Après Opération coup de poing, puis un détour par Henri, Porte des Lilas, on aborde
aujourd’hui, dans cette rubrique Rewind, le titre Smalltown Boy, des Bronski
Beat.
Smalltown Boy sort en 1984.
C’est un titre qui est aujourd’hui qualifié "d’ouvertement gay" (et
il est vrai que cela semble évident si l’on sait lire entre les lignes), mais
rien dans les paroles n’est réellement explicite. Elles évoquent un garçon incompris
par ses proches, maltraité par des gens difficilement identifiables, que l’on
peut imaginer être ses "camarades" de classe, ses collègues, ses
voisins.
Le narrateur, sans réellement
expliquer pourquoi, parle de s’enfuir, de quitter sa maison, quitte à affronter
la solitude (et en effet, son départ, sous la pluie, n’est pas très joyeux). Au
final, seule touche positive si l’on s’en tient aux paroles, on sent une
véritable délivrance et surtout une ténacité hors du commun :
And as hard as they would try
They’d hurt to make you cry
But you never cried to them
Just to your soul
En tout cas, on est en face
d’un petit gars qui n’emmerde personne et s’en prend plein la gueule. Et ça,
c’est universel, ça parle à tout le monde. Enfin, à tous les gens qui ne sont
pas des putains de psychopathes.
Mais c’est surtout le clip, réalisé
par Bernard Rose, qui va inscrire ce titre dans les mémoires.
Tout commence par des rails,
une musique lancinante, un visage collé à une vitre de train. Le paysage défile
pendant qu’un type, a priori banal, se remémore les raisons de son départ.
Une scène le montre regardant
un mec à la piscine. Une attirance qui semble partagée mais se
termine par un refus assez sec.
Une autre scène, dans une
ruelle, le montre poursuivi par un gang : celui des éternels abrutis, ivres de leur
nombre et de leurs certitudes. Ils vont le passer à tabac. Parce qu’il est
seul. Parce qu’il a une sexualité différente, qu’il n’affiche même pas.
Le jeune homme est ramené chez
lui, en piteux état, par un policier. Il est accueilli par ses parents, et là,
scène ahurissante, son père, au lieu de le soutenir, de le rassurer, de le
consoler, son père… l’engueule. Comme s’il était coupable.
La mère, elle, pleure.
Transition sur le visage du jeune
homme dans le train, qui se souvient, encore et encore, de ce qu’il fuit.
Cette fois, on voit la scène
des adieux. Il dit au revoir à sa mère, ils s’étreignent. Son père est là,
distant, le visage fermé. Pensant sans doute faire son "devoir", le
père tend un billet. Le gamin ne sait même pas quoi faire. Il tend la main à son tour,
pour remercier, pour dire au revoir. Mais cette main ne sera jamais saisie. Le
père tourne le dos et s’en retourne à ses occupations et ses principes trop
rigides pour être respectables.
Cette dernière scène est sans
doute la plus violente, le jeune homme perdant l’amour de son père non parce
qu’il a mal agi, mais pour ce qu’il est, pour ce qu’il subit. Évidemment, c'est très manichéen, on ne s'attarde pas sur ce qui pousse le père à agir ainsi (difficile de toute façon sur la durée d'un clip), mais c'est très efficace.
J’avoue que lorsque ce titre
sort, je suis loin de le comprendre (en même temps, à l’époque, j’ai 12 ans) et
la voix de Jimmy Somerville m’horripile. Aujourd’hui, je le trouve à la fois profond,
sobre et brillant. Les paroles peuvent s’appliquer à bien des adolescents étant
rejetés pour une raison plus ou moins bien définie, une batterie efficace
encadre une mélodie simple mais qui finit par devenir envoûtante, et l’histoire
tragique, racontée en quelques minutes dans ce clip frisant la perfection, se
termine sur une touche positive. Merde, c’est quand même sacrément bien fait !
Cette chanson sera un succès
mondial à l’époque. Engagé sans être stupidement militant, le titre est d’une
grande intelligence et touche à l’universalité tant ce qu’il décrit ne concerne
pas uniquement l’orientation sexuelle mais des rapports humains qui ne
devraient pas être faussés par des a priori absurdes ou des attentes qui ne
concernent nullement les parents.
Aujourd’hui agréablement
nostalgique si l’on s’en tient aux notes, Smalltown Boy reste d’actualité en ce
qui concerne les préjugés et la bêtise de certains qui continuent de juger,
même leurs proches, et d’agresser des innocents. Mieux encore, les paroles (et
la logique, imparable) de cette chanson peuvent aussi être retournées contre
les abrutis sectaires qui, sous couvert d’une appartenance à une minorité, tentent
d’imposer leur point de vue par la violence et la menace.
Au final, ce n’est pas la
cause ou l’individu qui font le salaud, mais bien souvent la bêtise engendrée par le nombre.