Écho #17 : Aquaman Andromeda



En juillet 2023 paraissait en France, dans la très intéressante collection "DC Black Label" chez Delcourt, une nouvelle aventure d'Aquaman, tirée d'une mini-série en trois épisodes : Andromeda. Si la couverture frappe l'œil par son graphisme singulier, c'est également le nom du scénariste qui risquera d'attirer l'attention de l'amateur : Ram V, le père des remarquables These Savage Shores et Toutes les Morts de Laïla Starr s'attaque donc à un des membres de la Justice League. Forcément, le connaisseur comme le profane sont sur des charbons ardents. D'autant que le pitch est plutôt prometteur et semble laisser davantage de place à l'intrigue et l'ambiance plutôt qu'aux sempiternelles luttes entre super-héros et super-pas-gentils.

Commençons par évoquer le point Nemo, endroit situé en plein cœur du Pacifique, considéré comme étant le plus éloigné de toute terre habitée : le spot parfait pour y balancer les restes de fusées, sondes et autres satellites hors d'usage. En ces abysses insondables se cache le cimetière de la technologie humaine. C'est vers ce secteur que l'Andromeda, sous-marin expérimental, aux membres d'équipage triés sur le volet, navigue à présent en secret, afin d'y découvrir ce qui reste de l'engin qui vient d'y tomber. Évidemment, aucun des scientifiques présents ne dispose de tous les éléments ni de tous les enjeux, et chacun d'entre eux cache un lourd passé qui pourrait avoir des conséquences néfastes sur les décisions à prendre. L'on pense très tôt à 2001, l'Odyssée de l'espace, ou Abyss, voire au troublant et plus récent Vision aveugle. Sauf que l'Andromeda n'est pas seul au fond des mers, territoire sur lequel règne Aquaman et où rôdent des pirates modernes. Ils sont donc plusieurs à vouloir percer le mystère de l'objet tombé des cieux : quelle est son origine ? Pourquoi le capitaine du sous-marin est-il aussi nerveux ? Pourquoi cette introduction avec les rêves et souvenirs non seulement d'Arthur Curry, roi de l'Atlantide et compagnon de route de Superman et Batman, mais aussi de plusieurs des membres d'équipage ?
  
La lecture apportera docilement ses réponses, mais au gré d'une narration éclatée toute en retenue, privilégiant l'atmosphère presque onirique et définitivement oppressante des bas-fonds, qui livrera une expérience plutôt étrange. D'abord par l'encrage particulier de Christian Ward, qui insiste sur des couleurs fluo au sein d'une gamme de bleus intenses et gomme les traits de ses personnages, reconnaissables uniquement en gros plan. Pour le coup, on peut tiquer face à l'approximation des contours pour toutes les silhouettes secondaires, surtout pour les amateurs de ligne claire. D'ailleurs il est quasiment impossible de déterminer la forme précise du sous-marin ou de l'objet venu d'ailleurs (heureusement, un carnet de croquis en fin d'ouvrage nous aide un peu à ce sujet). Tout se passe comme si l'on était plongé en transe, dans un rêve à l'intérieur d'un rêve.

Il faut ensuite avouer que l'intrigue laisse Aquaman (et l'univers DC) de côté pendant une bonne partie de l'album, avant de finalement utiliser le héros d'une manière peu habituelle. Ram V, par son récit à la plume élégante, entrecoupé de réminiscences et de légendes (qui feront sens sur la fin), de sentences philosophiques et de planches en pleine page aussi étourdissantes qu'inintelligibles, construit une histoire qui se ressent plus qu'elle ne se lit. Quasiment pas d'action au menu, pas de combats surhumains, pas d'explosions titanesques, juste un groupe de personnages bourrelés de remords et de scrupules, des pirates high-tech, un roi des mers qui se cherche et une "chose" qui gît au fond de l'eau et les attire tous dans sa toile.

Intrigant, un récit déroutant qui finit par captiver grâce à un style classieux.