Le Dark Knight a rarement aussi bien porté son nom.
Parce que oui, ce tome 1 de Batman Nocturne dévoile sans conteste une ambiance sombre et même gothique que nous n'avions plus vu envelopper la chauve-souris depuis un bail... Petite plongée dans l'obscurité des ruelles de Gotham et de l'âme de Bruce, toutes deux hantées de démons et de tourments.
Enquêtant sur un réseau de contrebande, Batman fouille un entrepôt sur les quais de l'East Side. Tout à sa routine, il se permet même de prendre des paris sur le temps qu'il mettra à se débarrasser de quelques criminels qu'il y croise, ne s'inquiétant guère, de prime abord, d'une performance un rien moins éclatante que prévu. Il tombe alors nez à ce-qu'il-reste-de-nez avec Bruno Maroni. Il faut en effet peu de temps pour que le mafieux se contorsionne de douleur et se transforme en énorme créature dégoulinant de liquide verdâtre et totalement légitime à postuler pour le rôle de bestiole la moins sexy à plusieurs lieues à la ronde. Le combat s'engage mais Batman semble affaibli et, bientôt, le voilà contraint de reconnaître qu'il est à bout de souffle et que son cœur s'emballe. Telle une dea ex machina armée d'une arbalète et de deux sabres, Talia Al Ghul intervient alors et met fin aux jours de ce qu'il restait de Maroni d'un carreau en plein front. Toujours bien pratique, quand on est un héros qui s'est juré de ne tuer personne, de connaître des gens n'ayant pas ces scrupules !
La belle Talia... Oh, pardon... On m'appelle... Vous dites ? Ne décrire une femme que par ses qualités physiques, c'est sexiste ? Eh bien soit... Talia, la tueuse confirmée, fille de Ra's al Ghul, qui a empoisonné puis violé Bruce Wayne pour avoir de lui un fils... c'est mieux, les féministes ? Talia, donc, était en fait là pour avertir Bruce qu'une nouvelle force allait entrer en jeu à Gotham et que le Bruce diminué qu'elle voyait là n'avait pas des masses de chances de pouvoir longtemps y faire face.
Bruce s'inquiète pour sa santé, même s'il le nie auprès de ses proches, alors même qu'un certain Arzen, fils de la famille Orgham, est envoyé en mission par sa mère pour récupérer des terres qui, selon elle, appartiennent à leur lignée depuis des siècles : celles de Gotham, à commencer par les ruines d'Arkham.
Comme l'excellent La Cour des Hiboux avant lui, ou même White Knight, ce tome s'interroge sur l'identité des familles fondatrices de la cité... et les Orgham semblent bien convaincus d'en être même les légitimes propriétaires. Ram V s'intéresse donc à cette puissante dynastie mystique dotée de pouvoirs ancestraux.
On pourrait certes regretter que l'on revienne encore pour la foultitudième fois (j'ai le droit d'inventer des mots hors de toute réalité, c'est la jurisprudence "Dieu, Chance et intégrité en politique") sur le thème éculé du passé mystérieux de la ville mais c'est fait avec une relative subtilité.
Cette nouvelle menace Orgham est accompagnée d'une autre, plus ancienne, plus sourde, que Bruce aimerait faire taire mais qui le consomme ou le consume (au choix). Une menace qui tire parti de la faiblesse actuelle de notre justicier... un démon qui le ronge.
Le récit principal a des teintes gothiques et horrifiques pouvant évoquer des œuvres de Lovecraft ou Le Fantôme de l'Opéra, avec d'ailleurs une allusion permanente à une musique séculaire qui hanterait les bas-fonds de la ville. Les pavés de texte, eux, sont souvent assez littéraires et la traduction par Thomas Davier a quelque chose de grandiloquent qui flatte le lecteur mais dissuade rapidement de se lancer dans la lecture de la version originale si l'on n'a pas un niveau vraiment avancé dans la langue de Captain Britain (je n'aurais jamais pensé le placer quelque part un jour, lui !).
On a donc un soupçon d'enquête, de l'ambiance gothique, du mysticisme, des pouvoirs, des combats... et, pour mettre tout ça en images, l'ami Rafael Albuquerque. Il est vrai que American Vampire lui a permis de se faire la main sur la plupart de ces thématiques. Comme à son habitude, il livre une copie soignée, tant au niveau de l'encrage que de la mise en page, des angles de vue ou des expressions faciales des différents personnages. Les couleurs de Dave Stewart ont, elles, le bon goût d'être au diapason de l'ensemble et collent fort bien à l'ambiance. En somme, rien à reprocher à la trame principale.
Mais on ne trouve pas seulement dans ce tome ces premiers épisodes de Detective Comics écrits par Ram V en parallèle de la série Batman Dark City écrite par Chip Zdarsky. Il y a aussi des backups qui sont ici intelligemment intégrés au fil du récit aux moments les plus opportuns.
Ce sont des interludes dont la plupart se concentrent sur le sort de Gordon qui, maintenant qu'il n'est plus commissaire, se cherche une utilité. Lors qu'une enquête qu'il mène pour retrouver le fils d'une prostituée, il s'aventurera dans les ruines d'Arkham et rencontrera un nouveau personnage très énigmatique en la personne d'un jeune homme aux capacités exceptionnelles mais à la mémoire défaillante. Simon Spurrier au scénario, Dani au dessin et Dave Stewart aux couleurs... ce n'est pas aussi beau que l'histoire principale mais ce n'est pas inintéressant.
Le volume se termine sur Leitmotiv, un extrait du Detective comics 2022 annual qui, lui, n'a rien de bien passionnant : il remonte en 1776 et nous vend l'idée selon laquelle cette époque avait déjà son Gotham, son Batman, son Cobbelpot... mais sous d'autres noms. Totalement dispensable, comme idée... et, à dire vrai, s'il s'avère que ce n'est pas le cas et que ça doit être réexploité à l'avenir dans les tomes suivants, ce serait bien dommage ; ça ne vend pas du rêve !
Globalement, donc, un tome 1 qui donne envie de retrouver bien vite ce Batman affaibli et travaillé par un démon intérieur, confronté à une puissante famille jouant avec l'ésotérisme, le mysticisme et apparemment la nécromancie, le tout dans une ambiance gothique... Avouez que ça semble prometteur, non ?
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