Tarzan #1 - Seigneur de la jungle
Publié le
4.4.21
Par
GriZZly
Lui Tarzan. Elle Jane. Nous lecteurs.
Tarzan, c'est plus de 40 romans, 49 films entre 1918 et aujourd'hui, 5 films d'animation et 4 séries télévisées différentes pour un total de 162 épisodes. Qui dit mieux ?
Pour le coup et contrairement à ce qui est devenu mon habitude, il va m'être possible de faire de cette BD une chronique relativement courte. En effet, je crois que tout le monde connaît Tarzan.
Inutile de le présenter.
De livres en comics, de comics en dessins animés, de dessins animés en films et de films en séries, le Seigneur de la jungle tel que l'appelle très justement cet album publié chez Soleil a traversé, de liane en liane, l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte de chacun d'entre nous au son de son you-you distinctif (oui, c'est ainsi qu'on appelle ce cri aigu qu'il pousse de temps à autre, parmi les bédéphiles distingués... même si le cri-référence de Johnny Weissmuller est assez loin de la plainte poussée dans les traditions africaines et asiatiques pour témoigner d'émotions fortes).
Pour ceux qui auraient vécu comme Tarzan depuis leur enfance et, ironiquement, ne connaîtraient donc rien à notre sauvage ami, faisons quand même une présentation très rapide...
Né de l'imagination de Edgar Rice Burroughs, Tarzan est le fils de Lord John et Lady Alice Greystoke.
Le jeune couple, au XIXème siècle (oui, on garde les chiffres romains, on n'est pas dans un musée, ici, on croit encore en votre intelligence !), termine un voyage en bateau en échouant sur les côtes d'Afrique équatoriale (des fois, les choses se passent mal). Dans un habitat de fortune bâti par son époux, Alice donnera naissance à leur fils (parce que la situation n'était pas encore assez compliquée) avant que son Lord et elle ne se fassent trucider par un clan de manganis du voisinage, agacés par le tapage nocturne de ce beuglard de bébé (décidément, quand ça ne veut pas, ça ne veut pas !).
Les manganis communiquent, donc. Dans un langage extrêmement limité et primitif, certes, mais suffisant pour éveiller l'esprit de Tarzan à ce qu'est la communication complexe. Et cela suffit comme prétexte narratif pour rendre plus ou moins crédible l'apprentissage de l'anglais par notre homme-singe, d'abord en autodidacte puis avec l'aide d'autres humains. Oui, Burroughs, sans doute au fait des cas de réels enfants sauvages revenus trop tardivement à la civilisation (le cas de Victor retrouvé dans l'Aveyron en 1797 a pu l'inspirer), savait pertinemment qu'il leur était impossible, au-delà de huit ans environ, d'apprendre un langage articulé construit. Ce type d'aptitude relève de l'acquis et non de l'inné et c'est par imprégnation dans une culture humaine que l'humain l'acquiert.
C'est d'ailleurs ce qui fait de l'homme, selon nombre de nos penseurs, un être objectivement unique sur Terre, car si nombre d'espèces sont grégaires, l'homme est néanmoins la seule créature culturelle qui, si elle grandit loin de ses semblables, ne deviendra pas leur égale.
C'est d'ailleurs ce qui fait de l'homme, selon nombre de nos penseurs, un être objectivement unique sur Terre, car si nombre d'espèces sont grégaires, l'homme est néanmoins la seule créature culturelle qui, si elle grandit loin de ses semblables, ne deviendra pas leur égale.
Mais passons ces considérations, même si elles m'intéressent au plus haut point.
Ce que j'essaie ici de faire passer comme message, c'est que Tarzan est bien trop souvent vu comme un personnage folklorique en pagne qui se balance de branche en branche en faisait des "oyoyoh!"... et parfois, la présence des pauvres manganis se résume à adjoindre à Tarzan un sidekick chimpanzé du nom de Cheetah. Pourtant, le roi de la jungle est une mine intarissable de réflexions sur la nature de l'Homme et notre rapport aux nôtres et à la nature.
Il est triste de constater qu'un tel trésor de potentialités se voit trop souvent limité à n'être qu'un imbécile très bien animé par Disney ou un nageur olympique en slip de fourrure.
Ce que j'essaie ici de faire passer comme message, c'est que Tarzan est bien trop souvent vu comme un personnage folklorique en pagne qui se balance de branche en branche en faisait des "oyoyoh!"... et parfois, la présence des pauvres manganis se résume à adjoindre à Tarzan un sidekick chimpanzé du nom de Cheetah. Pourtant, le roi de la jungle est une mine intarissable de réflexions sur la nature de l'Homme et notre rapport aux nôtres et à la nature.
Il est triste de constater qu'un tel trésor de potentialités se voit trop souvent limité à n'être qu'un imbécile très bien animé par Disney ou un nageur olympique en slip de fourrure.
Dans cet album, Christophe Bec (Prométhée, Crusaders, West Legends #2...) a l'intelligence de remonter au matériau-source et il ne fait pas cela que pour les parents adoptifs du jeune Lord ! Plus respectueux encore du livre que l'adaptation filmique Greystoke de 1984 avec Christophe Lambert (si vous êtes de ma génération, ça va vous parler... Christophe "Rayden-MacLeod" Lambert qui pousse des "Oook-oook", ça ne s'oublie pas !), il plonge le lecteur dans une jungle violente, humide, dangereuse, hostile... Pour tout dire, on ne croit en la survie du pauvre enfant que grâce à quelques adjuvants bienvenus (comme sa mère adoptive). On ne nous épargne aucune scalpation partielle, aucune blessure grave, voire potentiellement fatale. Dans un clan de primates d'une agressivité extrême, le gamin va à plusieurs reprises frôler la mort et apprendre à devenir fort et impitoyable. On en vient juste à se demander comment il peut (puisque l'on accepte qu'il y survit) ne pas garder davantage de cicatrices horribles de ses blessures.
L'ambiance est pesante et rien n'est épargné à Tarzan.
Pour coller à ce choix, Stevan Subic (dessinateur serbe à l'ouvrage dans ce premier album) choisit d'offrir à ses planches des cases dévorées par les ténèbres. Le noir est extrêmement présent et cela sert à la fois l'ambiance et le récit sans pour autant nuire à la lisibilité. Dans l'impénétrable jungle, on sent que la rare lumière qui traverse les feuillages est crue et franche et que le reste de l'espace est noyé dans les ombres. J'avoue avoir tout apprécié dans la patte de Subic en dehors de sa façon très caractéristique de restituer les visages humains comme taillés à la serbe... euh, non, à la serpe ! Question de goûts, comme toujours, mais les visages me semblent parfois y perdre en expressivité.
C'est un album sans concession. La jungle est hostile ? La BD le sera aussi : les dix-huit premières planches ne comptent que trois pavés narratifs et de rares onomatopées. Comme Tarzan, il nous faudra observer ce monde pour le comprendre ; il ne se livre pas, il se gagne. Ce n'est qu'au bout de vingt planches sans le moindre phylactère que les premiers mots seront prononcés... La voix ne vient à nous qu'avec celle de Tarzan lorsqu'il l'apprivoise lui-même, répétant les paroles d'une chanson issue d'un vieux gramophone. Et avant qu'apparaissent les premières bulles un rien porteuses de sens, vous attendrez trente-deux planches !
Prévue en deux épisodes, cette BD se termine lors des premiers pas de Tarzan dans les hautes sociétés anglaise et américaine. Le second tome devrait, si les rumeurs disent vrai, être dessiné par un autre dessinateur. Wait and see.
Toujours est-il que, avec ses 87 pages pour un prix conseillé de 17,95 €, cet album offre une adaptation fidèle du premier roman qui apporte étrangement cette nouveauté au mythe : le respect.
On est loin des loufoqueries parodiques (Tarzoon, Georges de la jungle) ou des adaptations improbables que l'on a dû subir parfois en un siècle de productions diverses. Ici, pas de doute : on a un vrai Tarzan ! Comme Jane ou comme le capitaine D'Arnot, l'on ne peut qu'être convaincu que cet homme est le meilleur des protecteurs qu'il soit possible d'espérer dans une forêt inextricable dominée par des fauves affamés et des primates redoutables.
Si j'avais un reproche à faire, ce serait cette gênante ellipse entre la jungle et la civilisation, période de son apprentissage du langage et de nos mœurs... Mais je ne doute pas qu'il s'agisse là d'une déformation professionnelle d'enseignant qui aurait volontiers été témoin de cet épisode. Pour l'immense majorité des lecteurs, les quelques commentaires de l'homme qui ramènera Tarzan en ses terres britanniques, expliquant son adaptation progressive à la vie des hommes, devraient être amplement suffisants.
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