Jennifer Aniston a dit récemment qu’une génération entière de gamins était "offensée" par Friends et qu’écrire des comédies était plus difficile de nos jours, notamment à cause de la frilosité qui n’épargne pas l’industrie du divertissement.
Ça mérite quelques précisions.
Déjà, non, il ne s’agit pas d’une "génération entière" mais des plus cons et des plus braillards.
Avant internet, les plus évaporés finissaient dans un bar de village, à radoter leurs inepties à qui voulait bien les écouter. On a tous connu un Neness le picoleux, pas avare sur le pinard et les théories vaseuses sur l’Histoire, la politique ou la dernière série populaire. Mais auparavant, tout le monde s’en fichait de Neness, on se doutait bien qu’il n’avait pas la lumière à tous les étages. Il n’avait même probablement pas d’étages du tout. Aujourd’hui, le problème, c’est qu’internet a relié entre eux les Neness de chaque village. Et quand ils sont regroupés, ils font du bruit.
Certains estiment que la Terre est plate, d’autres que l’on doit brûler des livres parce qu’ils ne sont pas "inclusifs" (jamais vu une théorie se réclamant autant de l’inclusivité exclure autant de choses et de gens), d’autres que les vaccins servent à implanter des nanocapteurs permettant de contrôler les gens par le biais de la 5G, d’autres que Friends (ou n’importe quoi) est une infâme bouse fasciste.
Le problème ne vient pas d’eux.
Les Neness font du Neness, on ne peut pas le leur reprocher.
Quand je dis "nous", je ne parle pas des citoyens lambda mais des décideurs, des éditeurs, des producteurs, de ces gens tremblant à l’idée d’une vindicte, non populaire, mais imbécile et scélérate.
Le politiquement correct, le wokisme, la cancel culture, toutes ces saloperies importées des États-Unis, n’ont un pouvoir de nuisance que si on les prend en compte.
5000 abrutis qui gueulent en même temps, ça fait beaucoup de bruit, surtout quand des millions de gens raisonnables restent silencieux. Mais ça reste une frange négligeable de la population. Et quand bien même serait-elle moins négligeable qu’elle n’en serait pas moins inique et criminogène.
On ne peut pas prendre en compte l’avis des plus cons.
Ce n’est pas possible en médecine, dans le domaine technologique, en architecture, en géopolitique… et ce n’est pas plus recommandé dans le domaine de l’art et de la fiction. D’autant que tout, selon ces gens trop fragiles et trop désœuvrés, pose problème : Avatar, Tintin, Astérix, Lucky Luke, l'œuvre entière de Tolkien, le Club des Cinq, Crocodile Dundee, Blanche Neige, Retour vers le Futur, Les Goonies, SOS Fantômes, Petit Ours Brun, Les Schtroumpfs, Il était une fois l'Homme, Pomme d'Api, Martine, Bob Morane, l'œuvre entière de Jules Verne… et ce ne sont que quelques exemples de tout ce qui est déjà condamné pour sexisme, spécisme, racisme ou homophobie.
La grille de lecture est si délirante qu’elle permet de condamner tout et son contraire, pour la même raison. On est en pleine double pensée orwellienne ! Par exemple, Enid Blyton, l’auteur du Club des Cinq (une femme pourtant), est jugée sexiste parce que Annie (Anne en VO) est considérée comme étant trop féminine (elle est jolie, timide, gentille, discrète…) mais aussi parce que Claude (George en VO) ne l’est pas assez (elle est courageuse, décidée, indépendante et a un fort caractère). Donc, mettre en scène un personnage féminin, quelle que soit la manière dont on le fait, est "sexiste". Et ne pas employer de personnages féminins le serait bien entendu tout autant. C’est du 100 % perdant.
L’on voit bien ici que ce "camp de la tolérance et de l’inclusivité" est en fait un ramassis d'extrémistes barbares, souhaitant tout censurer et contrôler. Il suffit d’ailleurs que vous ayez une opinion quelque peu divergente de la leur pour que vous soyez aussitôt, à leurs yeux, exclu de la société. Paradoxe du camp du "bien", qui se permet les pires saloperies et exactions en s’auto-octroyant une immunité assez folle. Même l’Inquisition n’allait pas aussi loin.
Mais encore une fois, ces gens ont le pouvoir que nous sommes prêts à leur céder. Pour ma part, ça veut dire qu’il n’en ont aucun. En tant que lecteur, je ne souhaite pas que les fictions que je lis puissent être censurées au préalable par des commissaires politiques d’opérette. Et en tant qu’auteur, mon devoir est de les envoyer se faire solidement enculer.
Ne vous excusez pas pour avoir aimé une œuvre. Ne reniez pas votre plaisir, le passé et les auteurs talentueux qui vous ont fait vibrer. Ne tremblez pas devant ceux qui passent leur vie à gesticuler et à trépigner. Ne suivez pas ces commerciaux, prêts à tout brader, à modifier jusqu'au titre des romans, pour s'acheter un certificat de bienpensance, ridicule et sans valeur. Ne courbez pas l'échine quand l'honneur et le bon sens commandent de bomber le torse. Ne bradez pas notre Imaginaire et notre liberté.
Et si un demeuré vient pleurnicher sur votre épaule parce qu’il a été offensé par un livre ou un film, faites en sorte de lui apporter la seule réponse possible : fais avec !