports apaisés ? Accepte-t-on facilement les premiers gestes d'humanité venant de celui que l'on avait, il y a peu, ordre de tuer ? 

En cela, la BD apporte plusieurs réponses selon les cas, prouvant qu'il y a sans doute autant de réactions possibles à ces événements que d'individus et de sensibilités. 
On n'est pas dans le manichéisme mièvre et ça, c'est très bien ! La fantasy a trop souvent tendance à opposer des gentils aux méchants. Ici, aucune dichotomie de ce genre... parce que l'auteur est soucieux de rendre son histoire crédible et que, dans la vie (que ce soit dans le monde réel ou dans n'importe quelle fiction potable), personne n'incarne le bien absolu et personne n'est le mal incarné !

Et si je dois reconnaître une qualité à ces deux albums, c'est indéniablement ce sentiment agréable de n'être jamais pris pour un con. Et c'est une constante appréciable chez Drakoo : ça aborde souvent des thématiques intéressantes et ça se paie le plus souvent le luxe de les envisager selon un angle peu couru. 

Tout cela tient évidemment à quelques évidences dont j'ai déjà parlé : Arleston à la tête de la collection, ça aide ; des auteurs de romans en guise de scénaristes, ça aide aussi... mais même ici où l'histoire est issue d'un cerveau d'auteur de BD, il n'est pas question de tomber dans la fantasy anodine juste pour produire des pages à vendre. Non... il y a de l'originalité dans les angles d'attaque, il y a de l'intelligence dans la construction et le dévoilement du récit, il y a des messages qui passent et qui sont loin d'être naïfs... C'est de la fantasy, ça vous divertit mais ce n'est pas que ça. Cela accompagne aussi certaines de vos réflexions sur le monde et, immanquablement, vous sortez de ces BD en étant conscient de ce petit supplément d'âme. 
Bamboo est à féliciter pour la ligne éditoriale de Drakoo et de Grand Angle... Moi qui ne connaissais d'eux que quelques albums rigolos sans grande prétention jusqu'à l'année dernière, je suis bien obligé de constater que c'est désormais avec une confiance toujours grandissante que j'empoigne ce qu'ils éditent. 

Du coup, Le serment de l'acier est à mes yeux une BD qu'on lit avec avec plaisir et dont aucun amateur de ce genre de récit ne saurait regretter l'achat.
Même si elle ne déclenche pas chez moi un enthousiasme suffisant pour que je la recommande à tout prix, elle plaira indubitablement à l'énorme majorité de ses acquéreurs.

Comme d'habitude, Drakoo tente des trucs avec ses couvertures, et celle du tome 2 (qui ne présente qu'un décor désolé, comme vous pouvez le constater en haut d'article) ne doit pas vous refroidir : ce n'est pas une couverture, c'est un intercalaire entre la partie 1 et la partie 2 d'un gros volume de 100 pages arborant l'image du tome 1 en guise de couverture. Voilà... Lisez les deux tomes d'un coup, je vous dis : ne vous posez pas de question, si ça vous tente !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un diptyque dense et bien construit.
  • Un aspect visuel propre et attirant le regard. Certaines cases forcent le respect.
  • Le premier tome pourrait sembler chargé en renseignements.
  • Le dessin n'est pas toujours aussi soigné que dans les grandes cases d'exposition.