"L'art de l'assassinat – comme toute aptitude requérant quelque compétence – n'a rien d'inné, et tout d'acquis. Sa maîtrise s'appuie sur trois piliers : l'éducation, l'application et la répétition."
Voilà la phrase mise en exergue sur la quatrième de couverture du second tome de Decorum. Lors de la chronique du premier volet, nous n'avions pas été très tendres (si vous ne vous en souvenez pas, venez donc chercher dans cet article votre ration de haine)... eh bien, sachez que ce sera sans doute pire encore cette fois. Les fans de ce dessinateur et, plus encore, de ce scénariste pourront bien dire ce qu'ils voudront... nous, on sort les lance-flammes !
Évacuons d'emblée la phrase mise en exergue... Les assassins que l'on met trois ans à former dans ce tome 2 (puisque l'on suit "l'apprentissage" de Neah au sein de la Sororité) maîtrisent tout au plus un pilier : celui du comptoir. D'éducation, ils n'en ont que trop peu, au point de n'en faire jamais qu'à leur tête ; d'application, ils n'ont que celle qui leur était naturelle avant leur formation et de répétition, ils n'ont que cette manie de tirer assez de balles dans leur cible pour la couper en deux.
Vous dites détecter de la mauvaise foi dans ces propos ? Oh, oui... vous considérez peut-être que la pauvre planche d'entraînement tracée à la va-vite et répétée trois fois en début d'album est convaincante pour signifier l'entraînement d'un assassin supposé être la crème de la crème du métier. Admettons... ça ressemble davantage à ces montages clipesques ridicules des films des années 80 supposés servir de présentation d'un travail de longue haleine (coucou, Rocky, Karaté Kid et autres films de mon enfance), mais admettons.
Il n'en reste pas moins que les formidables qualités de ces assassins que l'on nous vend ici sont à la mesure de la démarche de tout l'album : de grandes promesses pour n'assister au final à rien de très remarquable. Ici, on nous annonce les assassins les plus redoutables de l'univers et l'on voit des filles cribler de balles à bout portant des pauvres gars ficelés sur des chaises... et encore, quand elles osent le faire. Quant aux autres, ils sont d'une imbécilité effarante et tombent dans les pièges les plus basiques. Si c'est l'élite des assassins de la galaxie, j'imagine que les autres sont morts de s'être accidentellement logé une balle dans le front en nettoyant leurs armes.
Plus sérieusement, si toutefois traiter cet album avec sérieux reste possible (ses auteurs ayant épuisé toutes les postures disponibles pour vendre leur came en lui donnant un semblant d'aura de crédibilité, en vain) : Neha Nori Sood a donc intégré la sororité, la fameuse confrérie de tueuses dirigée d’une main ferme par Ma (sorte de grosse tarée se baladant non stop avec l'épée de Cloud de Final Fantasy VII lui barrant le torse). La jeune femme y apprend les différentes techniques (que l'on ne verra jamais en application) qui feront d’elle une meurtrière aussi redoutable que méthodique (sur le papier, parce que ça reste une gourdasse). Imogen Smith-Morley l’assiste à chaque épreuve de fin d’année sur l’exécution d’un contrat mais comme Neha dégobille ses tripes à chaque fois qu'elle voit un mort, il faut bien se résoudre à considérer qu'elle n'est pas prête avant trois ans de formation..
Un jour, des émissaires de l’Eglise de la Singularité proposent à la sororité de partir en quête d’un œuf créé par les Mères célestes en échange d'un diamant de la taille d’une planète. Neha Nori Sood et les autres filles de sa bande d'éclopées professionnelles se dispersent donc partout dans l'univers pour mettre la main sur cet artefact. Sans aucun indice, sans aucune méthode, à la vas-y-comme-je-te-pousse.
Mais Neha va le trouver, cet œuf. Comment ? Bah, par hasard, là où elle se trouve... on va dire que c'est le destin, hein, à ce niveau-là ! La meuf regarde un bijou en vitrine (parce qu'elle est très concentrée sur sa mission) quand un voleur de sac en fuite la bouscule. Elle se bouffe la vitrine (la classe, ces assassins !), tombe en arrière où une voiture la renverse. Titubante, elle se redresse (quel charisme !) mais le sol s'ouvre sous ses pieds (non, on ne sait pas pourquoi, non) et elle tombe dans la flotte sous la ville... où elle voit un gigantesque polyèdre rosâtre. Elle sort de ce qui devait être un égout et se retrouve nez à nez (enfin, nez à façade) avec un bâtiment où est enchâssé le haut du polyèdre en question. Elle fait une ouverture dans le solide à l'aide de son canif laser (on sait, nous aussi, on est déjà largués à ce stade) et y pénètre. A l'intérieur, elle y découvre tout un biotope au sein duquel trône l'œuf convoité. Comme le contrat veut qu'elle tue la vie dans cet œuf, elle va bien entendu l'épargner (eh, c'est une professionnelle formée pendant trois ans, hein, pas n'importe qui !). Et pourquoi va-t-elle faire ça ? Ben, parce que l'occupant dudit œuf va s'avérer gaulé comme un dieu grec, tiens ! Oui, il a le crâne défoncé et ne parle pas bien mais il apprend très vite et va se révéler être le créateur du dieu de l’Église de la Singularité qui a pour but de reprogrammer sa création pour en faire un instrument amenant le Bien. Okay, pourquoi pas, on n'est plus à ça...
Les collègues de Neha vont vouloir la buter pour traîtrise mais comme ce sont des quiches et que les deus ex machina vont s'enchaîner, tout ira bien. Au final, elle essaiera de se faire passer pour morte mais n'y arrivera pas parce que retenir sa respiration sur une vidéo de dix secondes, c'est trop demander à une pro comme elle. Mais pas grave : elle va convaincre en un rien de temps toute la clique d'impitoyables assassins qu'elle a trahis de finalement l'aider dans une mission suicide d'attentat contre l'Eglise de la Singularité ; tout le monde accepte grâce à la seule force de persuasion du scénario. Restera à supporter ensuite le combat "dieu contre son créateur" le moins satisfaisant de l'histoire des combats en bande dessinée (voir l'image ci-dessus avec l'onomatopée "zzookk !") et un final d'une confondante banalité puis nous en aurons fini avec cette purge prétentieuse très loin de remplir la moindre ligne du contrat établi avec son lecteur.
Graphiquement, nous avons en la personne du dessinateur Mike Huddleston quelqu'un qui maîtrise son sujet, c'est indéniable : il use de multiples techniques, aborde plusieurs genres... parfois même au sein d'une seule et même planche. Tout ce que nous lui reprochions et tous les compliments que nous lui faisions dans la chronique concernant le premier volume reste d'actualité. Il fait pour le mieux avec le matériel qu'on lui demande d'illustrer.
Jonathan Hickman, lui, représente un autre genre de spécimen autrement plus contestable... Avec le premier album de ce diptyque, nous avions une narration inutilement alambiquée pour une histoire qui, au final, semblait relativement basique. À la lecture du second album, on se rend compte que quasi rien de ce qui a été mis en place avec peine ne sera jamais utilisé, qu'on nous a pondu un décor en béton pour accueillir une histoire en carton, que la situation initiale aura pris cinq fois plus de place que l'action, que la conclusion sera torchée en trois pages, qu'au final on nous a vendu comme magistral un comic book dont tout le mérite revient aux audaces graphiques du dessinateur qui a usé de mille stratagèmes pour tenter en vain de dissimuler la totale vacuité d'une histoire aussi prétentieuse que nulle à chier debout en pleine rue... Au final, ça pue l'esbrouffe et ça suinte de partout d'une autosatisfaction indue horripilante.
Ce tome 2 devient une compilation de blagues éculées, de poncifs usés jusqu'à la cellule souche, de facilités scénaristiques, de contresens et de raccourcis proprement insupportable. Et c'est dommage. Parce que la patte graphique est là et, au service d'un bon scénario de S.F., nous aurions été plus que preneurs ! Mais il va malheureusement nous falloir nous résoudre à fuir désormais Hickman comme l'on tente quotidiennement d'échapper à l'ennui.
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