The Nice House on the lake



Imaginez un peu le tableau : une dizaine de jeunes adultes répondent à l'invitation d'un ami commun, Walter, pour passer quelques jours dans une luxueuse maison au bord d'un lac dans le nord du Wisconsin. Le cadre est somptueux et ils s'apprêtent à passer quelques vacances délassantes lorsqu'ils apprennent soudain que l'apocalypse s'est abattue sur la planète. Les dernières nouvelles sur les canaux d'urgence évoquent rien moins que la fin du monde (des tempêtes de feu, les chairs qui fondent). C'est le moment que choisit Walter pour leur annoncer qu'ils seront à l'abri dans cette maison, à condition qu'ils n'en sortent pas...

Voici le point de départ de The Nice House on the lake. 



Ce pourrait ainsi être un récit comme tant d'autres, une histoire d'Armageddon destinée à révéler l'instinct de survie de chacun, la capacité de s'adapter et de conserver les valeurs sur lesquelles reposent les sociétés humaines. De La Nuit des morts-vivants à Contagion, en passant par les excellents Les Fils de l'Homme ou Snowpiercer, le cinéma s'est nourri de la fin des temps à coups de zombies, de virus, d'attaque extraterrestre ou de dérèglement climatique. Sans oublier une énième venue de l'Antéchrist quand ce n'est pas une guerre nucléaire ou des IA qui se rebellent. On serait ici plus proche du propos de Leave the World behind, film déroutant disponible sur Netflix

Bien entendu, ni la littérature (citons par exemple Le Fléau - simplement parce que sur UMAC, il est toujours de bon ton d'évoquer Stephen King) ni surtout la bande dessinée ne sont en reste sur le sujet : il suffit de voir l'impact d'une série comme The Walking Dead de Robert Kirkman sur la culture populaire, elle-même immédiatement adaptée à l'écran. Sans parler de Crossed...


Donc un récit de fin du monde de plus, penserez-vous. Sauf que celui-ci a de très sérieux atouts à faire valoir : non seulement il a hérité du Prix de la Meilleure Série au Festival d'Angoulême de 2024 (après avoir décroché pas moins de quatre Eisner Awards les années précédentes),  mais son scénario saura vous happer dès les premières pages par sa maîtrise formelle, sa construction ludique et son découpage percutant. À la croisée de Lost, Les Dix Petits Nègres et Yellow Jackets, l'histoire est bourrée de petits indices qui vous pousseront à revenir régulièrement en arrière afin de vérifier un nom, un fait, un détail troublant, et qui s'appliqueront à réduire vos hypothèses à néant. Car le récit se nourrit de votre imaginaire, et l'auteur de Something is killing the children use des références dont vous disposez certainement pour densifier son propos, tout en parvenant à placer des happenings au moment propice et en levant très progressivement le voile sur les nombreux mystères entourant ce séjour opportun.

Chaque chapitre s'ouvre avec l'un des protagonistes s'adressant au lecteur, seul au milieu d'un contexte plutôt chaotique, paré pour la survie. Ensuite on bascule en ce mois de juin 2021 dans cette luxueuse demeure, avec l'arrivée des invités, tous identifiés par un nom de code que le dit Walter leur a attribué. Certains sont en couple, d'autres se sont fréquentés, d'autres encore ont étudié ensemble : ils ne se connaissent pas tous, mais chacun d'entre eux est incontestablement lié à ce Walter - ce qui nous vaut, par la suite, quelques séquences en flashback sur des discussions passées, discussions parfois intenses qui font tout le sel du scénario et enrichissent considérablement les personnages en illustrant un trait de caractère, une manie, un penchant, voire des rêves ou des projets. Ce qui fait que ces individus, tous différents, allant du COMIQUE décomplexé à la SCIENTIFIQUE cool en passant par l'AUTEUR taciturne (les noms sont volontairement écrits en capitales pour faire écho à la mise en page de James Tynion IV), acquièrent une densité considérable, une texture faite de craintes, de doutes, d'opinions et de préférences qui nous permettent de les suivre avec davantage d'attention que s'ils étaient les victimes dispensables d'un serial killer. 



C'est surtout dans leurs réactions face à l'impensable que l'écriture se montre si percutante : dans la scène de la révélation (fin du premier chapitre), on assiste à tout un panel d'attitudes, entre la sidération et la révolte (révolte qui nous permettra d'en savoir un peu plus sur la vraie nature de ce fameux Walter, même si les questions demeurent légion : est-il à l'origine de cette apocalypse ? Dans le cas contraire, il était forcément au courant. Mais comment ? Pourquoi a-t-il recruté ces jeunes gens ? Et pourquoi eux, précisément ?). Cette dernière question est significative de la façon dont ces personnes acceptent leur destin : quelques-uns optent pour l'introspection quand d'autres partent à l'aventure, alors que celle-ci est persuadée d'être la cause de tous ces malheurs et celle-là refuse de dire ce qu'elle sait. Si plusieurs d'entre eux agissent de manière logique (compte tenu de ce que l'on sait d'eux, et notamment leur profession : si le MÉDECIN est capable en cas d'urgence de prendre les choses en mains et de prendre les bonnes décisions rapidement, si la SCIENTIFIQUE parvient à mettre à plat les connaissances dont elle dispose afin de dégager une vue d'ensemble rationnelle, on peut être surpris par le comportement du REPORTER, totalement à côté de la plaque).

La fin du monde étant posée, et (apparemment) incontestable, il s'agit à présent de digérer l'événement, et là aussi, tout le monde n'est pas doté des mêmes armes pour le faire. Certains savent des choses que les autres ne connaissent pas, ou croient savoir ; d'autres tentent des trucs, émettent des hypothèses, formulent des plans, des échappatoires - là où leurs compagnons préfèrent profiter de la vie et du très haut niveau de luxe qui leur est offert. Tant qu'à crever, autant le faire en pétant dans la soie, en profitant du garde-manger inépuisable (et du service de livraison presque magique de cette prison dorée), de la piscine, de la salle de cinéma, du spa et... des surprises qui fourmillent dans la demeure. Ou en dehors, car le domaine est vaste, jonché de sculptures étranges : pourquoi ne pas l'explorer ?

Les possibilités sont vertigineuses, les révélations pleuvent et mettent à mal ce que l'on pensait savoir. D'autant que, comme dans tout bon thriller ludique, certains points ne "collent" pas - comme les faux faux-raccords de Shutter Island : des noms, des informations manquent à l'appel et, une fois que l'on s'en rend compte, on se prend à explorer chaque case, à analyser les couleurs et le découpage d'un Alvaro Martinez Bueno dont le travail n'a sans doute jamais été autant scruté. Certes, le script manque d'action mais peu importe : l'essentiel réside dans la tension naissant au sein de dialogues sibyllins, de découvertes étranges. Et si chaque révélation s'accompagne de son lot de nouveaux mystères, l'on sait que, contrairement aux X-Files, la conclusion est proche et nous clouera sur notre siège.

Une série initialement parue en douze épisodes regroupés en France en deux albums chez Urban dans la collection "DC Black Label". À lire de toute urgence avant la sortie imminente de The Nice House by the sea.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un pitch prometteur.
  • Une histoire rondement menée, pleine de suspense, de mystères et de tension.
  • Des personnages traités avec minutie. 
  • Une écriture subtile qui sème trouble et indices.
  • Des dessins parfois impressionnants, notamment dans les gros plans et les pleines pages.


  • L'encrage des petites cases manque parfois de précision.