Tentative d’analyse du style
d’un auteur très particulier : Dean Koontz.
Pourquoi particulier ? Eh
bien parce que Koontz peut se révéler aussi enthousiasmant que décevant. Contrairement
à un Stephen King, au style parfait, quel que soit le roman, et à la technicité
certes méconnue mais essentielle, Koontz peut sombrer dans les pires travers
et, tout en se raccrochant aux branches, aller tout de même au bout d’un roman.
Voilà sans doute pourquoi
Koontz est intéressant à étudier, non pas tant parce qu’il est souvent bon mais
parce qu’il est régulièrement insuffisant, voire mauvais. Or, l’on peut
apprendre d’une œuvre autant par ses réussites que ses échecs, l’absence d’un mécanisme
essentiel étant même souvent plus flagrant que sa subtile présence.
Commençons par situer un peu
l’auteur pour ceux qui ne le connaissent pas. Koontz écrit des romans de genre
qui vont du fantastique au thriller policier en passant par la SF. Il est
particulièrement prolifique, depuis des décennies. Certaines de ses œuvres ont
été adaptées en film ou BD. Il a racheté les droits de ses plus anciens romans
pour empêcher leur réédition et a modifié largement certains écrits toujours disponibles (un comportement pas si anecdotique que cela et sur lequel
nous reviendrons).
Si l’on s'en tient aux apparences, Koontz, par son sens du suspense et le paranormal qui parsème
nombre de ses récits, peut se rapprocher d’un King. Il n’est pas rare d’ailleurs
que certains en viennent à comparer les deux écrivains. Pourtant, ils sont très
différents et certainement pas, en ce qui concerne l’écriture,
au même niveau. Koontz est en effet coutumier de facilités, caricatures ou
lourdeurs que l’on ne voit jamais chez King, même dans ses plus vieux romans.
Pourtant, Koontz n’est pas
catastrophique au point qu’un de ses livres nous tombe des mains. Si King est
un hors-bord racé et efficace, Koontz est un paquebot qui prend l’eau mais
parvient à effectuer sa traversée, tant bien que mal. Et si le paquebot prend
l’eau, c’est bien qu’il y a des brèches sur sa coque. Voyons de plus près en
quoi elles consistent.
Je précise dès le départ que
malgré ce qui va suivre, j’aime bien Koontz. Je lui reconnais des qualités. Il
parvient à émouvoir, installer un suspense, magnifier certaines scènes. Ce
n’est pas Masterton quoi (un auteur réellement très mauvais). Mais il se tape
trop d’ornières évidentes pour qu’on le classe parmi les maîtres.
Commençons par les
personnages. Ceux de Koontz sont souvent relativement monolithiques bien que
cet aspect rigide soit parfois un peu camouflé. Dans
La Nuit des Cafards, l’un
des bons romans de l’auteur, l’on fait connaissance avec deux archétypes
essentiels chez lui : le « flic héroïque » et la « femme en
devenir ».
Le flic héroïque, caricatural
en soi, est souvent chez Koontz agrémenté en plus de clichés le rendant
totalement improbable. Le mec est intelligent, intuitif, intègre,
cultivé,
artiste dans l’âme, modeste, séduisant… bref, c’est un catalogue de
qualités : la pire des manières de donner un semblant de consistance à un
personnage.
La femme en devenir, chez
Koontz, est souvent définie comme ayant échappé à un passé difficile (c’est le
cas dans
La Nuit des Cafards,
La Semence du Démon…) qui lui permet de se
transcender. Elle souffre souvent à cause d’hommes l’ayant maltraitée (le père,
le mari, parfois les deux) ou s’avère presque asexuée, se lançant à corps perdu
dans son travail (
Les Étrangers,
La Nuit des Cafards,
Les Larmes du Dragon…) pour
compenser. Toutefois, la plupart du temps, elle ne se réalise pleinement que
lorsqu’elle rencontre le héros, chevalier blanc qui lui permet à la fois de
passer un cap tout en revenant à une condition de femme sexuée (qui ne lutte
plus contre les hommes en trouvant l’homme « véritable », fort mais bienveillant).
D’une manière générale, l’homme
et la femme se rencontrent et forment un tandem presque magique (
Le Rideau de Ténèbres,
Les Larmes du Dragon,
Chasse à Mort…). Ils sont partenaires au départ
ou se découvrent une attirance fulgurante, mais l’on sent bien qu’ils sont liés
et complémentaires (l’image du couple idéal, voire de la famille idéale, est
sublimée par exemple dans
Lune Froide).
Alors, ce n’est pas grave
qu’un flic soit beau et intelligent, ou qu’une nana soit une pauvre chose
revenue d’un passé difficile, ce qui est ennuyeux, c’est le fait de les résumer
tout le temps à ça. Et d’en faire des pièces systématiques d’un puzzle
prévisible.
Plus récemment, lorsque son héros échappe à ce stéréotype (Le Mari, Un type bien, Le choix vous appartient...), sa psychologie est alors minimaliste et passe bien après la situation et le suspense qu'elle génère. Remarquons que dans ce cas il ne s'agit pas forcément d'un manque mais peut-être d'un choix délibéré permettant de concentrer l'attention sur les évènements et le problème moral qu'ils posent au personnage mais aussi au lecteur.
Quoi qu'il en soit, que ce soit à dessein ou par mauvaise habitude, le héros koontzien possède un profil type très limité.
La thématique est également un
point essentiel chez Koontz, car elle s’avère souvent prometteuse mais survolée
dans le sens où elle ne fait qu’effleurer les zones sombres contenues en son
sein. Rarement l’on a pu voir un auteur de genre promettre autant et donner
aussi
peu.
Que ce soit la manipulation
par le biais d’images subliminales, l’envie de meurtre chez les adolescents,
les dangers inhérents à l’intelligence artificielle, tout chez Koontz demeure
dans le domaine déceptif de l’évocation, voire dans le domaine enfantin de la
caricature. Non seulement à cause d’un style qui limite déjà beaucoup l’aspect
émotionnel mais aussi à cause de choix narratifs qui ne vont jamais titiller le
sujet abordé dans ce qu’il peut avoir de plus dérangeant.
Malgré des sujets en apparence
osés et quelques scènes effrayantes (ou plus rarement gore), Koontz reste
profondément politiquement correct, presque prude. Ainsi, dans
La Semence du
Démon, il ne s’appesantit pas vraiment sur les fantasmes sexuels – pourtant
potentiellement fascinants – de l’intelligence artificielle qu’il met en scène.
Pas plus d’ailleurs qu’il ne tente de décrire son exotique mode de vie. Dans
La
Voix des Ténèbres, alors qu’il aborde le thème scabreux mais riche du fantasme
morbide chez l’enfant, il va là encore (au contraire d’un King qui a pleinement
exploré le sujet dans nombre de ses romans, cf. cet
article) se contenter de
rester dans la limite d’un raisonnable qui ressemble furieusement à de l’aridité.
Quant à ses leitmotivs
personnels (la lente déliquescence de la société, la perversion du système, les
dérives sociales et médiatiques), ils sont si abruptement assenés qu’ils ont l’air
factices alors même qu’ils décrivent une réalité évidente et auraient pu le faire passer pour, sinon un visionnaire, du moins un auteur lucide et courageux,
en prise avec son époque.
Le méchant « pardonné »
et les fins gentillettes constituent le troisième pan négatif du style
koontzien. Il n’y a jamais rien de tendancieux chez Koontz, au point que même
les pires ordures sont toujours excusables (par la maltraitance, dans
La Nuit
des Cafards, la maladie, dans
La Mort à la Traîne, le traumatisme, dans
La Voix des Ténèbres, etc.). Même les pires individus
sont conformes à un certain code
de bienséance (et entraînent d’ailleurs l’improbable compassion de leurs
victimes, parfois au détriment de leur propre sécurité), à moins qu’ils soient
de nature paranormale ou extraterrestre.
Le procédé atteint son
paroxysme dans La Nuit des Cafards où les personnages principaux en viennent à
éprouver une profonde empathie pour un tueur en série, sous prétexte qu’il a
été maltraité par sa mère. Puis pour sa mère, sous prétexte qu’elle-même était
maltraitée par son père ! L’auteur s’arrête là dans son jeu de poupées
russes destinées à noyer la responsabilité dans un magma psychologique de
bazar, mais l’on sent qu’il n’était pas loin de nous faire pleurnicher aussi
sur le grand-père.
De tels choix ne sont pas sans
effets et tendent à laisser penser que personne n’est jamais responsable de
rien, que les assassins sont des victimes ballottées par un destin cruel. C’est
bien entendu déjà absurde dans la réalité (l’on peut toujours expliquer les
éventuelles raisons d’un comportement, ce n’est en aucun cas une preuve de l’inéluctabilité
de ce comportement) mais en fiction cela devient en plus ridicule. Même lorsque
le héros a failli y passer dix fois et qu’il est obligé d’enfin buter le
criminel après bien des atermoiements (au détriment bien entendu de ses proches
qui sont en danger), il y va de sa larmichette et de ses regrets quant à l’emploi
d’une violence pourtant inévitable et dont il n’est pas responsable.
Après tout, pourquoi pas si quoi que ce
soit justifiait un tel état d’esprit dans l’histoire, mais il n’en est jamais
rien, il s’agit juste d’un schéma automatique répété au fil des intrigues. Du
coup, en plus d’être plutôt invraisemblables, cela rend les récits très
prévisibles. Et en matière de scènes téléphonées, les happy ends de Koontz sont
sans doute les plus calamiteuses. Non pas qu’une histoire ne puisse pas bien se
terminer, mais là encore, lorsque systématiquement les héros sont réunis après
les épreuves et s’en vont couler des jours paisibles dans une écœurante
profusion de guimauve, l’on ne peut qu’être déçu et agacé par tant de
platitudes et de soupe tiédasse.
Koontz n’est pas totalement
ignorant de son Art. Il sait mener un récit et y insuffler de la tension mais
ses romans sont plus des constructions branlantes que des édifices parfaitement
pensés pour résister aux effets dévastateurs d’une lecture attentive. Il en est
d’ailleurs lui-même conscient puisqu’il en a réécrit
certains et souhaite même
faire oublier les plus anciens. Vu son rythme de travail ahurissant (parfois
quatre, cinq, voire sept livres la même année pendant ses périodes les plus
productives !), l’on se demande d’ailleurs si, bien qu’il ait
considérablement ralenti de nos jours, il ne gagnerait pas en efficacité à
prendre un peu plus de temps entre chaque ouvrage.
Caricatural à l’extrême,
prévisible, adepte des schémas répétitifs, lourd dans certaines descriptions,
parfois très guindé et daté dans ses dialogues, Koontz est perclus de défauts si nombreux
et importants que l’on est toujours un peu surpris d’être arrivé au bout de l’un
de ses récits. Cela peut néanmoins s’expliquer, car si l’auteur se révèle
partisan de la facilité et des clichés, il a aussi suffisamment de métier et de
bases techniques pour que la plupart de ses romans soient addictifs. Il
parvient à intriguer malgré les scènes téléphonées, à émouvoir malgré le côté
artificiel de ses personnages, et même à susciter la réflexion malgré la pauvreté
du traitement de ses sujets les plus forts.
Au final, il n’en est que plus
admirable et compense ses tares par un indéniable sens du rythme, une narration
instinctivement nerveuse et une passion réelle qu’il parvient à insuffler dans
les domaines qui le touchent personnellement (son amour pour les chiens par
exemple). Et comme toutes les règles (surtout littéraires) ont leurs
exceptions, il se transcende parfois et peut, à partir de presque rien,
quelques tentacules par exemple, commencer à inquiéter vraiment le lecteur.
Si Koontz n’est pas parfait et
même souvent irritant, il reste un auteur étonnamment efficace grâce à sa
maîtrise narrative et des élans de sincérité qui lui épargnent de justesse de
finir dans la grande décharge de l’Imaginaire où vont s’entasser escrocs et
incapables. Il est aussi peut-être la preuve vivante que l’écriture ne peut se
résumer à des techniques (pourtant indispensables, cf. cet
article) ou des
recettes, ni même un catalogue de seules qualités, mais dépend aussi de la
personnalité de celui qui tient la plume.
Et de cette si inexplicable magie qu’il peut insuffler dans l’encre.