Le treizième album de la collection "Conan le Cimmérien" des éditions Glénat est consacré à Xuthal, la crépusculaire, adaptation de l'une des nouvelles écrites en 1933 par Robert E. Howard, le père du héros barbare dont les aventures, souvent teintées de mysticisme lovecraftien, ont jeté les bases de la fantasy anglo-saxonne et engendré bon nombre d'éditions avant d'être portées à l'écran avec plus ou moins de bonheur (on fête d'ailleurs le quarantième anniversaire du film de John Milius co-écrit avec Oliver Stone et qui demeure parmi ce qui se fait de mieux dans cette catégorie).
Des comics sur Conan, il y en a à la pelle, et parfois dans de très belles séries. Même Panini avait réussi son coup en sortant sous forme d'intégrales en noir & blanc les épisodes de the Savage Sword of Conan, des volumes denses signés des artistes qui ont laissé une empreinte durable tant sur le personnage que sur le genre en lui-même : difficile de passer après les textes soignés de Roy Thomas et le style puissant et fougueux de John Buscema (auquel certains aficionados préfèrent celui, plus élégant peut-être, de Barry Windsor Smith) dont les productions ont bien mieux vieilli que dans le domaine super-héroïque (cf. la Guerre Kree/Skrulls). Ne manquait à cette collection qu'une dimension oversized et quelques suppléments cartographiques, éléments que reprit Soleil lorsque ses décideurs lancèrent leur propre anthologie à partir des mêmes sources.
Avec Glénat, on suit le même chemin avec un format album à l'européenne, mais un contenu moins imposant (une histoire par volume) quoique enrichi par nombre de petits bonus appréciables (des couvertures alternatives, une présentation de l'œuvre d'Howard et surtout une carte). Enfin, leur ambition est également différente puisqu'ils ambitionnent de proposer une vision alternative et moderne des pérégrinations de Conan en donnant carte blanche à de nouveaux artistes. Une démarche salutaire qui permettra notamment de s'affranchir des règles éditoriales américaines qui empêchaient les dessinateurs d'aller trop loin dans l'illustration de la violence et du sexe, leitmotivs pourtant présents en permanence chez l'écrivain qui avait d'ailleurs misé sur de très nombreuses allusions de type BDSM pour ses premières nouvelles, ce qui convenait parfaitement aux directeurs de publication des pulps, avides de chair dénudée susceptible de capter l'attention du public ciblé. Ainsi, plutôt que la musculature imposante du Cimmérien, c'est invariablement les courbes révélées d'une jeune femme qui s'exposaient sur les premières couvertures dans les années 30, qu'elle soit fouettée ou menacée par des êtres aussi laids que répugnants.
Néanmoins, on s'apercevra que la continuité n'est pas la pièce maîtresse du projet, ce qui permet de lire aisément n'importe quel tome sans avoir à connaître par le menu les circonstances qui ont amené Conan et ses éventuels compagnons face aux périls proposés. C'est Christophe Bec qui se charge ainsi de rédiger le script tiré de la nouvelle écrite voici quatre-vingt-dix ans : pas un chef-d'œuvre, ni même un incontournable, mais une entrée en matière fort pertinente pour qui ne connaît guère le contexte. Car Xuthal porte en germe de futurs récits bien plus denses et profonds tout en se frottant à ces horreurs tentaculaires chères au père du Mythe de Cthulhu avec lequel Howard entretenait une fructueuse correspondance, allant jusqu'à analyser méthodiquement la quintessence de leurs œuvres et références respectives (correspondance éditée récemment, merci Virgul !).
L'image de couverture choisie est parfaitement annonciatrice du récit : Stevan Subic nous montre un colosse imposant, couvert de sang et de cicatrices, au regard sombre pointé vers sa destination, tenant une épée massive dans une main et tirant de l'autre sa frêle et dénudée compagne, qui porte encore moins de vêtements que Red Sonja. Le couple est à pied au milieu d'une étendue désertique et aride au fond de laquelle se devinent les silhouettes de vestiges inconnus...
Excellente introduction. On y retrouve les motifs visuels déjà classiques, avec des personnages assez proches de ce que John Buscema produisait dans les années 1974 : un barbare massif, aux traits acérés, à la mâchoire volontaire, aux épaules larges et la taille impressionnante ; une femme aux courbes voluptueuses et à la chevelure débridée. Et si Buscema faisait de son mieux pour inspirer la sensualité sans sombrer dans la nudité (par des postures étudiées, ou le placement opportun d'une mèche de cheveux ou d'un bout de vêtement arachnéen), Subic n'a pas les mêmes contraintes : tant mieux pour les petits coquins, mais aussi et surtout pour les amoureux de l'œuvre originelle, souvent suggestive.
Le fait est que Conan vient d'échapper, en compagnie de Natala, l'ancienne esclave qu'il a prise à son compte, à une horde de cavaliers stygiens, et il fuit vers le sud à travers le désert. Le soleil cogne, les sables ne lui offrent aucune protection et leurs maigres provisions s'épuisent. Conan étant avant tout un survivant, il est sur le point de prendre une décision radicale qui lui permettrait de tenir encore un peu (le retour serait les condamner car il n'est plus en mesure d'affronter une cohorte entière) lorsque quelque chose attire son attention : ce n'est pas un mirage, mais bien une cité. De quoi s'abriter, trouver de l'ombre et peut-être de l'eau et des vivres. Mais la ville qu'ils découvrent a de quoi surprendre : pas âme qui vive. Et puis là, dans une pièce, le corps d'un homme, inerte. Conan sent que cet endroit n'est peut-être pas le havre qu'ils espéraient. C'est alors que le cadavre s'anime et leur saute dessus...
Ainsi ira le récit. Plus les deux héros s'enfoncent dans les entrailles silencieuses de l'antique cité, plus les sombres arcanes entourant son passé se révèleront à eux : un secret gît là, sous leurs pieds, qui explique le sommeil dans lequel les habitants semblent plongés. Une ombre rôde et s'empare des corps. Il vaudrait mieux filer, même si le désert n'offre aucune solution de repli viable. C'est alors que survient Thalis, femme sensuelle et peu farouche qui a clairement jeté son dévolu sur la virilité redoutable du guerrier de Cimmérie. Le genre d'invite qu'un homme las ne peut clairement pas refuser. Et pourtant... Thalis est aussi perverse que Natala est innocente, aussi raffinée que l'autre est fruste, mais les deux ont en commun cette volonté de dépasser leur condition féminine pour tenter de survivre à un monde qui les rabaisse. Deux faces d'une même pièce, qui rehaussent l'impact d'un récit très consensuel, rythmé par les découvertes macabres et les confrontations inhumaines. La chose qui régit la vie de cette Cité qui rêve, sensiblement similaire à Imrryr (dans la saga d'Elric le Nécromancien), pourrait directement faire partie des Grands anciens lovecraftiens, quelque part entre Cthulhu et Shub-Niggurath. Et s'il y a bien quelque chose qui peut faire reculer l'invincible Conan, c'est la magie et les dieux qui la génèrent. Encore une histoire mal engagée...
L'album aurait pu être proprement enthousiasmant. Les dessins ravissent souvent l'œil avec quelques décors sublimes et un encrage profondément marqué par les ocres et les rouges qui, s'il dissimule souvent les traits des visages, parvient à mettre parfois en valeur un regard ou un rictus. Subic est généreux dans les proportions de ses personnages, on retrouve quelques invariants mis en place par Buscema mais avec une tendance à privilégier les inserts, des gros plans parfois signifiants (lors des explorations et des combats) et parfois clairement voyeurs : on est manifestement dans une forme d'excès calculé, avec moult découpages et éviscérations lors des affrontements systématiquement déséquilibrés, et moult fesses, cuisses et poitrines opulentes cadrées dans toutes les positions. Le cahier des charges a poussé le curseur au maximum sans pour autant verser dans la pornographie. C'est sans doute plus respectueuse des racines du texte, mais on n'en a pas moins une forte sensation d'œuvre racoleuse, d'autant que le script opte pour une narration très littéraire, plus proche d'un graphic novel, avec de longues et lourdes phrases pas toujours en phase avec les images qui les surplombent. L'équipe artistique déjà à l'origine de la série sur Tarzan chroniquée par ici s'essaie ainsi à d'autres choix, pas toujours aussi évidents. Et si l'option d'un montage parallèle fait sens lorsque nos héros sont séparés, la lisibilité des cases descend clairement d'un cran (on ne sait plus trop dans quel sens il faut les lire) d'autant que le découpage s'étale parfois sur deux pages en regard. On navigue ainsi entre ravissement et agacement, et puis on pousse quelques cris d'admiration devant des cases franchement réussies, où s'épanche le talent du dessinateur avec un souci du détail et de la symétrie que ne renierait pas Druillet.
Une histoire mineure, une tentative intéressante, un choix narratif risqué, des options visuelles osées (dans tous les sens du terme). À découvrir.
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