Or, aujourd’hui, nous allons explorer les prémisses de ce
point d’orgue éditorial avec le volume #6 de l’Epic Collection consacrée aux
X-Men : Proteus. Un album quasi indispensable et d’une densité
exceptionnelle contenant les épisodes 111 à 128 de la série (datés de 1978 à 1979), un excellent
Annual (avec un George Pérez inspiré) et deux épisodes bouche-trous passables,
dont un Annual de The Incredible Hulk qui ne doit sa présence dans l’ouvrage qu’à
l’intervention de John Byrne comme dessinateur et à celle d’Angel dans une
histoire avec des Sentinelles frisant le ridicule…
La véritable action débute donc avec Mindgames. On se situe
peu de temps après le retour des X-Men sur Terre après leur périple cosmique
aux côtés de l’équipage du Starjammer, dans le but d’aider Lilandra à démettre
son frère dément (D’Ken) de ses fonctions de Majestor de l’empire de Shi’ar. On
peut regretter que la compilation ne soit pas remontée jusque-là car c’est dans
le fameux épisode où les mutants affrontent la Garde Impériale au pied du
Cristal de M’Kraan, qui renferme la Fin de Toutes Choses, que John Byrne
prenait la relève du vénérable Dave Cockrum et hissait la série d’un cran.
Schéma qui deviendra classique par la suite, avec Wolverine comme dernier recours lorsque la situation semble désespérée. Alors que Cockrum avait plutôt mis en avant Tornade et Diablo, John Byrne a manifestement jeté son dévolu sur le mutant griffu : Canadien d’adoption, Byrne a sans doute voulu miser sur un personnage atypique au potentiel majeur, et on sait qu’il a régulièrement participé à l’écriture des scripts de cette époque. Toujours est-il qu’on a du mal à avaler que Jean Grey puisse s’être complètement fait hypnotiser, au point même de changer totalement de comportement, alors que Logan et même le Fauve résistent beaucoup mieux à l’agression psychique à l’origine de cette métamorphose. Les explications, sur le qui et le comment, s’ensuivront et, si elles ne sont pas vraiment satisfaisantes, permettront de découvrir le véritable instigateur de cette opération, et d’engendrer une confrontation magistrale entre l’équipe de Xavier et leur meilleur ennemi. Confrontation qui est donc le second round entre les Nouveaux X-Men et leur adversaire, le premier ayant eu lieu quelques épisodes plus tôt sur l’Ile de Muir. Scott Summers, conscient des défauts de ses partenaires (bien que plus adultes et sans doute plus puissants, ils sont aussi plus individualistes, n’interviennent pas de manière coordonnée, ce qui nuit à la cohésion et à l’efficacité de leurs actions), aura fort à faire pour tenter ce nouveau pari. Il y parviendra presque, mais au prix de la scission involontaire de l’équipe : le cataclysme provoqué par leur combat épique en Antarctique séparera les X-Men en deux groupes, chacun persuadé de la disparition de l’autre.
Un épisode se détache dans le lot, qui est au départ un intermède dans les tragédies s’abattant sur nos héros : Psi War (#117) se focalise sur Charles Xavier et nous montre une facette encore inconnue de lui, un souvenir de son passé, où il était encore un jeune homme valide et visionnaire, conscient de sa particularité génétique, à la recherche d’autres êtres comme lui. On sait que c’est vers cette époque, où il sillonnait les côtes méditerranéennes, qu’il a rencontré Erik Lennsherr, le futur Magnéto (chose qui sera narrée dans un épisode ultérieur). Ici, il arpente les rues du Caire et se fait surprendre par une toute jeune pickpocket (clin d’œil habile à un futur personnage), laquelle le mènera à un chef de gang qui s’avèrera un redoutable ennemi. Pour la première fois, Xavier rencontrait un mutant, s’étant déjà forgé un petit empire personnel, et usant de ses facultés pour se hisser au-dessus des hommes. Cet être viendra par la suite hanter les existences de nos héros, devenant un adversaire aussi dangereux et impitoyable qu’un Apocalypse.
Si Xavier finit par l’emporter, non sans mal, il en gardera un souvenir pénible, un sentiment de perte. C’est à l’image de l’orientation générale de la série : ses protagonistes n’ont aucun répit et souffrent davantage qu’ils ne se réjouissent. Les rares moments de détente sont systématiquement achevés dans la douleur ou le drame : revenus de l’enfer, ils auraient bien mérité une bonne période de repos en Terre Sauvage, non ? Une baignade au soleil, des indigènes chaleureux… mais rien n’y fait, et un ancien ennemi se charge de se rappeler à leur bon vouloir. Qu’ils arrivent au Japon et que Wolverine compte fleurette à une ravissante inconnue : un tremblement de terre (forcément) suspect vient les interrompre. Qu’Ororo se promène dans son ancien quartier à New York et la voilà agressée par des voyous ; qu’elle aille au grenier arroser ses plantes et la voilà agressée par un extraterrestre ! Que Peter, Kurt et leurs compagnes respectives se rendent au Lincoln Center pour une représentation du Bolchoï et les voilà kidnappés. Chacune des victoires du groupe se teinte invariablement d’amertume, de désillusions et laisse autant de traces et de cicatrices dolentes : les X-Men vont certes défaire leurs ennemis d’un jour mais ils perdront des équipiers ; l’un d’eux y laissera ses pouvoirs, un autre y perdra son innocence, car si Wolverine ne dédaigne pas devoir se salir les mains quand il le faut (la grimace de dégoût de Kurt et Ororo lorsqu’il se débarrasse des sentinelles à l’entrée du temple de Garokk vaut son pesant d’or), les autres n’y sont pas prêts.
Un excellent numéro, très complet, bourré d’aventures
distrayantes et riche en péripéties, annonçant des lendemains terrifiants et
exaltants. L’album est comme toujours complété par quelques suppléments
intéressants, dont beaucoup de planches de crayonnés souvent sublimes, une
planche alternative sur la captivité de Tornade, des couvertures originales et
d’autres bonus. Se situant 10 ans avant la naissance d'Excalibur (cf. cet article), il permet de voir l'évolution du style Claremont avec des intrigues qui étaient encore à l'époque fluides, quoique riches en trames sous-jacentes : les autres équipes X n'existent pas encore, Wolverine est en devenir et les traumas fondateurs n'ont pas eu lieu. Cela permet également de profiter du travail fantastique opéré par le duo d'artistes illustrateurs, les crayonnés dynamiques de Byrne étant clarifiés et précisés par la méticulosité d'Austin, un peu de la même manière que lorsque Bob Layton passait derrière Romita Jr au moment de leur run sur Iron Man (cf. cet article).
Un album quasi indispensable, quasiment rien à jeter, ce qui est assez exceptionnel compte tenu de la densité du volume. Un petit mot sur la langue originale : il faut parfois s'accrocher quant au jargon dont abuse Wolverine, et on s'aperçoit ainsi de l'écart énorme avec ce que proposaient les traductions françaises.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
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