Réalisé par Rodrigo Sorogoyen (on dirait le nom d'un fruit exotique... "mettez-moi deux papayes et quatre sorogoyens s'il vous plaît"), ce film hispano-français est à la fois un thriller étouffant et un drame réaliste, qui surprend par son atmosphère, dure et intimiste.
Mais commençons pas le début.
Antoine et Olga, deux Français, se sont installés dans un bled paumé de Galice, où ils tiennent une ferme tout en restaurant de vieilles bicoques. Tout devrait donc être pour le mieux dans la meilleure des campagnes, mais un conflit avec leurs plus proches voisins va lentement dégénérer jusqu'à aboutir à un drame.
Le sujet fait un peu penser à l'excellent film Les Chiens de Paille, voire même au moins connu et plus lumineux Prédateurs (un film hongrois datant de 2017 et intitulé Kojot en VO), mais le traitement va ici être bien plus radical encore. Car la force de ce long-métrage réside dans son ambiance, malsaine et pesante. Cette réussite est tout d'abord due à un très bon casting, notamment de la partie espagnole : Luis Zahera et Diego Anido incarnent deux pécores aussi détestables qu'inquiétants. Côté français, ça joue pas mal également, avec un Denis Ménochet impeccable dans son rôle de brave type pris dans la tourmente. Marina Foïs, même si elle ne s'en sort pas trop mal, est bien plus figée et éteinte dans son interprétation.
Toutefois, les acteurs ne font pas tout et c'est bien la mise en forme de ce drame qui va faire sa force. Et sa principale faiblesse.
Le réalisateur a tout misé sur la vraisemblance et les scènes longues et crispantes. Certains échanges, pourtant anodins sur le fond, finissent par ressembler à de véritables séances de torture mentale. La menace est latente, la malveillance constante, et entre deux sales coups, le spectateur comme les personnages demeurent anxieux, dans l'attente de la saloperie suivante.
Contrairement à la plupart des films d'épouvante, où l'angoisse naît souvent d'artifices et d'effets bien connus (musique, jump scares...), ici, l'on est au plus près de la vérité. On sent l'angoisse, la souffrance des personnages, le poids des regards et des présences. À ce niveau-là, c'est magistral.
Par contre, ce parti pris engendre aussi certains effets négatifs. Le film s'avère très long (137 minutes) et aurait probablement gagné en efficacité en passant en dessous de la barre des deux heures. D'autant que quelques scènes ne sont guères utiles ou clairement trop délayées. Le dernier tiers s'avère également moins sulfureux, même si là encore, quelques moments tendus viennent maintenir la pression et le côté incroyablement pénible et dangereux des frangins qui ont décidé de s'en prendre "au Français".
Une précision s'impose d'ailleurs à ce sujet. Certaines critiques parlent d'un film "sur la peur et la haine de l'autre", comme si ce qui se passe ici était totalement gratuit et dû uniquement aux origines des protagonistes. Ce n'est évidemment pas de ça qu'il est question. Le conflit qui met le feu aux poudres a au contraire des origines très pragmatiques et financières. Faut arrêter les conneries, tout n'est pas toujours une question de "tolérance" imposée et de "bienveillance" ridicule. Ce qui oppose les parties qui s'affrontent dans cette histoire, ce sont des intérêts contraires et d'ailleurs parfaitement exposés. Et même si la manière d'agir des deux "locaux" est ignoble et inacceptable, leur envie d'échapper à une condition sinistre et misérable se comprend tout à fait. Ce ne sont pas des tueurs fous mais des gens qui souffrent, c'est cela qui est encore plus glaçant.
Au final, As Bestas s'avère habile, original, mais il lui manque un brin de maîtrise narrative pour obtenir le statut de chef-d'œuvre que certains voudraient déjà lui discerner. Certes c'est bien au-dessus de la moyenne des films français (sans parler des blockbusters américains insipides), mais ça n'en reste pas moins qu'une curiosité qui tient la route.
À voir tout de même une fois donc, ne serait-ce que pour cette ambiance crispante et réussie.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
|