"Nous, les humains, sommes toujours très occupés.
Tellement occupés que nous en avons oublié une chose importante...
Nous avons oublié de dormir."
Nous vivons dans un siècle de surstimulation permanente ; pas besoin de vous pondre une thèse sur le sujet, vous êtes en train de lire la chronique d'un inconnu sur un manga européen qui en est à son premier tome. En gros : vous prenez de votre temps de sommeil potentiel pour une activité qui n'existait même pas il y a quelques décennies. Et elle est très loin d'être la seule qui vous bouffe du temps de dodo (je hais les adultes utilisant de tels termes gagatisants pour se les appliquer mais c'est la chasse aux synonymes pour éviter les répétitions, je fais ce que je peux) : réseaux sociaux, jeux vidéo, geekeries de toutes sortes... On ne va pas vous faire la morale à ce sujet, chez UMAC... On est tellement rongés par le problème qu'on en a fait une vocation : partager avec vous nos avis sur certains de ces bouffeurs de repos pour éviter que vous perdiez du temps avec les plus dispensables, voire les plus mauvais, d'entre eux. Et c'est là que vous nous remerciez pour notre sacrifice... J'attends... Non ? Ah, vous êtes ingrats et de mauvaise volonté quand même !
Sleepy Boy n'est pas de ces loisirs que l'on vous recommandera de fuir à tout prix pour vous faire gagner quelques dizaines de minutes d'oreiller.
Ce premier tome signé Marika Herzog (Capacitas, Legacy of the Ocean, Grimoire, Demon King Camio, Whispering) et édité par Ankama est tout à fait recommandable et, s'il exploite convenablement à l'avenir les jalons d'ores et déjà posés, il risque bien de devenir un manga tout aussi divertissant que sémantiquement intéressant.
Posons le décor. Nate est un garçon pour le moins atypique : lorsqu'il s'endort, ses cauchemars prennent vie, sous la forme de petits fantômes noirs particulièrement agaçants qui empêchent ses proches de dormir depuis des lustres, lorsqu'ils ne les mettent pas carrément en danger.
Pour éviter toute catastrophe, le pauvre gosse se gave de canettes de café froid comme un courtier du Kabuto-Cho en pleine crise financière.
Comme si ça ne suffisait pas à faire de la vie du gamin un enfer léthargique permanent, d'étranges horloges géantes volantes apparaissent dans le ciel partout dans le monde, comme autant de rappels que le temps est important. D'étranges créatures les accompagnent, apparemment issues des royaumes oniriques, et bien des humains tombent peu à peu dans des sommeils permanents proches du coma.
Concomitamment (oui, "en même temps", mais je me la pète grave), les cauchemars de Nate se mettent à refuser de disparaître à son réveil et hantent le monde réel, ravageant sa maison et manquant de tuer toute sa famille.
Ajoutez à ça le surpuissant et ténébreux reflet de Nate qui semble vouloir prendre parfois la place du jeune homme dans le monde réel et vous commencerez sans doute à repérer quelques idées légères visant sans doute, dans les tomes suivants, à expliquer narrativement l'importance, trop oubliée de nos jours, du sommeil réparateur.
Nate décidera de quitter sa famille pour les protéger et trouvera refuge dans la "coloc des tarés", une bande de potes étranges dont certains sont humains (comme Chris et Alénia) et dont certains se présentent comme étant des entités oniriques (tels Lucian et ses quatre bras squelettiques lui sortant du dos ou l'étrange fleur qui a élu domicile sur l'épaule de Chris).
Vous l'aurez compris : on est en plein shônen, avec son ado en pleine quête initiatique, à la découverte de lui-même, qui réalise que l'amitié transcende les différences et que l'union fait la force (je suis belge, ça me parle). Mais cette fois, ça semble moins vain et fourre-tout qu'un One Piece (oh, ça va bien, les fans ; quand on a pour idole un mangaka qui fait écrire ses arcs narratifs par ChatGPT, on se la boucle à la glue !). Impossible de vous expliquer ce que l'on imagine poindre à l'horizon pour cette série sans trop en dévoiler mais il semble évident qu'elle a un message à faire passer et qu'elle compte bien le faire de façon originale et divertissante.
Formellement, c'est dessiné en respectant les standards les plus agréables et exigeants du genre. Même pour nos yeux pourtant formatés aux bandes dessinées européennes en couleurs et aux comics dégoulinants de teintes saturées, le noir et blanc de Sleepy Boy est parfaitement lisible. C'est uniquement dû à la maîtrise de la dessinatrice et c'est très appréciable car le contraire aurait fait regretter que seules quatre planches en début du volume soient colorisées et sur papier glacé. Alors que, dans le cas présent, l'on y voit surtout un bonus bienvenu (et ça va, hein, les Jean-Kévin ; je sais que c'est assez courant dans les mangas : je lisais du Masamune Shirow avant même que vous ayez imaginé que votre déversoir à pipi pouvait servir à autre chose).
D'ailleurs, si vous regardez même distraitement la troisième planche que nous vous présentons ci-contre, vous constaterez que le message de ce manga ne peut laisser grand doute : tous ces gens en monochrome, penchés sur autant d'écrans... Vous pourriez dire que ça manque de subtilité mais, l'attention se focalisant sur le personnage central, je pense que cela peut carrément échapper à une lecture un peu superficielle qui ne s'attardera que sur le compteur de caféine dans le corps de Nate. Entre subtilité relativement visible et évidente clarté, le message nous est introduit et sera sans doute par la suite développé... on a hâte.
Graphiquement attrayant, bourré de clins d'œil, de notes d'humour, de personnages attachants et intrigants, de bonnes idées et de rebondissements, ce petit bouquin devrait aisément trouver place dans votre poche.
Très personnellement, en ce qui me concerne, c'est le premier manga qui me donne envie d'en faire la promotion depuis un moment tant il apporte en fraîcheur. C'est d'ailleurs chose faite !
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