Les possibilités sont infinies et, à dire vrai, donnent le vertige. Les plus grands auteurs s'en sont donnés à cœur joie. On en reparlera bientôt.
Au cinéma, ce champ des possibles est singulièrement plus restreint, peut-être pour privilégier le spectaculaire à la réflexion. Comme Nolt dans la première partie, je ne reviendrai pas sur la trilogie de Zemeckis qui a "fait le buzz" sur la toile ces dernières semaines, une œuvre enjouée qui a fini par trouver son public grâce à son dynamisme et ses parti-pris. La sélection qui suit n'est pas non plus un "top 5" mais se veut un catalogue non exhaustif des films du genre qui valent le coup d'être vus.
-- the Jacket --
Sorti en 2005, ce long-métrage d'un certain John Maybury n'a pas fait beaucoup parler de lui malgré les nombreux atouts dont il disposait. Produit par Steven Soderbergh et George Clooney (qui semblent privilégier la SF "cérébrale" comme pour Solaris), il bénéficiait d'un casting fascinant avec un Adrien Brody hypnotique et un Kris Kristofferson inquiétant, secondés par une encore jeune mais pétillante Keira Knightley : personnellement, c'est dans le rôle de cette jeune fille un peu paumée que je la préfère, élément clef dans le destin du vétéran Jack Starks, rescapé de l'opération Tempête du Désert et qui finit dans un asile pour fous dangereux suite au meurtre d'un policier dont il ne se souvient pas.
La présence de ce film sombre et douloureux dans notre sélection résulte des expériences dont Starks devient l'objet, enfermé dans une camisole et un tiroir et soumis à une drogue psychotrope dont les effets le feront voyager dans ses souvenirs... du futur. Privé malgré lui de sa liberté de mouvement dans son présent, c'est par ses escapades forcées dans d'autres continuums qu'il résoudra peut-être l'énigme qu'est son existence, y trouvant une finalité et peut-être un peu de chaleur et d'espoir. Le film prend le parti de rester concentré sur son personnage central, rongé de remords et de doutes, à la lisière de la folie et sentant sa fin proche. Il peut s'avérer frustrant par le refus d'explorer certaines pistes captivantes, désagréable par son choix de couleurs fades et délavées et déroutant par une bande-son particulière signée Brian Eno, mais il propose aussi de véritables morceaux de bravoure et des élans d'émotion brute qui humanisent le propos.
Dans sa quête désespérée d'un bonheur possible (et le choix de privilégier celui des autres plutôt que le sien propre), on lui trouvera de nombreux parallèles avec l'Effet Papillon mais avec un traitement plus adulte et moins retors.
-- l'Armée des Douze Singes --
Presque dix ans auparavant, Terry Gilliam balançait une bombe dans le paysage cinématographique en reprenant à son compte la trame de la Jetée de Chris Marker dans une œuvre désespérée, schizophrène et brillante.
Tout en conservant une liberté de ton singulière, l'ex-Monty Python y semble davantage maîtriser son sujet et maintient ses outrances visuelles dans un cadre plus strict, en y perdant au passage un peu de sa candeur (on n'a plus la naïveté exquise de Brazil par exemple). A l'instar de the Jacket, ici pas de dispositif clinquant destiné à projeter un individu dans le temps : l'accent n'est guère placé sur le procédé (ni siège à ombrelle tournoyante, ni DeLorean ultra-cool), mais plutôt sur l'observation de ces réalités décalées, de ces futurs possibles et de ces passés qui ont engendré l'inenvisageable. C'est d'ailleurs vers le passé qu'un groupe de savants d'un monde dévasté va envoyer Jack Cole, leur meilleur cobaye, afin qu'il en apprenne le plus possible sur l'origine de la catastrophe qui a dépeuplé la planète (un virus ne s'attaquant qu'à l'espèce humaine). Débarqué en 1985, il est immédiatement interné (décidément !). Seule une psychiatre tentera de le comprendre, d'autant qu'elle semble le connaître alors même qu'ils ne se sont jamais (ou pas encore ?) rencontrés.
Et là aussi, comme dans the Jacket, c'est dans ce qui fait de lui un homme que Cole va trouver les ressources pour s'en sortir et, surtout, comprendre : bien que terrassée par des visions apocalyptiques et une forme de fatalité nihiliste, l'émotion pure surgit comme une étincelle de vie et illumine quelques moments de grâce, permettant au spectateur de ne pas sombrer dans un désespoir sans lendemains qui chantent. Pas aisé à suivre, mais terriblement stimulant, 12 Monkeys est une œuvre remarquable par sa densité et sa narration, son style chaotique et ses interprétations hallucinées (Brad Pitt y joue une de ses partitions les plus marquantes, Bruce Willis se donne corps et âme et Madeleine Stowe finira par vous séduire par son regard troublant - ou sa voix de gorge chaleureuse).
Parce que face à l'absurdité et contre les dieux eux-mêmes, parfois, il n'y a que l'amour qui sauve.
-- Terminator 2 : le Jugement dernier --
Évidemment, dit comme cela, on peut trouver le propos simpliste : changer le passé, ce n'est pas corriger son présent, mais en créer un autre. Il faut donc vraiment aller au bout de ses idées pour désirer altérer aussi drastiquement la réalité : ce que font donc les Machines qui sont sur le point de perdre le conflit les opposant à la Résistance humaine dirigée par John Connor. Un Terminator a été envoyé à l'époque de la naissance de ce leader du futur, un autre dans son adolescence (prétexte à d'autres films partis du même constat mais qui n'atteindront jamais l'impact de celui-ci). Les partisans de Connor, arrivés trop tard, n'ont pu que répliquer en y expédiant un des leurs.
Inutile d'épiloguer, tout individu normalement constitué se doit d'avoir vu un des deux premiers Terminator, véritables chefs-d'œuvre, à la réalisation ultra-précise collant à un script en béton, sans temps mort, et mettant en valeur des effets spéciaux sophistiqués. Narration fluide et montage haletant laissent le spectateur à bout de souffle dans cette course-poursuite entre l'implacable et l'espoir : le T-1000, indestructible et plein de ressource, revêt à merveille cette forme d'"inéluctabilité" chère à l'Agent Smith (dans Matrix). Ajoutez-y une réflexion acerbe sur cette humanité qui va droit "dans le mur", cette propension qu'ont les hommes à s'autodétruire - réflexions émises par une machine qui va, le temps d'un combat désespéré, devenir plus humaine que ceux qu'elle combattait naguère.
Dans Terminator, le voyage temporel n'est que souffrance mais représente l'ultime espoir d'une humanité à la dérive. Ce n'est pas le choix de la facilité, ni pour les Machines, ni pour les Hommes et il en découle qu'il vaut mieux combattre le futur plutôt que de flinguer le passé.
-- Edge of tomorrow --
Je suis bon prince, et j'admets qu'il y a aussi des films récents qui parlent fort bien du sujet qui nous occupe. A l'image de Source Code dont parlait Neault et d'Un jour sans fin qui en est le prototype, Edge of tomorrow fait partie de ces histoires de voyage itératif, le héros étant pris (malgré lui, bien entendu) dans une boucle temporelle lui faisant revivre à chaque fois les mêmes événements. Seule sa mémoire lui permet d'authentifier le phénomène, puisqu'il conserve le souvenir de ses précédentes incursions dans cette trame temporelle - ce qui lui permet donc d'anticiper, mais pas de quitter la boucle.
Ici, Doug Liman, bien aidé par Christopher McQuarrie, transposent une histoire d'Hiroshi Sakurazaka (All you need is kill) sur un champ de bataille contre une armée d'extraterrestres, armée que les hommes ne maintiennent qu'à grand peine tant elle semble anticiper chacune de leurs manoeuvres stratégiques. L'issue semble inévitable et ce malgré l'apport de moyens techniques considérables, comme ces armures motorisées, sortes d'exosquelettes multi-tâches dont le commandant William Cage est le VRP - mais sa forfanterie lui vaudra de finir sur le front et... d'y mourir, incapable de mener à bien la moindre tentative de combat. Or, voilà qu'il se réveille à l'aube de cette journée dont il connaît déjà la fin. Passée la surprise, il finira par comprendre comment il en est arrivé à revivre éternellement les mêmes heures et comment il peut mettre son expérience unique au profit des forces humaines qui sont au bord de la défaite totale.
Joyeusement ludique, Edge of tomorrow s'adresse avant tout à la génération ayant grandi avec les jeux vidéo : on ne craint plus la mort, il suffit de "rebooter", d'autant qu'un "cheat mode" nous confère des vies infinies ! Le tout est de bien se servir de nos échecs pour avancer. La mise en scène, sans être inventive, est suffisamment alerte pour conserver une forme de bonne humeur régressive : c'est souvent drôle mais parfois cruel, violent et jamais avare de rebondissements. Même si une sorte de romance (inévitable) s'engage entre Cage et l'icône féminine de la Résistance humaine, elle ne verse jamais dans le mielleux et permet de procurer au spectateur enchanté quelques moments pour souffler entre deux tentatives pour accéder au centre névralgique des aliens. Allez, on peut chipoter pour une fin un peu facile, peut-être trop soumise à l'aura de Tom Cruise (ceux qui ont vu Oblivion comprendront) mais elle parvient malgré tout à sortir malicieusement de la boucle qu'on croyait sans fin.
Astucieux et jouissif.
J'avais prévu un autre film à vous présenter mais - grâce à un commentaire avisé d'un ami - j'ai décidé in extremis de m'abstenir. Car si le thème du Voyage temporel (volontaire ou non) est souvent l'élément central de l'oeuvre, il est parfois la (ou l'une des) conclusion(s) possible(s) d'un drame psychologique. Certains récits, en effet, qui nous font partager la vie tourmentée de personnages paranoïaques ou en marge du système, ne trouvent d'autre explication aux déboires improbables des héros que le fait qu'ils aient simplement opéré un saut dans le temps, vers l'avant ou l'arrière. Ces chutes, réussies ou non, font donc partie du charme et de l'intérêt du script, au point même qu'il faille éviter de cataloguer le film. Je m'en tiendrai donc là, rongé par la frustration de ne pouvoir vous parler de... ou de... qui sont pourtant des films fascinants et subtils.
Mais il y en a tant d'autres !