Remontons un peu le temps. Nous sommes en 1986 et niveau ciné, cette année va proposer du lourd. On est dans le fucking futur les matous ! Ce que l’on voit sur grand écran est juste dingue. Top Gun et Aliens, notamment, défoncent le box-office à la rentrée. Et au milieu de ces mastodontes, une petite comédie d’aventure qui semble ne pas faire le poids : Les aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin. S’il va se goinfrer bien méchamment dans les salles, ce film de John Carpenter va par contre connaître un grand succès bien plus tard, en VHS puis DVD.
Big Trouble in Little China
Jack Burton est un héros très… particulier. C’est un routier qui aime blablater sur la CB (la citizen-band, 73-51 la station !) et est habillé comme le plouc lambda, mais sympathique, qu’il est. On est alors très loin d’un Marion Cobretti qui va apparaître dans le même moment dans les salles, ou d’un John McClane encore en gestation, qui ne viendra buter du terroriste germanique que deux ans plus tard.
Kurt Russel est d’ailleurs parfait dans ce rôle non pas d’anti-héros, mais de "pas héros du tout". Le mec subit, il est maladroit, un peu lourd, pas forcément très futé ni très fort d’ailleurs… bref, un type normal, mais qui a bon fond et veut bien faire. Et qui se la raconte un peu, forcément.
Carpenter, lui, se fait plaisir dans ce long métrage très second degré, qui rend hommage, entre autres, au cinéma de Hong Kong bien avant qu’il ne se popularise réellement en Occident. L’intrigue oscille entre burlesque bon enfant, fantastique light et action trépidante (presque trop parfois, avec un montage nerveux et un rythme plus que soutenu).
Tous les ingrédients sont là pour faire de ce film un divertissement parfait : de la castagne qui reste tout public, des effets spéciaux plutôt bien fichus pour l’époque, un personnage principal ultra-charismatique, une jolie demoiselle pas si en détresse que ça, et un humour qui fonctionne aussi bien sur les répliques que les gags visuels. Presque du Tintin, le côté déconneur et sexué en plus.
Aujourd’hui presque unanimement respecté et reconnu comme précurseur, Big Trouble in Little China est en plus auréolé de cette indéfinissable nostalgie qui baigne ces phénoménales années 80 où tout explosait, devenait plus grand, plus fou, plus novateur…
Mais c’est aussi un film très bien réalisé et qui ne se prend pas au sérieux. Une sorte de pastiche-hommage à un moment où les héros étaient encore des héros de BD… et à une époque où la BD n'était elle-même encore pas tout à fait sérieuse. Ce n’est pas un hasard si Watchmen et The Dark Knight Returns vont sortir cette année-là et signer une plongée vers quelque chose de plus âpre, plus sombre, plus douloureux. Jack Burton, son côté loser, son "non-héroïsme", ses gaffes – et son look négligeable plus que négligé – est l’un des derniers grands personnages à la fois populaire, non réaliste et profondément optimiste. Il est l’antithèse d’un Joe Hallenbeck. Il peut boire sans devenir alcoolique, se coltiner des méchants maousses sans risquer de passer l’arme à gauche, et se taper la jolie avocate en prime (qui s’appelle Gracie Law, parce que dans ce monde-là, l’on porte les noms que l’on mérite). Il est la pop culture dans son état originel. Notre regard d’enfant sur le monde.
Signe qui ne trompe pas, à l’époque, Jack Burton obtient tout de même la note de 15/20 dans le magazine Hebdogiciel. Ce qui reste impressionnant tant l’on sait combien cette publication était féroce, notamment avec les films qui se voulaient trop bas de plafond ou racoleurs.
Si vous voulez tenter de prolonger le plaisir, sachez qu’il existe des comics Big Trouble in Little China (25 épisodes, par Eric Powell, avec la bénédiction et la participation de Carpenter himself), une série Old Man Jack (en 12 épisodes, avec toujours Carpenter et Anthony Bunch au scénario), et enfin une mini-série (6 épisodes, par Greg Pak) développant un crossover entre Jack et… Snake Plissken. Et hop, double ration de Russel !
Mais bon, ne vous y trompez pas, ces BD ont été réalisées trop récemment pour être baignées dans ce parfum si capiteux et unique. Le vrai Jack, lui, est encore là-bas... dans les années 80.
— Jack, comment on va s’en sortir ?
— J’en ai aucune idée.