Elle porte la culotte, bien que son mec exhibe la sienne.
Tout le monde connaît Lois, non ? La meuf de Superman. La donzelle n'est pas fille facile mais est pourtant passée entre les mains de bien des scénaristes. Au fil des années et sans prendre une ride, elle est passée de love interest de l'homme d'acier à journaliste respectée et crainte. Elle est désormais l'épouse à la ville de Clark Kent, le bouseux de Smallville cachant derrière une paire de binocles son identité secrète de Superman (parce que tous les reporters un peu bêtas ont la carrure d'un frigo américain, c'est bien connu ; nul risque donc d'être reconnu parmi eux tant il se fond dans la masse).
L'histoire débute lorsque Loïs Lane écrit un article dénonçant les détournements de fonds de la sénatrice Ann Mac Carthy et son exploitation de la misère de certaines familles américaines. Autant dire que, dans sa chambre d'hôtel bordélique devenue son "chez elle", Loïs ne laisse aucun doute quant aux intentions de caractérisation que lui réserve son auteur Greg Rucka : elle est une femme forte, indépendante malgré sa liaison avec l'être le plus puissant de ce système solaire et déterminée à présenter au grand jour des éclats de vérité.
Comme le lui rappellera Perry, l'indéboulonnable rédacteur en chef du Daily Planet, ce genre d'article peut mettre en danger une carrière journalistique. Mais si Loïs en est bien consciente, ce genre de menace est pour elle le gage qu'elle fait bien son travail.
Comme le lui rappellera Perry, l'indéboulonnable rédacteur en chef du Daily Planet, ce genre d'article peut mettre en danger une carrière journalistique. Mais si Loïs en est bien consciente, ce genre de menace est pour elle le gage qu'elle fait bien son travail.
Perry lui parle ensuite de la mort d'une journaliste russe avec qui Loïs entretenait des rapports conflictuels mais dont elle respectait l'intégrité : Marissa Vorovna. Cette dernière a souvent ouvertement critiqué le Kremlin et elle a aujourd'hui "été suicidée" dans son appartement.
Bien vite, cette nouvelle affaire va monopoliser Loïs qui va activer ses contacts pour en savoir plus, allant jusqu'à faire intervenir des personnages plutôt mystérieux...
Côté couple, Loïs vit toujours le parfait amour avec Clark Kent, même si les médias montrent à longueur d'antenne une photo volée où on la voit galocher Superman comme une affamée se jetant sur un steak.
Entre véritable enquêtes journalistiques, gangsterisme, paparazzades, interventions de Superman vite déclinées, péripéties métahumaines, occultisme et complications multidimensionnelles, rien ne sera épargné à Lane qui en devient certes un personnage fort mais aussi de moins en moins crédible, tant il devient improbable de voir une simple humaine tenir le coup émotionnellement face à tout ce qu'elle vit. Toutefois, la fin de ce tome offre à cela une explication originale et plutôt prometteuse en lien avec le multivers et la prise de conscience de son existence.
Le féminisme de 2023 ne peut pas être celui de Barbie
Permettez une petite digression ; il faut qu'on en parle ! Si les médias se plaisent à répéter ad nauseam que la réalisatrice de Barbie est la première femme a avoir rentré plus d'un milliard de dollars en un seul film, il n'en reste pas moins que c'est là un résultat économique certes louable mais finalement basé sur l'exploitation d'une œuvre bancale parfois juste assez niaise pour faire sourire, souvent maladroite et toujours mal construite, au service d'un propos peu clair et sans doute bien plus qualifiable de dogme que de réelle réflexion.
Présenté comme tenant un propos féministe, le film acidulé de Greta Gerwig nous présente en effet un Barbieland où le matriarcat est bien plus toxique que le patriarcat dénoncé à dix reprises en moins de deux heures. Il nous offre une héroïne dont l'apogée du féminisme est la fierté d'être en possession d'un vagin et des opposants prétendument virilistes ridicules et ne symbolisant au final qu'une critique idiote et terriblement cynique du capitalisme. Même les discours prétendument galvanisants semblent y être le résultat d'une recherche chat GPT sur le thème des dix concepts creux les plus récurrents du féminisme tels que défendus sur Twitter (désolé, je ne m'habitue pas à X... le réseau engendrant ses propres célébrités, j'ai du mal à les appeler "Stars du X").
En gros : l'héroïne du film Barbie est une cruche, ses ennemis sont des guignols prévisibles et son accomplissement en tant que parangon du féminisme est un pet de fouffe mouillé. Son rapport aux hommes est tellement vicié qu'elle ne peut même être présentée que comme ayant friendzoné Ken depuis toujours.
Loïs, elle, prend dans ce tome l'habitude de refuser l'aide de Superman, la personnification de la virilité s'il en est ! C'est bien entendu et avant toute autre chose un marqueur évident de la volonté de DC de continuer à affirmer qu'un simple être humain peut très bien, par sa grandeur d'âme, son intelligence, sa bonté, son courage, sa perspicacité, sa persévérance, faire le poids et avoir son mot à dire dans ce monde de super-héros et de super-vilains. Après tout, le héros devenu au fil du temps le plus emblématique de la firme n'est autre qu'un homme surentraîné déguisé en pipistrelle (qui fait d'ailleurs ici une courte apparition comme adjuvant très efficace dans la résolution d'une enquête).
Mais Loïs est aussi le reflet de son époque et se fait symbole d'une féminité certes magnifique mais surtout libre, forte, obstinée, ne s'en laissant compter par personne et mue par une force de caractère refusée la plupart du temps à toutes les héroïnes (surtout à cette connasse de Barbie dont la seule réaction face à l'adversité est de se coucher face contre terre au milieu d'une pelouse synthétique...). Loïs crée même une équipe féminine hétéroclite qu'il serait intéressant de pouvoir suivre plus avant. Voilà une sororité de battantes bien plus dignes d'être qualifiées de féministes que le personnage interprété par Margot Robbie (rien à reprocher au jeu de la comédienne, soit dit en passant, mais bien à l'écriture lamentable de ce nanar bouffi de prétentions illégitimes).
Loïs Lane : Ennemie du peuple est féministe. D'un féminisme ne faisant aucun doute quant à son message, quant aux qualités réelles de son héroïne, quant aux valeurs qu'il porte. D'un féminisme ne s'opposant pas idiotement aux hommes dans une essentialisation idiote mais sachant juste s'émanciper d'eux.
En gros : Lois Lane est une femme digne et fière, ses ennemis sont multiples, puissants et retors et son accomplissement en tant que femme est de jongler parfaitement entre une vie personnelle d'une rare complexité et une vie professionnelle d'une rare exigence. Son rapport aux hommes est on ne peut plus clair : elle traite d'égal à égale avec le mâle alpha ultime dont elle a fait son mari, son amant et le père de son enfant.
Alors, vous pourrez bien nous ramener toutes les fans de miss rose bonbon que vous voudrez pour hurler sous nos fenêtres que l'on n'a rien compris et que le film Barbie est un pamphlet magistral contre le vilain patriarcaca oppressif des mâles blancs de plus de cinquante ans, nous n'y verrons qu'un troupeau de gentilles idiotes inconscientes d'avoir enrichi lesdits mâles à la tête de Mattel en allant voir ce film anecdotique et opportuniste.
Dans ce récit noir, DC nous offre une approche plus réaliste et un regard à hauteur d'humain sur le monde des super-héros, comme d'autres séries de chez eux ont toujours eu à cœur de le faire, surtout dans le Batverse avec, en tête de proue, Gotham Central. Cela a bien entendu l'avantage évident de ne pas nous rendre totalement étrangers à l'intrigue mais aussi de conserver aux supers leur inaccessibilité, leur grandeur, leur exceptionnalité.
Les grands enjeux interplanétaires, c'est bien joli mais notre quotidien, ce sont des histoires de couples, des fake news, nos jobs, nos amitiés... et percevoir la toute puissance d'un héros à travers notre réel lui rend sa grandeur. Voir Superman bourriner un autre extraterrestre pendant des plombes n'a bien vite plus rien d'impressionnant : on est dans leur monde, plus le nôtre. Mais le voir à travers les yeux d'un citoyen de Metropolis, ça change tout !
Et s'il faut pour cela en passer par des moments de la vie quotidienne un peu lents et chiants, s'il faut que les apparitions super-héroïques se fassent plus rares, nous sommes néanmoins preneurs... même si, ici, le dosage est imparfait.
Lane, c'est cela : elle est l'œil à hauteur humaine qui voit ces héros, qui en témoigne et qui sait nombre de choses sur tout ce qui n'est pas réaliste dans les comics... et qui, comme à nous, lui semblent extraordinaires.
Dans un Monde (le nôtre) saturé d'histoires de super-héros souvent plus imbéciles et mal écrites les unes que les autres, souvent dessinées sans distanciation, souvent filmées sans grand talent, on en vient à ne plus les voir que comme des fictions ne faisant même pas l'effort d'une crédibilité minimale. Or, s'il y a bien une recette facile pour éviter le désintérêt du public pour tous ces univers, c'est précisément de les crédibiliser en les montrant du point de vue des humains qui sont témoins de tout cela.
L'intérêt principal d'un super-héros est précisément d'être super, très au-dessus de la norme. Et cela n'est perceptible que si la norme est elle aussi présente, si des humains normaux peuplent le récit.
Cet album est intégralement à hauteur d'homme. Et c'est aussi en cela qu'il est rafraîchissant : on se surprend à recommencer à comprendre la fascination que l'on peut avoir envers Superman lorsque l'on s'imagine au milieu de la foule qu'il survole. Mais pour ça, il faut que le point de vue offert par le dessinateur soit situé dans la foule et non aux côtés de l'Homme d'acier. Ce que fait très bien Mike Perkins.
Pour en finir en évoquant la qualité du dessin, d'aucuns, sans doute à raison, lui trouveront des points communs avec Sean Phillips dans sa façon d'appuyer son encrage mais il nous suffira de souligner que Perkins maîtrise les proportions anatomiques et est capable de nous offrir des personnages ayant le même physique plusieurs pages d'affilée pour que vous compreniez que, à style équivalent, nous ne sommes néanmoins pas ici en présence d'un tâcheron délivrant le service minimum. Sans être toujours irréprochable, le trait est ici agréable, reconnaissable et généreux en détails et en expressivité.
Alors si le personnage vous plaît et que vous attendiez une mise en valeur à la hauteur de son potentiel, c'est fait pour vous. Par contre, si vous vouliez des combats de gars en slips, il faudra vous adresser ailleurs.
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