Aaaah ! C'est qu'il m'en aura fallu du temps pour continuer ce lent périple vers l'aboutissement du Grand Oeuvre de Stephen King.
A dire vrai, j'ai déjà à cette heure achevé la lecture du deuxième roman de la saga de la Tour sombre, dont bien entendu je vous parlerai ici même, en son temps. Toutefois, en bon disciple appliqué de Maître Nolt, expert en Kingueries, il me fallait en passer par une série de trois épreuves préparatoires avant d'être jugé digne de poursuivre ma quête littéraire. Déjà entré en religion kinguienne avec la lecture de Ca dans un passé désormais aussi lointain que confus, je devais enquiller le Fléau, Salem et enfin Insomnie pour être fin prêt à voyager dans les mondes parcourus par Roland de Gilead. Les lecteurs de la précédente version d'UMAC savent qu'ils peuvent retrouver les articles cités en cliquant sur les titres, mais j'encourage tout le monde à se repencher sur le mode d'emploi de lecture de la Tour sombre préparé par Nolt.
Cet avantage malheureusement s'effaça très tôt tant la mise en page du fichier chargé se révéla chaotique : certains caractères, comme les guillemets, se voyaient remplacés par des points d'interrogation, et il y avait par moments des retours à la ligne intempestifs. Au temps pour le confort de lecture ! D'autant que le roman s'avéra très vite, comment dire, très, mais très long.
Avec l'objet-livre traditionnel, cette sensation de pataugement, de lourdeur élastique qui fait ressembler l'acte de lecture à la traversée d'un marais boueux et infini, se matérialise par l'épaisseur du volume (le côté des pages restantes ne semblant jamais diminuer) ou la petitesse de la taille des caractères qui en viennent à virevolter devant vos yeux épuisés en une danse du sommeil hypnotique. A l'écran, c'est le pourcentage restant à lire, parfois matérialisé par un curseur, qui commence à retenir l'attention lorsqu'on commence à, disons-le, s'ennuyer.
Alors, Insomnie serait ennuyeux ?
Non. Pas à proprement parler. Au final, il s'avère même plutôt enthousiasmant, et très riche. Au final. Mais pas passionnant, malheureusement. Ni palpitant. En tous cas, pas pour moi.
Paru en 1994, Insomnie ne peut donc être qualifié d'oeuvre de jeunesse pour Stephen King, qui abordait déjà sa troisième décennie de romancier. Comme je l'ai dit précédemment (je veux dire, dans les précédents articles, voir les liens plus hauts), l'auteur a régulièrement signifié combien il avait évolué dans son style et combien sa manière d'écrire dans ses plus jeunes années le dérangeait. Or il se trouve que j'aimais bien, moi, ses ellipses abruptes, ses métaphores ampoulées, ses comparaisons osées et ses ruptures de ton hiératiques : cette façon particulière de jouer avec les mots et d'engendrer des images qui ne se superposaient pas parfaitement au récit, mais parvenaient souvent à l'illuminer singulièrement me satisfaisait. Même la suffisance patente qu'on sentait chez le jeune écrivain plein d'ambition m'apparaissait moins comme de la morgue véhémente que comme une forme atavique de sagesse précoce (ça ne veut rien dire mais c'est ce que je ressens).
Dans Insomnie, il n'y a plus cette fraîcheur stigmatisée par les ateliers d'écriture, ni cette propension à écrire dans tous les sens, à laisser aller le récit - ou du moins semble-t-elle considérablement plus contrôlée, manipulée. Au point qu'on peine d'abord à trouver nos repères (je parle en tant que lecteur apprenti de l'oeuvre du King) et qu'on se retrouve plus d'une fois désarçonné. Car les invariants que je relevais ici, après Salem, si pleinement satisfait de la pertinence de mon raisonnement, ne sont plus discernables au début : dans ce roman, pas d'enfant comme adjuvant et repère essentiel (même s'il en est un qui aura son importance dans la dernière partie), pas d'écrivain témoin et acteur des événements et quant à la fluidité... elle est pour le moins différente.
Insomnie, c'est l'histoire d'un vieux. Ralph a dépassé la soixantaine. Il vit seul et tente d'oublier un chagrin récent puisque sa femme bien-aimée a succombé à un mal incurable. Il a ses petites manies de vieux, de longues promenades solitaires (désormais), des discussions ou des jeux avec quelques vieux compagnons. Quoique profondément affecté par la perte de son épouse, il semble de bonne compagnie, moins bougon que d'autres et doté d'un esprit plutôt alerte. Et voilà qu'il commence à souffrir d'insomnies. Le terme est peut-être impropre : il dort, mais ses périodes de sommeil se raccourcissent. Lentement. Inexplicablement. Et inexorablement. Il aura beau se coucher le plus tard possible, chaque matin le verra réveillé un petit peu plus tôt que la nuit précédente. Ni les remèdes de bonne femme, ni les conseils d'amis (parfois farfelus, mais qui ne risque rien...), ni même les prescriptions médicales n'y changeront rien. Fatalité ? Désordre métabolique ? Forme de sénilité ? Le problème est que le manque de sommeil s'accompagne (forcément) de fatigue diurne, qui elle-même s'accompagne de désagréments de plus en plus gênants : sa lucidité lui fait défaut, et il commence à avoir des visions. Le monde se pare de couleurs étranges et vives, des auras nimbent les êtres qu'il croise, mais il ne parvient pas à contrôler ces rêves éveillés qui interviennent sans crier gare. Jusqu'au jour où il perçoit l'existence d'êtres dont il finit par être persuadé
A ce stade, je préfère ne pas en dire plus. Ce que je viens de résumer vous mènera jusqu'au delà de la moitié de l'ouvrage, qui s’avérera peut-être fastidieux par son indolence et l'absence presque totale de péripéties. Le résumé de troisième de couverture était sans doute différent, d'ailleurs. Peu importe. Il était sans doute plus flatteur et plus accrocheur. Le problème est que j'ai eu bien du mal à m'identifier au pauvre Ralph, et que le pauvre gars n'apparaissait qu'à peine sympathique au début du roman - disons que je me sentais triste pour lui, mais que je ne me passionnais guère pour son destin. Il faut dire que pas grand chose ne venait perturber cette fausse tranquillité. Oh ! Il y a bien quelques incidents, et avant même que Ralph ne consulte à propos de ses insomnies. C'est là que Stephen King a recours à une technique qui m'a profondément agacé, mais qui, je dois le reconnaître, s'est avérée particulièrement efficace sur le long terme : pendant un bon tiers de l'imposant ouvrage, on suit les petits malheurs sans (apparemment) aucune importance de Ralph tout en ayant pleinement conscience qu'il se passe quelque chose, que quelque chose nous échappe, qu'il y a une dimension encore secrète dans chaque épisode scandant la petite vie tranquille du vieux petit veuf. King insiste sur des petits riens, revient dessus, les noie sous des détails tout aussi prétendument insignifiants, attire notre attention par cette surabondance mais nous laisse végéter, s'amusant presque de nos vaines tentatives pour tenter de décoder ces informations. On devine très vite, par exemple, que cette altercation entre un routier et une connaissance de Ralph cache quelque chose, mais notre auteur s'évertue à nous faire comprendre que le sens profond lui (et donc nous) est encore indiscernable. Ne disposant pas d'éléments supplémentaires (comme ce serait possible dans un feuilleton télévisé), le lecteur en est réduit à suivre le fil des pensées des personnages, c'est à dire de Ralph pendant plus de la moitié du livre. Et ce n'est qu'à la lueur d'autres détails (un objet, une réflexion qui engendrent une correspondance dans la mémoire de notre héros) que des éléments du passé, apparus comme négligeables, révèlent une toute autre signification. L'auteur, par cette agaçante manie de nous montrer du doigt un élément ténu du script tout en nous disant qu'on ne pourra en comprendre l'importance que plus tard, devient presque un tortionnaire, instillant le suspense là où on ne l'attend plus. Le problème est que, souvent, il manque clairement de tact, d'élégance ou de subtilité - et cela nuit à la fluidité de sa narration, conférant un rythme heurté à la lecture, comme s'il parsemait ses paragraphes de panneaux indicateurs surdimensionnés mais cryptés.
Une façon plutôt artificielle de nous tenir en haleine pendant la partie la plus fastidieuse du récit. J'ai même failli laisser tomber. D'autant qu'en dehors de l'intime conviction que ces phénomènes altérant les perceptions de Ralph ont une explication liée à la Tour sombre, rien ne me poussait à aller au bout.
Insomnie n'en est pas pour autant ardu : les pensées des protagonistes sont aisément reconnaissables et se distinguent de la narration propre. C'est juste qu'on a longtemps l'impression de ne pas avancer, ou de lire en vain. Sentiment terrible.
- qu'ils ne sont pas humains
- qu'ils sont liés au décès de certains de ses proches.
A ce stade, je préfère ne pas en dire plus. Ce que je viens de résumer vous mènera jusqu'au delà de la moitié de l'ouvrage, qui s’avérera peut-être fastidieux par son indolence et l'absence presque totale de péripéties. Le résumé de troisième de couverture était sans doute différent, d'ailleurs. Peu importe. Il était sans doute plus flatteur et plus accrocheur. Le problème est que j'ai eu bien du mal à m'identifier au pauvre Ralph, et que le pauvre gars n'apparaissait qu'à peine sympathique au début du roman - disons que je me sentais triste pour lui, mais que je ne me passionnais guère pour son destin. Il faut dire que pas grand chose ne venait perturber cette fausse tranquillité. Oh ! Il y a bien quelques incidents, et avant même que Ralph ne consulte à propos de ses insomnies. C'est là que Stephen King a recours à une technique qui m'a profondément agacé, mais qui, je dois le reconnaître, s'est avérée particulièrement efficace sur le long terme : pendant un bon tiers de l'imposant ouvrage, on suit les petits malheurs sans (apparemment) aucune importance de Ralph tout en ayant pleinement conscience qu'il se passe quelque chose, que quelque chose nous échappe, qu'il y a une dimension encore secrète dans chaque épisode scandant la petite vie tranquille du vieux petit veuf. King insiste sur des petits riens, revient dessus, les noie sous des détails tout aussi prétendument insignifiants, attire notre attention par cette surabondance mais nous laisse végéter, s'amusant presque de nos vaines tentatives pour tenter de décoder ces informations. On devine très vite, par exemple, que cette altercation entre un routier et une connaissance de Ralph cache quelque chose, mais notre auteur s'évertue à nous faire comprendre que le sens profond lui (et donc nous) est encore indiscernable. Ne disposant pas d'éléments supplémentaires (comme ce serait possible dans un feuilleton télévisé), le lecteur en est réduit à suivre le fil des pensées des personnages, c'est à dire de Ralph pendant plus de la moitié du livre. Et ce n'est qu'à la lueur d'autres détails (un objet, une réflexion qui engendrent une correspondance dans la mémoire de notre héros) que des éléments du passé, apparus comme négligeables, révèlent une toute autre signification. L'auteur, par cette agaçante manie de nous montrer du doigt un élément ténu du script tout en nous disant qu'on ne pourra en comprendre l'importance que plus tard, devient presque un tortionnaire, instillant le suspense là où on ne l'attend plus. Le problème est que, souvent, il manque clairement de tact, d'élégance ou de subtilité - et cela nuit à la fluidité de sa narration, conférant un rythme heurté à la lecture, comme s'il parsemait ses paragraphes de panneaux indicateurs surdimensionnés mais cryptés.
Une façon plutôt artificielle de nous tenir en haleine pendant la partie la plus fastidieuse du récit. J'ai même failli laisser tomber. D'autant qu'en dehors de l'intime conviction que ces phénomènes altérant les perceptions de Ralph ont une explication liée à la Tour sombre, rien ne me poussait à aller au bout.
Insomnie n'en est pas pour autant ardu : les pensées des protagonistes sont aisément reconnaissables et se distinguent de la narration propre. C'est juste qu'on a longtemps l'impression de ne pas avancer, ou de lire en vain. Sentiment terrible.
Je ne reviendrai pas sur la technique très personnelle qui permet à l'auteur d'emplir le quotidien des personnages de milliers d'anecdotes qui nous les rendent infiniment plus vivants et réels que les anonymes qui parsèment notre vie : Stephen King est un magicien capable de nous dévoiler un monde qu'on finit par s'approprier. Car les événements finissent enfin par se précipiter et Ralph et Loïs, engagés dans une course contre la montre, revêtent du même coup l'improbable manteau du preux, dans une quête haletante dans laquelle il est question de vie, de mort et d'un terrifiant et sombre Ennemi capable d'altérer le tissu même de notre réalité. Cet obscur petit bonhomme, sans saveur ni charme, qui nous a tant fait chier avec ses petits problèmes de vieux et qu'on a eu tant de mal à aimer, devient soudain incontournable, valeureux, nous fait rire et nous éblouit.
Superbe tour de force.
Insomnie n'est donc pas très facile à lire par son tempo lent, sa narration singulière, ses personnages a priori peu remarquables. J'ai plus d'une fois soupiré en voyant la masse qu'il restait à lire et en constatant le peu de plaisir qu'il me procurait. Mais ces efforts ne sont pas vains, et si l'on peut tiquer sur la manière dont le sujet de l'avortement est traité (un événement capital doit se dérouler au cours d'une conférence donnée par une militante), on ne peut que saluer le courage d'avoir pris à rebours certains clichés, tant sur l'héroïsme que sur la vieillesse. Il y a sur la fin cette fraîcheur qu'on discerne fugitivement dans Cocoon et des moments de pure magie enchanteresse qui ouvrent des failles sublimes dans le réel. Le roman, pernicieux et retors, finit par emporter l'adhésion et propose même une conclusion dont l'intensité, pour une fois, atteint presque la démoniaque perfection de Ca.
Superbe tour de force.
Insomnie n'est donc pas très facile à lire par son tempo lent, sa narration singulière, ses personnages a priori peu remarquables. J'ai plus d'une fois soupiré en voyant la masse qu'il restait à lire et en constatant le peu de plaisir qu'il me procurait. Mais ces efforts ne sont pas vains, et si l'on peut tiquer sur la manière dont le sujet de l'avortement est traité (un événement capital doit se dérouler au cours d'une conférence donnée par une militante), on ne peut que saluer le courage d'avoir pris à rebours certains clichés, tant sur l'héroïsme que sur la vieillesse. Il y a sur la fin cette fraîcheur qu'on discerne fugitivement dans Cocoon et des moments de pure magie enchanteresse qui ouvrent des failles sublimes dans le réel. Le roman, pernicieux et retors, finit par emporter l'adhésion et propose même une conclusion dont l'intensité, pour une fois, atteint presque la démoniaque perfection de Ca.
Essayez-le, si vous l'osez.
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