Jason Todd est Red Hood. Bruce Wayne est Batman.
Ils furent un duo dynamique. Mais ça, c'était avant...
Initialement, il remplace Dick Grayson dans le costume de Robin alors que celui-ci prend son envol pour peu à peu devenir Nightwing. C'est petit à petit un Robin plus torturé qui se dessine, un Robin qui a même recours au meurtre. Ça dérape, Joker le fracasse à coups de battes pour obtenir la véritable identité de Batou (Un deuil dans la famille). Il est alors laissé pour mort et remplacé par Tim Drake dans la tenue du moineau. Il reparaît ensuite dans la peau de Silence, un criminel qui n'est en fait qu'un leurre créé par Gueule d'argile (Silence/Hush). Les rares fans de Jason ont été bernés. Sauf qu'il reviendra bel et bien mais ressuscité par Ra's al Ghul dans son Puits de Lazare (L'Énigme de Red Hood). Et comme c'est un fieffé galopin farceur, il aura pris pour son comeback le premier surnom du criminel qui deviendrait ensuite son bourreau : Red Hood, le futur Joker ! Sous cette identité, il va devenir la honte de la Bat Family, celui qui considère que le Joker aurait dû se prendre une balle dans le front bien avant de rencontrer sa route. Il va donc s'attaquer à la pègre de la façon la plus radicale qui soit, se mettant les pipistrelles à dos. Depuis quelques temps, il conserve ses armes à feu mais ne garde que des munitions incapacitantes, jugeant qu'il n'a pas plus que les truands le droit de prendre des vies. Sanguin, ce justicier borderline nous offre ici un tome intéressant et explorant les zones grises des vigilantes.
Dans cet album à la narration assez classique, Chip Zdarsky (Batman : The Knight, Batman : Dark City) nous invite à suivre Red Hood dans une enquête sur une nouvelle drogue qui fait des ravages baptisée "gouttes de joie". Désinhibant ses consommateurs et leur livrant des visions de bonheur, cette substance malheureusement souvent léthale (suite à des accidents subis lors d'hallucinations trop crédibles) fait forcément un carton dans les rues la ville la plus criminogène de l'univers DC : Gotham. Mais opérer sur le territoire de la Chauve-Souris signifie pour lui une modération accrue et un respect minimal des codes de Batman. Bien vite, en raison d'un jeune garçon risquant lui aussi à son tour de devenir orphelin, les deux héros vont se retrouver à enquêter bon gré mal gré sur la même affaire et vont devoir réapprendre à s'apprivoiser, tissant à nouveau un fragile lien de confiance malgré les débordements évidents de Jason et la psychorigidité digne d'une posture de parangon affichée par Bruce.
Le récit offre des flashbacks qui, une fois n'est pas coutume, s'avèrent bel et bien utiles en ce qu'ils permettront au lecteur d'apprendre ou de se souvenir des origines de la relation conflictuelle mais néanmoins poignante entre le jeune Jason et son ombrageux mentor. C'est que Jason Todd reste aux yeux de Bruce Wayne une sorte d'échec personnel... Or, les dernières pages vont offrir aux lecteurs une révélation bienvenue quant aux remords que nourrit le pourtant si vertueux Batman, lui qui porte son code moral de façon aussi visible que la cape dont il se drape... mais, comme sa cape dissimule son vrai visage, son code ne cacherait-il pas bien des doutes ?
Après tout, si Jason est devenu un assassin, n'est-ce pas parce qu'il a mal été encadré ? Mais, pire que tout, si Jason est mort, n'est-ce pas parce que Bruce n'a jamais, quant à lui, voulu franchir le cap et abattre le Joker alors que, pourtant, mille occasions s'étaient offertes à lui ?
Après tout, si Jason est devenu un assassin, n'est-ce pas parce qu'il a mal été encadré ? Mais, pire que tout, si Jason est mort, n'est-ce pas parce que Bruce n'a jamais, quant à lui, voulu franchir le cap et abattre le Joker alors que, pourtant, mille occasions s'étaient offertes à lui ?
Voyez ce tome au titre ostensiblement lié à Killing Joke comme une nouvelle réflexion sur le recours à la violence ultime pour mettre fin au parcours de criminels jugés irrécupérables ; un héros de Gotham doit-il se permettre l'usage des armes à feu au risque de prendre la vie d'autrui et de s'abaisser au rang de ceux qu'il combat ?
La relation tendue entre les deux hommes, le rythme haletant de la narration et les questionnements éthiques se devaient d'être soutenus par un dessinateur à la hauteur. C'est Eddy Barrows qui s'y colle avec une patte classique et mature aux traits expressifs légèrement contrebalancée par les couleurs très ombrées mais assez vives d'Adriano Lucas. Cela donne au volume une ambiance sombre mais très lisible loin d'être désagréable.
Ajoutons à cela que le dessinateur ne lésine jamais sur les angles de vue audacieux, les postures héroïques les découpages originaux et les contrastes très prononcés et l'on a un comic qui tient ses promesses et est, au final, aussi sec et brutal que son personnage central.
Notons, en bonus bienvenu, les interventions de Barbara Gordon dans son rôle d'Oracle qui, à plusieurs reprises, semble être le Jimini Cricket de Jason, lui offrant de l'aide et une oreille attentive, rappelant au jeune homme que, même s'il est sorti du cadre depuis longtemps, la Bat Family reste pour lui un recours possible et une famille dont on ne se défait pas si facilement : Batman voudra toujours l'arrêter dans ses tueries, mais ne pourra jamais s'empêcher de tenter de le sauver et le voir comme un fils dont il se sent responsable ; Red Hood aura beau toujours en vouloir à Batman pour maintes raisons, il ne tolérera jamais qu'on mette celui-ci en danger sans pouvoir réagir.
Un album certes dispensable, mais très honnête et parfois un peu audacieux, dont le message est au final porteur d'espoir et d'une possibilité de rédemption pour un personnage parfois trop facilement relégué au rang de chien fou du Batverse...
Batman tire sa légitimité de son refus de tuer des criminels, mais au prix de combien de vies innocentes, en retour ? Partant de là, Red Hood est en réalité une création malheureuse de cette rigidité morale... comment un père pourrait-il totalement renier un fils dont il a indirectement provoqué la chute ?
Batman tire sa légitimité de son refus de tuer des criminels, mais au prix de combien de vies innocentes, en retour ? Partant de là, Red Hood est en réalité une création malheureuse de cette rigidité morale... comment un père pourrait-il totalement renier un fils dont il a indirectement provoqué la chute ?
[Retrouvez également la critique de Thomas, un brin plus élogieuse, sur son site consacré aux comics Batman.]
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