There’s a moon over Bourbon Street tonight,
I see faces as they pass beneath the pale
lamplight
I’ve no choice but to follow that call
The bright lights, the people and the moon and
all…
Quand, en 1985, Sting chante
cette ballade ténébreuse et mélancolique, l’image du vampire a déjà changé. Il n’est plus le monstre froid et épouvantable qui doit
être combattu mais devient une victime romantique d’une malédiction parfois
contrôlable. Il n’est plus forcément l’ennemi mais devient le personnage
central du récit, un homme damné, perdu, qui souffre lui-même avant d’être
instrument de souffrance.
Pourtant, nous partions de
loin…
Le Dracula de Stoker, roman
épistolaire publié en 1897, pose déjà les bases dont se serviront, bien des
décennies plus tard, des auteurs plus fleur bleue. Ce Dracula fondateur (bien
que les vampires, ou des créatures y ressemblant, soient déjà présents bien
avant lui dans les contes populaires) émerge à une époque cruciale et aussi
sombre qu’excitante.
Bouh, j'ai été mordu par une chochotte ! |
Le Dracula stokerien reste
néanmoins un monstre, une chose abjecte qui inspire répulsion et terreur. Mais
le vampire est trop riche comme concept pour en rester au rôle de simple goule
ou créature de la nuit.
Déjà, dans les années 60,
Polanski joue avec la créature et la peur qu’elle inspire dans Le Bal des
Vampires, en mélangeant frissons coquins et sourire moqueur.
C’est pourtant sans doute Anne
Rice – et son succès populaire dans les années 80 – qui va donner au mythe une
approche à la fois nouvelle et tendancieuse. Le vampire devient très sensuel
(voire carrément efféminé) et prisonnier d’un désespoir et d’un questionnement
métaphysique qui le pousse à renier sa condition et se mettre en danger (Louis,
qui refuse de tuer des humains et se fait interviewer, Lestat, qui finit par
écrire des chansons révélant au monde l’existence des vampires).
Le vampire, prisonnier de sa
condition, devient non plus un objet de crainte mais d’apitoiement. Il n’est
plus monstre mais victime et même, sous le régime ricien, victime
pleurnicheuse.
A la même époque, certains
tentent d’accommoder le vampire à la fois à la sauce moderne au niveau de la
narration et à des époques historiques auxquelles il n’est pas habitué. C’est
le cas de Kathryn Bigelow, dans Near Dark,
un film d’action mélangeant codes du western et aura des dentus confédérés. C’est
aussi original que réussi mais le film est un échec commercial. Le vampire
comme « ennemi » basique ne marche plus. On lui a donné une âme, il se doit
d’être maintenant habité, contrarié, humanisé…
Ainsi, le Dracula de Coppola,
en 1992, parait aller à contre-courant en revenant aux bases gothiques et
romantiques du mythe, comme si une piqûre de rappel était de temps en temps
nécessaire.
Stephen King lui-même va également
utiliser le mythe de manière très classique dans Salem, puis de manière plus anecdotique dans le cycle de La Tour Sombre, sans pour autant en donner une
approche nouvelle.
L’on peut passer rapidement
sur les Blade ou Underworld, plus films d’action que récits s’attaquant véritablement
au mythe, pour en venir aux gentils vampires, véritable évolution cette fois,
bien que très contestée.
Twilight et Vampire Diaries
ont réussi à ringardiser la bestiole. Le pire, c’est que les films ou cette
série ne sont pas si mauvais que ça, l’on peut très bien s’y laisser prendre,
mais une fois une saison ou un long-métrage passé, il faut tout oublier, comme
un pet honteux que l’on a balancé au moment crucial dans un diner de famille,
ou constater que tout cela n’a que très peu de rapport avec le vampirisme et
bien plus avec le soap opera et les séries à la Beverly Hills (Beverly Hills
avec de longues canines disons). La vision ricienne atteint ici son apogée et ses limites.
Même True Blood, faussement
sulfureuse, s’avère rapidement très nunuche dans son fonctionnement (et est encore bien pire dans son adaptation en comics). L’on est
loin par exemple du vampire irlandais de Preacher, bénéficiant de l’approche
intelligente, complexe et dérangeante d’un Garth Ennis.
Le vampire impitoyable et
inquiétant, voire dégueulasse, est devenu « cool », sexy et sympa
dans l’imagerie populaire. Il faut s’immiscer dans la BD pour en voir parfois
une interprétation plus cradingue, effrayante ou simplement originale : American Vampire, Bite Club, Ouvert la Nuit ou encore Turf offrent des visions assez rock n’roll des
créatures de la nuit. Alors que dans le même temps, l’adaptation en roman
graphique de Dracula est un bide total à la fadeur aussi triste que prévisible,
les scénaristes n’osant rien et, surtout, ne racontant rien.
Le cinéma, quant à lui,
continue de tenter de décliner le monstre dans des situations diverses. En
inversant les rôles dans Daybreakers par exemple, où le vampire devient l’espèce
dominante, bien que menacée par la raréfaction de l'humain. A l’opposé, le Lesbian Vampire Killers de Claydon donne dans la parodie
potache et sexy, carrément débile ou franchement culte selon les goûts (Virgul, lui, a adoré et craqué pour Myanna Buring, ce chat est un obsédé mais il a un goût certain).
Plus récemment, le vampire
devient même une sorte de super-héros dans Dracula Untold. Le terrible Vlad
l’empaleur, dont les origines sont révélées, fait ici office de noble
protecteur de son pays et de sa famille en combattant l’envahisseur turc. Le
vampire n’effraie plus, au contraire, l’on s’en remet à lui contre les menaces
extérieures !
Outre le parcours chaotique du
mythe dans la fiction, il est amusant de constater que pratiquement tout ce qui
fait la légende du vampire, en tout cas tout ce qu’on lui attribue, est réel et
explicable.
Bien des maladies ou carences temporaires peuvent bien sûr être soulagées par des transfusions mais il existe aussi une sorte d’allergie
à la lumière, la protoporphyrie érythropoïétique, qui provoque des douleurs
intenses après une exposition.
Plus fou encore, l’on peut
aussi expliquer l’absence de reflet dans les miroirs par un trouble mental
relevant de l’hallucination négative. Dans de très rares cas, un sujet (et la
puissance de l’inconscient est ici fascinante) peut ne plus distinguer sa
propre image.
Mais l’essentiel ne tient pas
dans les faiblesses du vampire, ses variations littéraires ou ses réactions
scientifiquement explicables.
Le vampire, avant la prochaine
révolution qui ébranlera faussement son territoire, reste un gentleman du
crime, un tueur tout excusé, car n’obéissant qu’à des règles de survie, un type
souvent instruit et fascinant, car ancien et expérimenté, un aristocrate
véritable, car au-dessus de la mêlée.
Il marche parfois au grand
jour et en vient à ne plus craindre les crucifix et l’ail, comme s’il évoluait,
lui aussi, et cherchait à nous dire que les vieux grigris ne fonctionnent qu’un
temps.
Il est partout et nulle part,
s’infiltre dans nos habitudes, surfe sur nos idées reçues et pose une main
glacée sur le bord du lit ces nuits où l’on sait pertinemment que quelque chose
est présent dans la pièce…
Plus encore qu’un monstre, il
est aussi l’éternité, celui qui tient la mort en échec et en devient maudit.
Mais à l’inverse du zombie, qui se dégrade et perd intelligence et personnalité,
le vampire partage encore bien des habitudes avec nous. Il peut être sans pitié
ou faire preuve de mansuétude, il peut encore aimer et bien sûr haïr, il échappe à la loi des hommes mais il dépend
d’eux et de leur sang. Il est un monstre mais un monstre séduisant, complexe,
contradictoire, dont les pouvoirs font envie.
C’est peut-être cela qui fait
sa plus grande particularité. Peu de gens souhaitent devenir un tueur en série
psychopathe, une créature de Frankenstein rapiécée ou un alien gluant, mais
certains sont tentés par le vampire, ce qui en dit certainement plus long sur
l’Homme, et ce qu’il est prêt à endurer pour échapper à son destin de fourmi,
que sur cet être maléfique légendaire.
Sélections UMAC - Le meilleur du Vampire :
1 - au cinéma
2 - en littérature
3 - en comics
4 - en manga
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