Nous avons régulièrement évoqué ici les implications de l'événement New 52 engendrant en France DC Renaissance, bouleversant l'ordre établi et les habitudes de milliers de lecteurs encore fidèles, et se poursuivant ensuite par les événements DC Rebirth puis DC Infinite. Mine de rien, pas facile de s'y retrouver dans l'univers DC avec les reboots à répétition, points d'orgue de remises en question qui n'ont pas toujours, loin s'en faut, abouti de la manière prévue par les têtes pensantes de la Distinguée Concurrence. Depuis l'ambitieux et monumental Crisis on Infinite Earths, des héros sont morts, puis ont ressuscité, et certains sont même re-morts. Ceux qui suivaient les séries de loin en loin doivent difficilement avaler l'idée de ces itérations opportunistes et peinent sans doute à intégrer la chronologie chaotique : Flash n'est-il pas décédé ? À moins que ce n'en soit un autre ? Il y eut ainsi d'autres Crisis, et d'autres désillusions. Puis Flashpoint donc, et un nouveau renouveau.
Prenons le cas de Robin - en tous cas, de l'un d'entre eux, le premier et forcément le mieux ancré dans l'imaginaire : Dick Grayson. On l'a vu s'émanciper de son bat-mentor par le biais des Teen Titans, allant jusqu'à adopter un nouveau nom de code, Nightwing, avant de devoir endosser le costume de Batman en différentes occasions. New 52 fait ainsi table rase de ces derniers événements et reprend à partir de Nightwing. Dick se retrouve plongé dans la Cour des Hiboux avant de trouver la mort après avoir été kidnappé par le Syndicat du Crime puis forcé de dévoiler son identité secrète au monde entier (une tragédie à suivre dans l'arc Forever Evil de 2014), s'ajoutant à la liste des partenaires du Chevalier Noir ayant passé l'arme à gauche, tels Jason Todd (Un deuil dans la famille) ou Damian Wayne. Un martyr de plus pour la cause du Caped Crusader.
Sauf que les héros ne meurent jamais vraiment et, puisque Todd a fini par revivre, pourquoi pas Dick Grayson ?
Le premier volume de la série Grayson nous place donc à ce moment de bascule. L'épisode 1 nous propose une introduction habile à l'intrigue qui sera patiemment mise en place par le duo Tim Seeley et Tom King : s'il est pauvre en action, il a le mérite de pouvoir plonger immédiatement le lecteur un peu perdu dans les arcanes de ce personnage. On y voit la troublante Helena Bertinelli (nom de code : Matron) se présenter devant Mr Minos, le chef secret au visage indiscernable de l'agence non moins secrète Spyral, afin d'y recevoir sa nouvelle mission, qui implique d'intégrer ce fameux Grayson - dont ils ont retrouvé la trace après son prétendu décès. Quelles que soient les buts de cette agence occulte, on peut comprendre très vite qu'elle dispose de moyens considérables puisque rien ou presque du passé de l'ancien acrobate devenu sidekick de super-héros puis leader d'un groupe de justiciers masqués n'est ignoré. Et voilà donc Dick Grayson catapulté Agent 37, énième avatar, énième nom de code pour ce garçon qui voit ici l'occasion de se révéler davantage en tant qu'homme - chose qu'il n'avait qu'imparfaitement accomplie en endossant le costume de Nightwing.
La suite se révèlera au moins aussi enthousiasmante que le laissait entendre le préambule : l'agent 37 va œuvrer aux côtés de Matron dans le but de repérer des individus ayant eu accès à des artefacts recelant de grands pouvoirs. Cette fois, les dessins poussifs de Stephen Mooney laissent place à la dynamique d'un Mikel Janin très à son aise, qui dope l'action et met parfaitement en valeur les capacités virevoltantes de notre héros (son style était déjà évoqué ici lors de sa participation à Batman Rebirth). D'autant que l'on sent également la présence de plus en plus importante de Tom King au script (culminant avec un sixième épisode, narré à rebours, ahurissant de maîtrise) qui installe la série sur un tempo enlevé, empli de bons mots et de situations équivoques, d'alliances et de mésalliances, le tout mêlant avec une bonne humeur jouissive les codes des histoires d'espionnage (agents fidèles ou infiltrés, messages codés, rumeurs, trahisons et armes secrètes) et ceux des comics de super-héros : l'univers cryptique de l'agence Spyral, agissant dans l'ombre des méta-humains, leur mâchant parfois le travail, voire carrément les empêchant de le mener à terme, sert de fil rouge à une série au potentiel enthousiasmant. D'autant que, même s'il s'affirme désormais totalement comme un homme libre et déterminé, ce Grayson hâbleur, beau parleur, puncheur et rigolard, qui tombe les filles et s'admire lorsqu'il accomplit des prouesses semble ne jamais pouvoir s'émanciper de l'ombre paternelle du Batman. Il nous incarne une sorte de 007 aussi élégant que nonchalant, version musclée de Sean Connery ou Pierce Brosnan, dont on se doute qu'il cache un mobile, un dessein bien plus sérieux, et qu'il dissimule un conflit émotionnel lourd dont les ramifications risquent de lui nuire. Pour le compte de qui agit-il vraiment ? Qui est ce Mr Minos dont personne, pas même Batman, n'est capable de déceler la véritable identité ? Pourquoi Spyral s'intéresse-t-elle de si près aux supers ? Et pourquoi Batman en a-t-il si peur ? Autant d'énigmes que nous vous laissons le soin de résoudre en lisant plus avant.
À suivre, donc.
NB. La série se situe donc avant Batman & Robin Eternal, et en constitue une introduction nécessaire.
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