Marée stellaire, de David Brin



Sorti en France en 1983, ce roman de l'ancien astrophysicien David Brin a immédiatement propulsé l'auteur au rang des futurs grands écrivains de SF du XXIe siècle, trustant les prix les plus prestigieux dans la profession (prix Hugo et Nebula en tête), confirmant tout le bien qu'on pouvait penser de lui avec Jusqu'au cœur du Soleil, qui pourrait se voir comme une sorte d'introduction à Marée stellaire et s'impose d'ailleurs comme premier volet de la saga en devenir Élévation
Celle-ci constitue le nœud gordien du livre, et une sorte de fil rouge de la série se déroulant dans un futur pas si lointain où l'Homme a été propulsé au rang des races galactiques qui ont toutes bénéficié de ce procédé par lequel une espèce, parvenue à un haut degré de responsabilité et d'évolution, se voit parrainée par une autre, doyenne, qui la fera accéder à un savoir incommensurable et au voyage intersidéral (en échange d'une forme de servitude plus ou moins longue et contraignante). Mais contrairement à Star Trek par exemple, où les Terriens ont dû attendre le "Premier Contact" pour s'émanciper véritablement, ici l'Humanité constitue une forme d'exception car personne ne parvient à expliquer comment (et surtout par qui) ils sont parvenus à la maturité spatiale. Ce qui fait de ces humains des "Enfants-loups", craints, honnis ou jalousés par la plupart des races dominantes. Et les Terriens de ne continuer à en faire qu'à leur tête puisqu'ils ont par la suite procédé à l'Élévation des espèces les plus évoluées sur leur planète-mère (dauphins et chimpanzés en tête) - mais sans pour autant leur demander cette contrepartie normalement exigée des races-clientes. Ainsi, des représentants delphiniens et simiesques siègent à l'Assemblée des Nations Unies terrestres, histoire de se serrer les coudes face à la voracité des extraterrestres.


Ce qui fait que dans cet avenir trouble, les Hommes et leurs acolytes néo-dauphins ou néo-singes marchent sur des œufs, sachant qu'ils sont attendus au tournant à la moindre erreur - et qu'ils n'ont pas les moyens de résister à l'assaut de certaines des races les plus belliqueuses.
Malgré ce contexte à la fois politique, stratégique et scientifique, Marée stellaire s'avère, de fait, et étonnamment, particulièrement enthousiasmant. 

S'il n'est pas le premier volume de la saga Élévation, il parvient à se lire plutôt aisément de manière indépendante : construit en dix chapitres subdivisés en paragraphes multipliant les points de vue - ce qui déroute au départ, mais finit par se justifier et apporter un réel confort de lecture - le récit nous plonge immédiatement dans les affres d'un équipage terrien qui s'est réfugié en catastrophe sur une planète océanique, le temps de réparer son vaisseau pris à partie lors d'un guet-apens tendu par des armadas entières de Galactiques (nom donné aux races ayant accédé au voyage spatial par le procédé de l'Élévation). Cachés dans les fonds sous-marins, conscients qu'il leur faudra un miracle pour échapper aux forces militaires lancées à leurs trousses (tout ça pour avoir déniché dans un secteur spatial désert quelque chose de si ancien qu'il pourrait faire vaciller les principes sur lesquels repose le fragile équilibre entre les civilisations doyennes), ils mettent au point un stratagème incroyablement risqué et couillu tout en essayant de survivre autant que possible dans cet environnement hostile, aux eaux chargées de métal et à la géologie totalement incompréhensible. 


Humains comme néo-dauphins (en plus d'un néo-chimp' scientifique) tentent de s'adapter d'abord, de travailler de concert ensuite et d'utiliser au mieux leurs compétences respectives malgré les secrets qui hantent certains membres (ceux qui dissimulent un cadavre antédiluvien ou une machine pensante extraterrestre, ceux qui ont mené des expériences génétiques interdites dont les conséquences engendreront inévitablement le chaos, ceux qui fomentent une mutinerie ou simplement ceux qui sont ouvertement amoureux d'un de leur collègue) tandis que, là-haut, en orbite, la guerre fait rage entre les destroyers et croiseurs intersidéraux qui se disputent l'insigne honneur de mettre la main sur ces "Enfants-loups". Et pour rajouter encore à la pression des officiers, d'étranges découvertes vont être faites sur la planète refuge : des falaises de métal, des arbres foreurs, des algues carnivores mais également une race d'êtres précognitifs qu'il faudra absolument préserver de la voracité des Galactiques, toujours prêts à s'adjoindre une civilisation qui leur sera entièrement dévolue pendant des millénaires, en contrepartie de l'accès au savoir universel et au voyage cosmique.


Sur un ton crescendo, le récit nous promène entre les nombreux protagonistes de cette histoire dantesque, pleine de suspense et de rebondissements, rappelant par moments l'ambiance d'Abyss et la tension d'Hypérion, mais sans jamais se départir d'un certain sense of wonder privilégiant les péripéties, les rapports étranges et l'aventure épique à la hard science. Le roman s'achève d'une manière échevelée, avec des hauts-faits, des sacrifices, des coups bas, des coups de génie, des coups durs et une ouverture magistrale vers d'autres niveaux : outre le sort de ces Terriens, pour la majorité desquels le lecteur prend immédiatement parti, se profile une intrigue plus lourde de conséquences, plus insidieuse mais aux répercussions qui pourraient être cataclysmiques. Tous les ingrédients d'un bon space-opera sont rassemblés, mêlant harmonieusement l'imagination débordante des grands classiques (entre Edmond Hamilton et Jack Vance) et la rigueur logique des écrivains des dernières décennies, tels Peter F. Hamilton


Le travail de David Brin sur le langage pratiqué par l'équipage (de l'anglique au ternaire delphinien) apporte parfois une touche de poésie savante qui n'est pas sans rappeler les visions d'Arthur C. Clarke (on n'est jamais très loin des Enfants d'Icare). Et malgré de solides bases scientifiques, ce livre s'appuie essentiellement sur ses personnages, tous choyés et dépeints avec beaucoup de tendresse, et dans un style agréable, parfaitement équilibré entre réflexions, dialogues pleins d'allant et descriptions non dénuées d'humour et de lyrisme (la manière dont sont présentées certaines créatures extraterrestres puise dans le charme désuet des couvertures des pulps de l'Âge d'or tout en insérant une bonne dose de vice).

Une réussite qui mérite largement sa farandole de prix littéraires.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un récit marquant dans l'histoire de la SF.
  • Un space-opera enlevé, imaginatif, foisonnant et solidement construit.
  • Une galerie de personnages disparates décrits par le menu.
  • Un décor aussi hostile que superbe.
  • La multiplication des points de vue, d'abord déroutante, s'avère parfaitement assimilable pour les habitués d'une narration cinématographique.
  • Une traduction méritoire.


  • Certains éléments liés au contexte cosmopolitique sont introduits petit à petit et peuvent déstabiliser le lecteur, surtout s'il n'a pas lu le premier volume.