Avant-Première : Deadly Class

Une avant-première consacrée à ce qui pourrait bien être le comic incontournable de la rentrée : Deadly Class.

Cette série, dont le premier tome sortira en septembre chez Urban Comics, est écrite par Rick Remender. Et, ô surprise, c'est excellent.
En effet, même si le scénariste avait plutôt fait un travail correct chez Marvel, sur des séries comme Venom, la plupart de ses œuvres ne brillaient pas, jusqu'ici, par leur qualité, que ce soit Fear Agent, de la SF vieillotte et mal foutue, ou The End League, qui amalgamait pas mal de clichés super-héroïques sans parvenir à sortir du déjà-vu.
Eh bien cette fois, c'est un tout autre Remender qui est aux commandes. Et il est franchement inspiré.

Le pitch officiel n'est pas très folichon. Un gamin SDF et suicidaire va faire une rencontre étrange qui le conduit dans une école pour assassins. Là, il pense acquérir ce dont il a besoin pour venger ses parents en assassinant Ronald Reagan, qu'il tient pour responsable de leur mort...
En lisant ça, on se dit que ça a l'air débile et que ça va encore être un truc d'action à la con, sans profondeur ni subtilités. Heureusement, c'est tout le contraire au final.

Le personnage principal, très attachant, est écrit avec beaucoup de finesse. Marcus, d'origine nicaraguayenne, est un adolescent solitaire, vivant dans les rues, ou plutôt survivant tant bien que mal, déprimant entre deux rapines. Il faut dire que son parcours a été plutôt difficile. Après l'assassinat de ses parents, il s'est retrouvé dans un orphelinat où il a été victime de maltraitances. Cela aurait pu être la porte largement ouvertes aux clichés mais Remender évite le piège et campe un Marcus asocial, touchant, capable de violence mais aussi de pitié.

Si l'école en elle-même et sa faune interlope disparate ne sont pas très crédibles, on se prend vite au jeu tant les comportements humains sont, eux, d'une justesse implacable. Les adolescents, regroupés par gangs ou "tribus", dissimulent mal leur malaise et compensent par une violence constante. Les parias et les solitaires tentent de passer aux travers des meutes. Et puis, évidemment, il y a l'autorité représentée par les profs et l'institution, une autorité naturellement contournée avec plus ou moins de réussite.


La série, qui ne comprendra que deux tomes en tout [1], est un mélange d'action, de drame humain et même de comédie.
L'action est parfaitement mise en images, avec un découpage dynamique et astucieux. Comme, par exemple, avec l'emploi d'une cascade verticale de cases qui dépeint la situation scabreuse d'un personnage qui saute d'un immeuble à l'autre et manque de chuter. Craig Wes, à qui l'on doit les dessins, parvient à rendre parfaitement la tension et les expressions des personnages. L'ambiance des scènes est renforcée par une colorisation acidulée qui s'adapte aux situations.

La partie dramatique est également très bien gérée. La violence est constante mais elle a un prix, rien n'est jamais facile, surtout pas certains "devoirs" imposées par cette école si particulière (buter un clodo). La plupart des "salauds" apparents sont humanisés par des émotions qui expliquent en partie leur comportement (un simple "je t'aimais" change totalement la manière d'appréhender un protagoniste antipathique et ultra-violent).
La souffrance est partout, les échappatoires rares.

Au milieu de cette noirceur, quelques scènes très drôles permettent de décompresser un peu. Il ne s'agit pas d'un vague trait d'humour mais bien de situations réellement drôles et habilement amenées. Elles sont dues en partie à Marcus et son inadaptation sociale (il se demande constamment quoi dire lorsqu'il est en contact avec les gens), en partie à une prise de LSD mémorable.


Au-delà des apparences et d'un premier niveau de lecture, l'on peut aussi relever l'omniprésence de la thématique de la perception faussée et de la "normalité" changeante. Marcus s'obstine à voir dans Reagan le grand responsable de sa descente aux enfers, mais évidemment le président n'a aucune idée des conséquences indirectes qu'aura sa décision économique concernant les hôpitaux psychiatriques.
Pour Marcus, tout est hostile (les flics, les profs, certains SDF, les autres ados...), aussi, prendre un repère pour fixer sa hargne lui permet de relativiser l'horreur du monde dans lequel il vit. Il est toujours plus facile de gérer un grand "méchant" qu'une armée de petites saloperies quotidiennes.
La perception et sa manipulation sont également présentes chez les élèves de la Kings Dominion High School, la plupart cherchant à se bâtir ce qu'ils appellent une "réputation". Etre perçu comme un danger éloigne le danger potentiel représenté par les autres.
Perception faussée par les rapports sociaux, encore, dans le triangle amoureux entre Marcus, Saya et Maria. Le premier ne cède pas aux avances de Maria en partie parce qu'il s'inquiète de ce qu'en pensera Saya, de ce qu'elle percevra de lui au travers de son attitude.
Et quand Marcus regarde l'un de ses potes aux côtés du cadavre de son père, il ne voit pas un tueur implacable mais, l'espace d'un instant, un enfant en souffrance.
Finalement, le long moment pendant lequel Marcus se retrouve sous LSD (en bad trip, parce qu'il en a pris bien trop, mais ce qui lui ouvre tout de même les "portes de la perception"), n'est qu'une accentuation de cette réalité difforme et mouvante, qui change selon les émotions et les êtres qui les ressentent.


Bref, un récit mené à 100 à l'heure, un sous-texte intelligent, des moments comiques peu nombreux mais percutants, de l'émotion et une ambiance graphique vraiment sympathique, le tout porté par une narration efficace ménageant le suspense.
A découvrir absolument !

Sortie le 25 septembre 2015, chez Urban Comics.


[1] Alors en fait, non, la série ne s'arrête pas là. Il convient d'émettre une réserve du coup, car si une mini-série semblait être le format idéal pour ce genre d'histoire, il est déjà moins évident que ce niveau de qualité soit maintenu sur le long terme par l'auteur (cf. le syndrome Kirkman).


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un personnage principal attachant et crédible.
  • Grande maîtrise narrative.
  • Une violence présente mais intelligemment employée.
  • Quelques scènes très drôles.
  • Une ambiance visuelle servant parfaitement le récit.

  • Le côté "école officielle du crime", peu vraisemblable.