Superman : Lost



Superman : Lost est une maxi-série éditée en France chez Urban dans la collection DC Deluxe.

Mais c'est d'abord l'histoire d'une confusion, que je n'ai réparée que très récemment, dans l'optique de rédiger cette chronique (qui nécessite tout de même un minimum de recherches et de préparation) : contrairement à ce que je croyais (ce qui m'a poussé d'ailleurs à acheter l'album en question), le scénariste de cette maxi-série n'est point l'auteur de l'excellent Le Monde inverti. En effet, Christopher James Priest est le nom de plume de l'Américain James Christopher Owsley : qu'il ait choisi une homonymie parfaite est pour le moins troublant, mais je n'ai pas d'explication à ce sujet, d'autant que le Britannique écrivain de SF est décédé. Cela dit, cet autre Christopher Priest n'est pas un manchot et s'est fait un nom dans le domaine du comic book de super-héros, principalement chez Marvel d'ailleurs en travaillant sur des personnages comme Luke Cage ou Black Panther ; chez DC, il a déjà œuvré sur des titres comme Deathstroke, ainsi que Nolt l'évoquait ici.

Et voilà donc notre mystérieux homonyme à nouveau associé avec le très bon Carlo Pagulayan (rappelez-vous Planet Hulk) pour une série d'épisodes centrés sur l'Homme d'acier. Loin d'être une sinécure : comme pour Batman, tout ou presque semble avoir été écrit sur ce déjà très vieux personnage qui, au contraire du sombre Caped Crusader, manque d'atouts intrinsèques pour intéresser un lectorat moderne. Le boy-scout venu de Krypton est en effet trop propre, trop lisse, mû par des principes trop rigides et vêtu d'un costume bien désuet désormais. Pourtant l'on continue à produire des films à grand spectacle autour de son mythe, quitte à l'égratigner un peu au risque de faire fuir les puristes et les nostalgiques. Et le récent et magnifique Supergirl : Woman of Tomorrow a prouvé qu'on peut encore faire du neuf avec de l'ancien, à condition de jongler habilement entre création et respect des codes. Il n'est pas question ici de rebooter (encore...) la franchise, mais de rédiger un one-shot explorant certains coins d'ombre, certaines failles d'un demi-dieu orphelin de sa planète natale - et qui n'a peut-être pas su en faire correctement le deuil.

Tout commence dans l'appartement de Loïs et Clark, qui filent le parfait amour. Tandis qu'elle se penche sur les circonstances d'un accident ayant entraîné la démission d'un sénateur (son instinct de reporter lui susurre qu'il y anguille sous roche), lui répond à un appel de la Ligue de Justice pour régler un problème sensible pouvant dégénérer en casus belli. Le temps qu'elle s'assoupisse sur l'ébauche de son article, voilà l'homme de sa vie de retour. Cela aurait pu être un jour comme les autres dans ce couple pas comme les autres, sauf que, cette fois, Superman n'est pas lui-même : immobile et mutique, debout dans le salon, les yeux dans le vide. Quelque chose ne va manifestement pas chez lui. Et c'est alors qu'il sort de sa torpeur et déclare qu'il est parti... vingt ans ! Stupéfaction et inquiétude chez Lois qui voit aussitôt débarquer un Bruce Wayne atterré : l'histoire se complique, d'autant que Clark ne parvient pas à s'extirper de l'état de choc qui le tétanise. Commence alors un long et douloureux travail sur lui-même, au travers du souvenir flou de ces années perdues, loin de la Terre et de son épouse. Comment ? Pourquoi s'est-il perdu ? Et qu'a-t-il fait de tout ce temps ? Il faudra toute l'aide des compagnons d'armes de Superman, tout le soutien moral et la ténacité d'une extraordinaire Loïs (qui ira jusqu'à se compromettre pour tenter de guérir l'homme de sa vie empêtré dans un syndrome post-traumatique implacable) pour tenter de comprendre l'incompréhensible.




L'auteur nous plonge dès lors dans le tourbillon vertigineux du vide spatial, des voyages dans le temps, des trous noirs et des ondes gravitationnelles tout en articulant son récit sur des thèmes puissants : le deuil, bien entendu, mais également l'héroïsme, la responsabilité et le sens du devoir voire du sacrifice, thèmes qui ont toujours sous-tendu l'existence du Fils de Krypton. Ici, les curseurs sont poussés au maximum par le biais de réflexions profondes, d'introspections, de dialogues pernicieux nimbés de psychologie, au point que l'action proprement dite ne vient qu'illustrer de loin en loin cette histoire qui intrigue et déroule lentement ses chapitres avec un Homme d'acier totalement à la dérive, incapable de retrouver le fil des événements, presque apathique, qui pousse ses amis et sa chère Loïs à le secouer, parfois sans ménagement. L'on découvre alors un être qu'on croyait invincible, invulnérable, complètement anéanti par un sentiment qu'on avait oublié : celui de la perte. Pour des raisons que nous  vous laisserons découvrir, Superman s'est retrouvé perdu dans l'espace, loin de ses proches, de sa patrie d'adoption, incapable de retrouver le chemin du retour, soumis aux impondérables et au bon vouloir des voyageurs cosmiques, atteignant les limites de ses capacités surhumaines. Une souffrance indicible qui le conduira de monde en monde et lui donnera l'occasion de prouver à nouveau sa valeur, en repartant de zéro.




Il faut bien l'avouer, la lecture peut s'avérer ardue. Les doutes, les interrogations qui émaillent le récit, entrecoupés d'intertitres littéraires (dont certains en français dans le texte), nous plongent dans un environnement désagréable, malcommode : notre héros, à nouveau orphelin, est à la dérive, en perte de repères, et l'on s'identifie alors à ceux qui se battent pour qu'il remonte en selle. Et là où les potes surpuissants de la JLA font chou blanc, c'est l'incroyable persévérance de Loïs Lane qui fait écho à notre envie d'aiguillonner un Superman qui n'est plus que l'ombre de lui-même. Alors, de fastidieux et lourd, le script va finir par surprendre, insérant des coups de théâtre, des retournements de situation retors, des secrets inavouables sur ce qu'a entrepris le Kryptonien pendant ces vingt années loin de la Terre et, surtout, sur comment il a réussi à revenir - et à quel prix...

Un album parfois éprouvant, qui se mérite, mais qui finit par révéler une histoire profonde, sincère et lumineuse mettant en exergue ce qu'il y a de plus précieux chez un héros. Remarquablement écrit, avec un sens aigu des relations intimes et une très habile construction parallèle intriquant les quêtes de plusieurs personnages et les différents continuums spatio-temporels. Il faut également reconnaître au scénariste d'avoir parfaitement su intégrer bon nombre des personnages qui naviguent dans le sillage de Superman, lequel, après avoir chu de son piédestal, s'en retrouvera irrémédiablement transfiguré. Comme quoi, avec un peu de talent, même avec un matériau aussi éculé et galvaudé que ce super-héros légendaire, on parvient à écrire une magnifique histoire qui saura encore surprendre.




  

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un script très dense qui donne un coup de jeune à ce bon vieux Supes.
  • Des bonds dans le passé, le futur et d'autres réalités ainsi que des retournements de situation qui donnent le tournis.
  • Une écriture aiguisée, percutante, qui s'attache à développer les relations entre les personnages.
  • 248 pages... et on en a pour son argent.
  • Une fin d'une grande élégance pleine de poésie et d'émotion.


  • Peut paraître confus, voire obscur au début.
  • Une quête qui met du temps à démarrer.