Aurora #1 : Phénomènes


"Ils sont nés le jour de l'aurore.
Ils sont 222 000.
Ils sont la fin des temps."

Cette citation nous servant ici de chapeau barre le dos de l'album qui nous concerne. Sa couverture est reproduite ci-contre. 
À la lecture de ces quelques mots, à la vue de cette illustration d'un adolescent aux poings ensanglantés entouré de sortes de zombies aux yeux rouges sous un ciel assombri par un vol de corbeaux... une idée vous viendrait sans doute immanquablement en tête, non ? Quelque chose comme : "Oh bah tiens, ça semble avoir la subtilité d'une phrase écrite en caractères gothiques couverte de Stabilo, ce machin"... et vous auriez raison !
Nous tenons effectivement entre les mains une bande dessinée qui a cherché un contexte prétexte à des tueries, des massacres et du gore façon "du sang, des boyaux, de la rate et du cerveau ; je mets ça sur mes tartines, ça fait des vitamines".
C'est volontairement bourrin et défoulant. Ça le hurle à la face du Monde. Ça pose sur la table devant vous, en un geste de défi, une collection d'yeux fraîchement arrachés de leurs orbites en vous enjoignant à ne débuter la lecture qu'à condition d'être friands de récits apocalyptiques sans concession et baignant dans une violence sans retenue.
L'omniprésence du rouge sur sa couverture au vernis sélectif de bon aloi, son éditeur, (Soleil) que l'on ne peut pas soupçonner d'être frileux en termes d'exposition de violence, la présence de Bec (Bob MoraneTarzan #1Tarzan #2Le sanctuaire des hérétiques #1Le sanctuaire des hérétiques #2, CrusadersWest Legends #2 ou Prométhée et Olympus Mons pour lesquels il avait déjà confié le dessin à Stefano Raffaële) au scénario dont on connaît le goût pour les thrillers fantastiques grandiloquents... j'imagine que tout cela vous renseigne amplement sur la présence de violence dans cet ouvrage, non ?
Oui. L'album nous prévient depuis le début qu'il est ultra référencé, qu'il est le premier tome d'une série, qu'il va envoyer du lourd et qu'il est poisseux de sang comme le nourrisson ci-dessous. Mais... a-t-il autre chose à offrir ?



Il y a vingt ans de cela, une aurore boréale écarlate a traversé les cieux de la planète entière. Cet évènement géomagnétique sans précédent fut si marquant que tous les enfants nés ce jour-là furent surnommés "les enfants de l'Aurore" ; essentiellement parce que "les gosses du jour du ciel tout rouge", c'était moins vendeur.
En nous posant ces bases, l'album tient bien à nous préciser que, "au Moyen Âge, les aurores polaires prenant des teintes rougeâtres étaient associées au sang et à la guerre" par le biais d'un commentaire journalistique... c'est gentil, on ne l'avait pas deviné ; ce n'est pas comme si, durant dix planches précédant celle de cette révélation, nous avions eu des massacres perpétrés en ce futur proche qu'est l'année 2046 par des gens semblant tous avoir vingt ans et affichant ostensiblement une insensibilité elle aussi annoncée dès la couverture.
Vous nous voyez venir : cet album n'est pas un modèle de finesse scénaristique. Mais là où certains pourraient s'en offusquer, nous choisissons de ne pas lui en tenir grief tant il semble assumer le fait qu'il soit la énième mais assez réjouissante relecture de ce mythe moderne de la "génération d'élus", "génération atypique"... Ça peut même rappeler Le village des damnés généralisé à la planète entière, par certains aspects, mais peu importe : ces filiations sont assumées et c'est dans le reste que cette bande dessinée compte bien se faire remarquer... par sa façon différente d'aborder ce poncif du fantastique et de la science-fiction.
Mais retour à notre époque : les enfants de l’aurore sont tous assez renfermés sur eux-mêmes et souvent nettement plus intelligents que la moyenne mais tous sont en pleine santé. Depuis leur naissance, le monde a continué de tourner : crises diverses, apparitions de nouveaux virus, résurgences d’anciennes maladies, fusillades... la came routinière des journaux télévisés. Le récit nous en fait rencontrer plusieurs à leur naissance et lors de leur enfance. Manipulateurs, psychopathes, insensibles et colériques dès leur plus jeune âge, ils semblent attendre une connexion qui leur serait promise pour que, tous, de par le monde, se coordonnent en vue de la réalisation d'un objectif global.
Niveau dessin, le découpage est précis, la mise en page est très évocatrice et confère à l'ensemble, par son horizontalité quasi généralisée, une filiation quasi immédiate avec le cinéma.
Le trait réaliste est efficace même si très classique.
La mise en couleurs de Stéphane Paitreau est fonctionnelle... mais irréprochable dans son efficacité.

Nous avons donc là, certes, un album parfois ultra-violent qui aurait pu se satisfaire d'être bas du front mais la mise en place des personnages et de l'univers à laquelle il s'astreint est plus intéressante que ce que l'on aurait pu craindre.
C'est un tome 1 qui remplit parfaitement et de façon musclée son rôle de tome d’introduction. Évidemment, la majeure partie des explications sont à découvrir dans les tomes suivants, si toutefois l'auteur compte nous en accorder ; comme souvent avec ce genre de série, le dévoilement de l'intrigue et de ses enjeux est progressif et aide à tenir en haleine tout au long de l'album autant qu'à pousser à l'achat du suivant... c'est néanmoins de bonne guerre quand c'est bien fait.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une intrigante relecture du thème bien connu des enfants interconnectés et flippants.
  • Une prometteuse généralisation du phénomène à la surface entière du globe.
  • Une violence qui ne s'encombre pas de fausse pudeur.
  • Un dessin efficace et approprié au découpage cinématographique. 

  • Une scénario dont les originalités ne sont jusqu'à présent que dans les détails.
  • Un dessin réaliste finalement très générique à notre époque.