C'est l'été et quoi de mieux qu'un bon roman policier truffé d'énigmes, de symboles occultes et de références historiques ? Parce qu'il n'y a pas que Dan Brown et Umberto Eco dans cette catégorie de plus en plus prisée, laissez-nous vous présenter quelques ouvrages naviguant dans ces eaux sulfureuses, où chaque enquête menace de mettre au jour une conspiration ou une découverte pouvant changer la face du monde...
Eternalis est un roman de Raymond Khoury, édité en France aux Presses de la Cité en 2007, avec une traduction de Jacques Hubert Martinez.
L'action commence d'abord à Naples, en 1750. Dans les profondeurs de la nuit, trois hommes armés pénètrent le palais d’un marquis, l’accusent d’être un imposteur et le somment de révéler un certain Secret. Ledit marquis réussit malgré tout à prendre la fuite, laissant derrière lui un palais en flammes…
Puis nous voici en 2006, à Beyrouth. Mia a à peine le temps de faire connaissance avec sa mère, Evelyn, archéologue émérite et passionnée, que celle-ci est enlevée sous ses yeux. Un antiquaire venait de lui parler d’un codex orné d’un symbole antique, l'ouroboros – le serpent qui se mord la queue – et Evelyn avait compris la portée vitale d’une telle relique. Avec l’aide d’un agent de la CIA, Mia va tenter de démêler l’écheveau de cet enlèvement, lié à une conspiration qui pourrait bien, donc, "changer la face du monde…" (puisqu'on se tue à vous le répéter !).
Ceux qui avaient déjà lu Le Dernier Templier savent avec quelle efficacité Khoury promène son lecteur entre les lieux et les époques : ici, nous naviguerons au sein d'un bassin méditerranéen historique, depuis l'âge de l'Inquisition jusqu'aux Lumières, de Naples à Lisbonne en passant par Paris, jetant un regard aussi émerveillé que franchement critique sur cette société libertine qui, après avoir goûté aux espoirs humanistes, s'abreuvait de connaissances dans une débauche décadente tandis que grondait le peuple en mal de pain. Les palais et hôtels particuliers de la capitale française contrastaient par leurs fastes avec la puanteur d'une Seine surchargée d'immondices flottant entre deux eaux : des images aussi évocatrices que les geôles étouffantes de l'Inquisition dans laquelle œuvre Sebastian, personnage central de la partie historique, qu'on retrouvera sous différentes identités – dont celle, plus illustre, du Comte de Saint-Germain qui époustoufla (bluffa surtout) la cour du roi de France par ses dons prodigieux, son savoir étrange et… sa longévité.
Ces passages situés quelques siècles en arrière viennent ponctuer une enquête assez classique par sa facture, se déroulant essentiellement au Liban : une archéologue américaine vient de se faire enlever en plein jour par une bande lourdement armée. Officiellement, elle est soupçonnée de trafic d’œuvres antiques (dans une région qui a subi le pillage de son patrimoine depuis la Guerre du Golfe - il s'agit d'une accusation grave), ce qui plonge l’ambassade dans un malaise évident. Toutefois l'on découvre qu’elle est mêlée malgré elle, en raison d’une découverte qu’elle avait faite quelques années plus tôt, à la quête d’hommes soucieux de mettre la main sur un secret millénaire. Le symbole ornant la couverture, le titre français un peu trop évocateur mettront très vite le lecteur même profane sur la piste. Cette fois, même s’ils sont mentionnés, les Templiers [1] ne sont plus les dépositaires de la clef de l’énigme sacrée. On évoque ainsi aussi bien l’alchimie que la thérapie génique, la pierre philosophale ou les cellules souches. L’auteur cite aisément ses sources et l’on se surprend à voir dans certains personnages des éminences historiques (tel ce Di Sangro dont on peut voir une très belle chapelle à Naples ainsi que d'effrayantes « machines anatomiques »).
Le découpage du livre s'effectue par le biais de chapitres brefs, où l'action prédomine, afin de privilégier le suspense et les variations de rythme (l'agent Corben et Mia, tout en enquêtant dans le but de retrouver Evelyn, sont régulièrement aux prises avec les commanditaires de l'enlèvement ; fusillades, explosions et accidents scandent la progression de leurs recherches) : dès que cela commence à tirer en longueur, on saute à une autre époque. C'est parfois frustrant, souvent artificiel, mais cela permet d'entretenir la tension. En revanche, par rapport au Dernier Templier, les personnage semblent assez mal dépeints : l'on peine à éprouver de l'empathie pour Mia, pourtant volontaire et courageuse, et on définit mal les contours de la personnalité de Corben, de l'intrigant Kirkwood (un représentant des Nations Unies) ou de ce hakim sans nom, sorte de savant fou mâtiné de chef maffieux.
Cela dit, les décors sont engageants, même si l'auteur ne dédaigne pas insister sur les dessous de ces cités qui font rêver (le Paris ou la Lisbonne du XVIIIe siècle, la Beyrouth contemporaine) : cela n’en confère que plus de poids au contexte, sans s’appesantir outre mesure – il s’agit avant tout d’un livre fondé sur l’action.
La révélation finale, quoique poétique, est loin de remplir les espoirs qu'on pouvait décemment nourrir tout au long du périple de ces aventuriers : le gran finale s'avère bien pauvre, malgré quelques discussions intéressantes sur l'opportunité de dévoiler un secret qui bouleverserait la société humaine. Là où Spielberg choisissait de ne pas consumer la magie de la découverte et d'entretenir le mythe dans Indiana Jones & la Dernière Croisade, Khoury dévoile un mystère bien loin des attentes enflammées qu'on était en droit de nourrir.
Cela reste néanmoins divertissant et efficace.
[1] Les amateurs de Templiers ont déjà pu avoir sur Univers Multiples, Axiomes & Calembredaines un aperçu d'une petite partie de ce qui a été écrit sur ce sujet passionnant (en bande dessinée, comme dans la Fin des Templiers, en comics comme avec 1602 ou en roman avec le Secret du Treizième Apôtre).
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