Le livre en soi est à l'image de son auteur (son portrait en quatrième de couverture est agrémenté d'une photo en tenue d'escrimeur) : élégant, de bonne facture, un peu pompeux par moments mais avec une douce pointe de folie qui l'enrichit. A souligner que, dans l'exemplaire que j'ai eu entre les mains, (des épreuves non corrigées mais très proches du rendu final), j'ai relevé très peu de coquilles, ce qui est inhabituel à l'heure actuelle - trois, dont une mauvaise conjugaison.
Revenons un instant sur le genre. Le roman de fantasy, pour moi et pendant longtemps, se parait immanquablement dans ses premières pages d'une carte de l'univers dans lequel nos personnages hauts en couleurs allaient évoluer. Que la magie y soit capitale ou accessoire, qu'il soit uchronique ou situé sur des mondes lointains, le livre semblait toujours né de cette admiration romantique pour un Moyen-Age idéalisé, ses vaillants chevaliers ou ses héros solitaires toujours au sein d'une quête, perpétuant des valeurs surannées, jouets vaguement conscients de forces qui les dépassaient ; le Bien, le Mal, l'Ordre ou le Chaos s'entrechoquaient, les lames se croisaient et les femmes se pâmaient. Ajoutez-y des châteaux, des fées, des dragons et vous tenez les bases de sagas enlevées et de récits épiques, au style volontairement alourdi de phrases emberlificotées et d'un lexique désuet - comme si l'ombre de Tolkien forçait ses successeurs à adopter une posture similaire, comme un costume parfois trop lourd à endosser. Lisez Robert Jordan : sa très intéressante saga de La Roue du Temps ne parvient malgré tout jamais à s'émanciper du legs du Seigneur des Anneaux. Pourtant, il y a eu avec Gemmel une nouvelle impulsion : un style direct, préférant l'efficacité aux fioritures (quitte à s'accorder des redondances et des maladresses), laissant plus de place à l'action de personnages charismatiques, à des duels insensés et des démonstrations de bravoure hors normes.
Sébastien De Castell, notre auteur canadien aux multiples talents (il est aussi, entre autres choses, chorégraphe de combat), serait davantage dans la lignée d'un Terry Goodkind, avec une écriture plus nuancée, lorgnant parfois vers une phraséologie précieuse mais la dynamitant aussitôt par quelques traits d'humour aussi déconcertants que rafraîchissants. S'intéressant davantage aux individus qu'à leur univers, il ne s'épanche pas outre-mesure sur les descriptions et réserve sa verve aux nombreux combats, souvent déséquilibrés, auxquels son héros et narrateur, Falcio Val Mond, sera confronté.
Voilà donc de quoi il est question : Falcio était, du temps de feu le roi Paelis, Premier Cantor des Manteaux de Gloire, sortes de magistrats itinérants chargés de porter et faire régner la loi royale dans tout le territoire. Toute sa vie il avait rêvé intégrer cette caste légendaire mais le voilà contraint de parcourir un monde qui le méprise désormais car le roi est mort, déposé par ses ducs tyranniques qui cherchent à imposer un pouvoir féodal moins équitable. Réduit avec ses fidèles compagnons (Kest, le meilleur bretteur au monde dont le destin est d'affronter un jour le Saint des Lames, et Brasti, un archer enjoué et sans égal) à trouver du travail comme gardes du corps, il ne parvient pas à oublier les deux derniers serments fait à son souverain : ne pas résister au moment où les ducs viendraient l'exécuter et chercher ses charoïtes après sa mort, des objets précieux dont il n'a absolument aucune idée quant à leur forme ou apparence.
Ainsi donc, voilà Falcio, bretteur redoutable mais souffrant d'une rage intérieure perpétuelle, contre lui-même et contre ces nobles de pacotille qui ont mis à bas son idée d'un monde ordonné et équitable, arpentant les contrées qu'il a jadis protégées en tâchant de trouver de quoi se sustenter, protégeant les faibles même lorsqu'ils le dédaignent, essayant malgré tout de poursuivre son impossible quête tout en mettant au jour une conspiration visant à asseoir sur le trône vacant les personnes qu'il hait plus que tout : ces ducs imbus d'eux-mêmes qui écrasent sous un joug implacable une populace désespérée. Un héros fascinant malgré lui, se plaignant souvent (mais on n'a pas affaire au geignard façon Elric), conscient de ses forces et de ses faiblesses et sachant malicieusement jouer de celles-ci pour triompher d'adversaires physiquement ou intellectuellement supérieurs.
Bien qu'il use de certaines facilités pour préserver le suspense sur les tenants et aboutissants de ce complot (qui tire vraiment les ficelles ? quelle est l'importance de cette jeune héritière qu'il va s'évertuer à sauver de ceux qui veulent annihiler jusqu'à son nom ? où sont les autres Manteaux de Gloire ? comment la vieille Tailleuse en sait-elle autant sur lui et les autres ?), l'auteur réussit à chacun de ses courts chapitres à faire monter l'intérêt et, ce qui devait au départ n'être qu'une promenade de santé littéraire a fini par ressembler à un périple chatoyant, empli de sang et de larmes mais illuminé d'éclats de bravoure, d'honneur et de grandes valeurs morales scandés au rythme du cliquetis des lames qui s'entrechoquent. De Castell ne cache pas sa passion pour l'escrime et la met très vite en valeur (les pistolets existent dans ce monde, mais ils sont bruyants, lents et peu précis ; quant à la magie, elle est réservée à ceux qui sont soit fort riches, soit fort peu honorables) : les termes techniques alternent avec les commentaires décalés sur les poncifs des combats à l'épée et confèrent un rythme singulier à la narration des duels. Ce n'est pas toujours très intelligible, mais ça ajoute un peu de sel.
Une bonne surprise donc, accessible à tous, à la fois très classique dans son approche et sortant des sentiers battus dans sa texture, conçu à la manière d'un bon feuilleton.
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