Belle accroche, forcément exagérée, et qui attirera immanquablement le badaud. Mais qu'en est-il exactement ?
Qu'on aime (ou pas) le rock, qu'on aime (ou pas) l'Amérique, ce journal de bord en forme de road-trip est vraiment passionnant, notamment grâce aux réactions à chaud, au témoignage en temps réel d’un pur rocker anglais au pays où tout prend des proportions inimaginables. Ensuite, car il constitue également le remarquable (et très vivant) portrait d’un groupe refusant de suivre la mode tout en décrivant de l’intérieur, avec une fascinante causticité objective, un mode de vie américain idéalisé et survendu. Enfin car il se présente aussi, peut-être même avant tout, comme une réflexion désespérée sur les contraintes et les à-côtés méconnus du show business.
Nous voici donc à parcourir, sous la plume de Ian Hunter, un ouvrage aux centres d’intérêt multiples. Son style, franc, parfois cynique, fait alterner les souvenirs cocasses, les situations sordides, les lendemains douloureux et les dialogues parfois surréalistes : c’est que la faune que fréquentent les Mott est celle des roadies empressés et des groupies allumées, mais aussi des managers plus ou moins honnêtes ainsi que, bien entendu, des artistes de la scène rock dans son extension la plus large.
Avec les monstres sacrés, Ian se montre d'ailleurs plutôt respectueux, jamais outrancier alors qu’il dispose d’une mine d’anecdotes qui pourraient leur nuire. Mais non, il parle avec une touchante humilité de ces dieux vivants qu’il estime avoir eu l’insigne honneur de côtoyer (Bowie, bien sûr, qui a remis le groupe sur les rails en produisant All the Young dudes et les expédiant en tournée, Dylan ou encore les Stones – il faut absolument lire la manière dont Ian a réussi à entrer chez Elvis Presley au nez et à la barbe des gardiens !) mais aussi et surtout de ses pairs, tous ces chanteurs et musicos dont la carrière et la trajectoire croisent la sienne, de Keith Moon à Bryan Ferry en passant par les membres de Fleetwood Mac ou Jethro Tull. Jamais condescendant ou bêtement jaloux, il loue leurs qualités, d’abord musicales et parfois humaines, même quand il se fait battre froid, préférant à la rancœur pourtant légitime vanter la voix exceptionnelle de celui-ci ou le slide de celui-là.
Son ton en revanche se fait nettement plus âpre lorsqu’il s’agit de ceux qui vivent à leur dépens : ces organisateurs malhonnêtes qui ne proposent pas le minimum nécessaire pour répéter dans de bonnes conditions (et faire la sacro-sainte balance) et sont incapables de déterminer par avance l’ordre de passage des groupes, ces fans éméchés qui viennent systématiquement au mauvais moment et ne cherchent qu’à vivre un peu dans l’aura de leurs idoles.
C’est que, grâce à Hunter, on se retrouve carrément en plein dans ce monde enténébré, fait de paillettes et de gloire éphémère mais aussi de fêtes arrosées et de rencontres psychédéliques. Le rythme de vie d’un rocker en tournée nous éclate en pleine tronche, et le revers de la médaille est souvent amer, voire pénible – mais s’efface lorsque le concert a été une réussite totale. Hunter et ses potes (dont le guitariste Mick Ralphs, qui trouvera la renommée avec Bad Company) passent leur temps dans les boutiques de prêteurs sur gages, à rechercher "la" bonne affaire, une guitare Gibson ou Fender en bon état, voire une Martin (quelle déception lorsque, après une visite de la fabrique de ces guitares mythiques, on ne leur en propose aucune !). Ils ingurgitent régulièrement des calmants pour pouvoir dormir dans les transports (les lignes intérieures sont rarement confortables, et il leur arrive de voyager dans les Greyhounds, ces autocars argentés sillonnant les États-Unis), boivent et fument trop - mais sont conscients de leurs excès, commencent chaque jour un nouveau régime éphémère, connaissent tous les trucs pour se débarrasser en douceur de groupies trop entreprenantes (c’est que, voyez-vous, ils sont maqués et cherchent à éviter les tentations quotidiennes) mais surtout ne vivent et respirent que pour le Rock. Davantage que le nombre de spectateurs ou l’argent récolté, c’est la qualité de leur prestation scénique (et, surtout, de leur son) qui les intéresse : un concert foiré, voire annulé, va les miner plusieurs jours et leur faire appréhender le prochain ; un show triomphal ne les fera redescendre sur terre que de très longues heures après, leur laissant des souvenirs inoubliables.
Tout au long de ce périple de cinq semaines éprouvantes (la météo hivernale déroutera leur avion plus d’une fois), l’auteur nous trace un portrait inhabituel des States, fustigeant par exemple les hôteliers anglais pour leurs prestations au regard de ce que propose le plus petit établissement américain, s’émerveillant du décorum lié aux services culinaires comme de l’immensité des paysages survolés, pestant contre l’attitude de ces bourgeoises trop fardées pour être honnêtes et s’indignant sur la condition des Noirs et des Indiens. On voit à quel point ce Britannique pur jus (qui a épousé... une New-Yorkaise) aime l’Amérique, tout en détestant les Américains. Et combien il aime la musique.
Un livre jubilatoire, ludique et enrichissant.
Édité en France en 2011 par les éditions Rue Fromentin avec une traduction de Frédéric Collay & Anne-Laure Paulmont, une préface de Philippe Manœuvre ainsi qu'une postface de Philippe Garnier.
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