Retour sur une belle collection consacrée à l'une des légendes de la BD franco-belge : Ric Hochet.
Voilà un personnage dans la droite ligne des Tintin ou Lefranc (un reporter, plutôt courageux, intelligent, et constamment confronté au crime) bien qu'il soit en réalité plus moderne que le premier et bien plus entouré de mystères que le second. Ses auteurs, André-Paul Duchâteau au scénario et Tibet au dessin, vont lui faire traverser cinq décennies en enchaînant des récits palpitants aux thématiques variées.
Si le personnage poursuit ses aventures de nos jours grâce à une nouvelle série et un nouveau duo créatif (cf. cet article), c'est bien au titre originel, comptant tout de même 78 tomes, que nous allons nous intéresser aujourd'hui.
La première des questions que l'on peut se poser quant à cette série concerne sa modernité. Ric Hochet est-il "daté" ? Eh bien, curieusement, pas tant que ça. Bien entendu, les premiers albums, publiés dans les années 60, sont assez différents de ceux qui seront produits par la suite, dans les années 90 ou 2000. Le trait de Tibet a évolué, tout comme la narration de Duchâteau. Mais certaines caractéristiques du héros font qu'il demeure tout à fait agréable à suivre. Cela est dû en partie au style graphique de la série. En effet, si nous sommes en présence d'une Ligne Claire, elle n'est pas aussi conventionnelle que celle d'un Hergé par exemple. Les décors notamment vont jouer un rôle important et se révéler travaillés, que ce soit au niveau du détail ou de la colorisation, vraiment réussie et subtile pour l'époque.
Il faut préciser à ce stade que Tibet ne réalisait pas lui-même cette partie du travail. Des assistants se chargeaient en effet de ces fameux décors. L'on peut citer notamment Jean Mariette (Mittéï), Daniel Henrotin (Dany), Christian Denayer ou Didier Desmit, qui ne seront pas pour rien dans l'ambiance générale dégagée par les enquêtes de Hochet. Que ce soit dans de petites bourgades ou en pleine nature, de nuit, sous la pluie, le cadre est souvent réaliste, mystérieux, plein d'un charme indéniable et d'ombres menaçantes. Bien entendu, certaines cases, lors de dialogues par exemple, sont plus simplistes, sur fond uni, mais les dessins, par leur style, viennent néanmoins souvent soutenir une atmosphère réellement inquiétante. Les planches, très lisibles, dynamiques, s'écartent également parfois de la disposition en gaufrier, pour permettre par exemple l'incrustation d'une case au sein d'un plan plus large. Un procédé narratif courant dans les comics, moins dans le franco-belge de l'époque.
Le second point fort de la série, qui n'évolue pas tout à fait dans le polar classique, est bien sûr son penchant pour le surnaturel et l'ésotérisme. Même si derrière les crimes les plus sordides se cachent tout de même des coupables bien humains, l'ambiance va là encore être influencée par la présence de soi-disant monstres et de domaines aussi étranges qu'effrayants : vampires, loups-garous, vaudou, revenants, terribles inventions ou sectes diaboliques imprègnent les aventures de Ric. Les titres des albums sont d'ailleurs souvent éloquents et puisent dans un registre très sombre.
Aussi, bien que Tibet ait toujours considéré que la série s'adressait aux enfants, celle-ci s'avère au minimum "familiale", tant par ses thèmes fantastiques que son graphisme recherché. C'est d'ailleurs là un signe de qualité : si une série estampillée "pour enfant" peut être lue sans ennui par un adulte, c'est que l'auteur, contrairement à beaucoup, ne prend pas les gosses pour des benêts. Et ne pas se foutre de son public, ça reste tout de même essentiel pour un artiste qui se respecte.
Duchâteau, lui aussi, va contribuer à faire de ces albums des histoires très abouties et jamais niaises ou enfantines. Les conclusions de certains récits, parsemés de personnages troubles aux motivations méprisables, flirtent avec une amertume de bon aloi (l'on pourrait même penser que le personnage préfigure un peu, au moins par certains aspects, le futur et moins héroïque Jérôme K. Jérôme Bloche). Ainsi, Hochet ne va pas toujours l'emporter, en tout cas, pas totalement.
Les personnages secondaires, eux aussi, sont plutôt bien campés. Le commissaire Bourdon, loin d'être un simple faire-valoir malhabile (c'est même plutôt un vieux briscard), n'a rien de commun avec un Dupont/Dupond, et Nadine, un personnage féminin véritablement sexué, dépasse elle aussi le rôle de potiche en détresse qu'on aurait pu imaginer. Là encore, l'approche est relativement moderne (rappelons que Tintin se balade, lui, au départ avec juste un chien puis un marin barbu, et que le compagnon d'aventure de Lefranc est Jean-Jean, un jeune scout...). Quant aux ennemis récurrents, citons le célèbre Bourreau, chef d'un service spécial étranger, espion obèse et sans scrupules, qui connaîtra une fin... aussi définitive qu'ironique (car, oui, l'on meurt pour de bon dans cette série).
Voyons maintenant cette fameuse collection Intégrale. Elle contient 20 tomes (environ 20 euros chacun). Les deux premiers contiennent 3 albums, tous les autres en rassemblent 4, ce qui est tout de même pas mal. En plus des BD, l'on trouve de nombreux bonus dans chaque volume : infos diverses, illustrations et photos, interviews, couvertures du magazine Tintin, sources d'inspiration, anecdotes et même les énigmes de l'époque destinées aux jeunes lecteurs (voir la note de bas de page 1 de cet article). Le tome 20 contient donc l'album 78, inachevé (certaines planches sont encrées, mais la plupart restent à l'état d'ébauche, en crayonné).
Tout cela se trouve à des prix assez raisonnables en occasion, cela peut aussi encore se commander en neuf sur le site de l'éditeur : Le Lombard. L'achat se fait ensuite par l'intermédiaire du site 9e store, avec un système de points à l'inscription permettant de réduire les frais de port. Et vous pouvez même payer par paypal.
Au final, voilà un personnage fort ancien mais qui, fait rare, pourrait bien plaire au lectorat actuel en plus des habituels nostalgiques. Si Ric Hochet demeure un héros très "propre", au physique banal (mis à part la coupe de cheveux, on dirait un Tumbler ou un Buck Danny), ses aventures, aux décors soignés, aux thèmes flirtant avec l'étrange et le surnaturel, et à la violence pas tout à fait édulcorée, ont très bien vieilli et méritent encore une bonne place dans les bibliothèques.
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