La Parenthèse de Virgule #45




Bonne année les Matous ! 
Pour bien commencer 2024, je vous ai réservé une Parenthèse exceptionnelle, avec des Nazis, Kate Bush, une machine à faire pleuvoir et une bonne grosse injustice, bref, un conte tragique et merveilleux, à la frontière de la science et de la métaphysique. Mais réel. Ouep, rien que ça !

I still dream of Orgonon
Tout commence en 1897, dans l'ancien Empire austro-hongrois, par la naissance de Wilhelm Reich. Simple fils de fermier, il va connaître un destin plutôt inattendu. Il fuit son pays, une première fois, lors de l'arrivée de l'armée russe, en 1914. Il va combattre sur le front italien puis rejoindre Vienne où il deviendra docteur en médecine. Pas rien déjà, vu le point de départ, non ? 

Wilhelm va s'intéresser à la psychiatrie naissante (suffisamment pour devenir lui-même psychiatre) mais aussi à la philosophie ou encore aux sciences naturelles. Il va rencontrer Freud et devenir un psychanalyste important, au point de diriger des séminaires et publier divers ouvrages. Il va créer un groupe de médecins et d'infirmières pour venir en aide aux plus démunis. Il va également créer un dispensaire psychanalytique gratuit. Retenez bien ça, c'est important pour la suite : ce mec n'a rien d'un vampire suceur de pognon. C'est un authentique philanthrope, faisant preuve d'abnégation et de bienveillance. Attention, pas la "bienveillance" à la woke, où des demeurés incultes chialent pour des conneries, non, lui c'est un type instruit, utile, qui œuvre sur le terrain. 

Reich déménage en 1930 à Berlin, où il se dit "tiens, si je devenais communiste ?". Déjà pas une bonne idée à la base, mais à cette époque et en Allemagne, tu n'as pas le sens du timing mon Wilhelm !
Il se lance dans diverses recherches, assez étonnantes mais prometteuses.
Surtout, à partir de là, il va se mettre le monde entier à dos. Parce que les mondanités et la diplomatie, ce n'est définitivement pas son truc.

En 1933, il est radié de l'Association Psychanalytique Internationale (probablement à cause d'un désaccord avec Freud). Il est aussi viré du Parti Communiste Allemand (ah...) mais, comme il est communiste et juif (bon là, il n'y met pas du sien, il faut bien l'admettre), et que l'on est en 1933, ben... il fuit l'Allemagne et son nouveau régime (quand ça veut pas...). Les Nazis vont alors cramer ses bouquins. Pas juste les siens, mais ils seront dans le lot.

Le gaillard passe par l'Autriche, le Danemark, la Suède, la Norvège, l'Angleterre (il aurait pu fonder le Guide du Routard à l'époque) avant d'atterrir aux... États-Unis. De nouveau une très mauvaise idée. Vous allez voir. 
Il commence par enseigner la psychiatrie à New York. Il est encore, à ce moment, considéré comme un médecin consciencieux et un grand spécialiste de la psychanalyse. Ça ne l'empêchera pas d'être arrêté après l'attaque de Pearl Harbor par les Japonais, parce que Hoover (déjà à la tête du FBI) le soupçonnait d'être un espion nazi. Pour que vous soyez dans le collimateur de Hoover, il faut quand même que vous vous soyez fait un nom. Wilhelm passe Noël 1941 en taule mais ressort rapidement.

Il achète, en 1945, une propriété dans le Maine qu'il nomme Orgonon. Ah, j'ai oublié de vous parler de l'orgone ! Wilhelm Reich se targue d'avoir découvert une forme d'énergie primordiale, qu'il appelle l'orgone. Cela se rapproche en fait du ki des Japonais par exemple, ou du chi des Chinois. Il va mener de nombreuses expériences, plutôt encourageantes, sur le sujet et commencer à inventer divers dispositifs afin de soigner certains patients, en rééquilibrant leurs énergies internes. 
Tout ce qu'il tente n'est pas concluant, bien entendu (il essaiera même de voir si l'orgone protège des irradiations (pas sur des humains hein, sur des objets) : la réponse est non), mais en tout cas, il tente, il cherche, c'est un scientifique à l'ancienne, bien plus animé par la soif de connaissance que par le désir de plaire aux pontes du milieu ou d'obtenir des subventions. 

Il va également concevoir une étrange machine, le cloudbuster, censée pouvoir faire pleuvoir sur commande (déclencher préventivement la pluie n'est plus aujourd'hui si fou, mais à l'époque, l'idée est considérée comme farfelue). Souhaitant toujours exploiter sa découverte, il développe également des "accumulateurs d'orgone", des sortes de cabines dans lesquelles les patients peuvent venir se rééquilibrer. Même certains de ses détracteurs les plus véhéments seront obligés d'admettre que ces machines avaient un véritable effet.
Reich ose, il fait des suppositions, il rêve, il se fiche du "qu'en-dira-t-on ?" et... il obtient des résultats. Parfois confirmés par la science moderne. Mais à l'époque, tout cela dérange et ne fait pas très sérieux.

Il va susciter de nombreuses critiques, être accusé de ne pas se soucier de ses patients (rappelons qu'alors qu'il débutait, il les soignait gratuitement, on peut difficilement faire mieux en termes d'abnégation), d'être un charlatan... Ses confrères, grands courageux mordant en meute un homme déjà à terre, le raillent. 
Après quelque temps, la FDA (Food and Drug Administration) s'en mêle et lui ordonne de ne pas développer ses accumulateurs dans d'autres États et de ne pas en faire la "promotion" dans ses écrits (tout cela est assez long et complexe, mais en gros, l'administration US commence à tenter de le museler et à le harceler judiciairement). Mais Wilhelm, ce n'est pas le genre à se laisser démonter parce qu'un fonctionnaire tousse un peu fort. Il considère notamment qu'un tribunal civil n'a pas la compétence pour juger de l'intérêt scientifique de ses découvertes et l'envoie donc copieusement se faire mettre. Il ne se rend pas à une des convocations du tribunal et est alors arrêté, chez lui, en pleine nuit, devant Peter, son fils de 12 ans.

Il est condamné à deux ans d'emprisonnement pour "outrage à la cour" (c'est un outrage apparemment de considérer qu'un fonctionnaire inculte n'a pas de formation scientifique) et... il va mourir en détention, d'une crise cardiaque. Le gouvernement ordonne alors la destruction de ses machines et de ses écrits.
Wilhelm Reich devient le seul auteur et scientifique a avoir fait l'objet d'autodafés à la fois par le Troisième Reich et le gouvernement américain.

Tout cela ne s'arrête pas là. Vous vous souvenez du petit Peter ? Le fiston ? Eh bien, il va écrire un livre, A Book of Dreams, dans lequel il évoque ses souvenirs et le destin fou et tragique de son père. Et ce livre, il va faire son chemin et aboutir entre les mains d'une certaine Kate Bush. La chanteuse dévore l'œuvre et en ressort profondément affectée. Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Un gamin dont le père invente des machines à faire pleuvoir les nuages, qui échappe aux nazis mais vient se faire persécuter aux États-Unis et y mourir ? Elle va alors écrire une chanson restée célèbre, mais dont peu de gens comprennent le sens : Cloudbusting. Cette chanson commence par... I still dream of Orgonon.

Les travaux de Wilhelm Reich font appel à la médecine traditionnelle occidentale mais explorent également des domaines plus ésotériques, qui sont bien connus aujourd'hui, notamment dans la médecine traditionnelle chinoise ou hindouiste. Si cet homme avait pu poursuivre ses recherches, il aurait peut-être été le lien entre les avancées occidentales stupéfiantes (et utiles) et le savoir ancestral (et tout aussi indispensable) venu d'Orient. Il en a été empêché par tous les gouvernements dont il soignait pourtant le peuple. Sa mort a finalement été précipitée par des gens "très bien", qui pensaient défendre la liberté et la justice. 

Il ne reste aujourd'hui de lui que quelques orgonites symboliques et une entêtante mélodie.


De l’irréel résulte l’impuissance ; ce que nous ne pouvons concevoir, nous ne pouvons le maîtriser.
Wilhelm Reich

Lorsqu’il n’y aura plus d’amants heureux, le ciel perdra sa couleur.
Wilhelm Reich