Tarzan #2 - Au centre de la Terre


Tarzan fait de la spéléologie en zeppelin et rencontre les fameux Vikings de la préhistoire.
Kamoulox !


Après un tome 1,Tarzan, Seigneur de la Jungle, tellement viscéral et sans concession, je m'attendais à découvrir avec ce tome 2 une suite prétendant au même type de réalisme cru. J'espérais de sombres forêts humides à la faune cruelle et de violents corps à corps aux conclusions funestes. Et cet album nous en offre en effet... c'est tout le reste qui m'a décontenancé.

J'avais apprécié le choix de Christophe Bec de revenir au texte initial d'Edgar Rice Burroughs en offrant à son Tarzan un regain de bestialité bienvenu après une multitude de déclinaisons plus pondérées et parfois loufoques sous d'autres plumes. C'est que notre pauvre homme-singe en a vu de toutes les couleurs, ces dernières décennies, avec ses innombrables itérations.

Mais Bec choisit ici de faire comme Burroughs avant lui et d'user de Tarzan comme d'un trait d'union entre quelques chroniques sauvages à l'âpreté semblant issue de la nature primitive et ces récits d'aventures stéréotypés passablement absurdes qu'affectionnent les amateurs de pulp magazines.
Car oui, le mot est lâché : cet album est pulp. J'imagine même que ses auteurs s'en félicitent tant il est évident que telle est l'intention d'écriture. J'ai toujours trouvé que cette approche du personnage était regrettable, même sous la plume de son créateur initial ; le concept de l'homme sauvage qui se dresse au-dessus des animaux tout en faisant pourtant partie du peuple de la jungle au même titre que n'importe quelle autre bestiole du coin est bien suffisant pour passionner le lecteur, nul besoin de le faire redevenir Lord Greystoke ; son retour en Europe est d'ailleurs peu crédible, hormis dans une cage estampillée "authentique homme-singe, prière de ne pas lui lancer de bananes". Quand on sait que la Belgique organisait encore un zoo humain peuplé de captifs africains lors de son exposition universelle de 1958, difficile de croire l'Europe prête à restituer un titre et des richesses au roi de la jungle !
Mais force est de constater que Bec a choisi de marcher sur les pas de Burroughs... et de nous faire du pulp !
En tant que lecteur de 2021, j'avoue n'avoir jamais trouvé à ce genre délaissé le charme que d'aucuns lui prêtent. Alors imaginez l'effet que peut bien me produire une nouveauté se revendiquant comme telle !

Spoil de pulp.


Mais laissez-moi vous narrez les grandes lignes de cette intrigue afin que vous puissiez vous faire votre propre opinion.
Tarzan apprend le mariage prochain de Jane. Pour fuir sa douleur, il décide de filer à toute vapeur vers l'Europe. C'est à Paris qu'il décidera de s'installer temporairement sous l'identité de Mister Grey. Aspirant à une vie d'anonymat, il espère bien sûr que personne ne reconnaisse en cette féline masse de muscles surmontée d'une tête hirsute le désormais célèbre Lord Greystoke, revenu à la civilisation il y a peu... autant dire qu'il aurait mieux fait d'investir dans des lunettes ringardes, en plus de son joli costume. C'est une astuce que je tiens d'un copain journaliste.
À Paris, il écume les bars, fréquente des artistes, visite des musées et autres bibliothèques. Le terrible seigneur de la jungle est devenu une sorte de dandy séduisant le beau monde.
Lors d'une soirée à l'Opéra Garnier, il retrouve une connaissance croisée lors de la traversée vers le vieux continent. On l'a présentée à lui comme étant Olga de Coude, femme du Comte de Coude.
La dame ne lui cache nullement son attirance pour lui et tout s'accorde pour arriver à une situation où Tarzan devra, à l'aube, assumer les conséquences de ses jeux de séduction dans un duel à mort, pistolet à la main, face à l'un des tireurs les plus redoutables de l'époque... mais quand on est Tarzan, qu'est-ce qu'une balle ? Mon ami journaliste a souri en lisant cette réflexion.
Ces quelques cases m'ont rappelé à quel point le personnage fut parfois traité comme une sorte de super-héros par le passé. Et c'est bien ici le sort qui lui sera réservé. Cela ravira sans doute les fans des comics initiaux... mais ça ravive mes regrets : un Tarzan réaliste aurait été tellement plus intéressant !

Une fois débarrassé de ce fâcheux contre-temps, Tarzan veut retourner dans la jungle profonde, auprès des siens. En quelques planches, il sauve d'une mort certaine le meilleur chasseur de la tribu des Waziris et découvre que ces derniers détiennent une grande quantité d'or qui n'est en réalité qu'une infime partie d'un trésor colossal gardé par d'affreux prêtres hallucinés et difformes. Il s'empare du trésor, devient roi des Waziris puis tombe, au détour d'une marche dans une jungle sans doute trop petite, sur Jason Gridley. Ce dernier lui annonce que le Capitaine d'Arnot et Jane sont en danger et qu'il faut, pour les sauver, organiser une expédition jusqu'à Pellucidar, sous la surface de la Terre. Mais il faudra pour cela créer un zeppelin pouvant se glisser dans la faille qui mène dans la Terre creuse, faille située au Pôle Nord. Problème : un zeppelin géant expérimental, ça coûte bonbon ! Bah, ça tombe bien : Tarzan a plein d'or depuis la petite aventure qui a fait de lui le monarque des Waziris. Ni une ni deux, on embarque quelques guerriers de la tribu qui n'a sans doute pas besoin d'eux et on se barre pour le Pôle Nord où ils pourront frimer torse nu.

Là, on n'est pas à la moitié de cet album de 78 pages.
La suite nous réservera des créatures préhistoriques, des Vikings, des hommes préhistoriques qui parlent un langage que peut comprendre un chasseur d'Afrique équatoriale et pas mal d'autres choses... Je continue ? Bah non, inutile : c'est pulp, on vous dit !


Je sais que certains aiment ce genre de narration naïve, dépaysante et un rien régressive...
Je sais que c'est vraiment typique de la série Tarzan. Je connais Pellucidar, ce monde préhistorique préservé dans la Terre creuse (lisez les théories à ce sujet apparues dès le XVIIème siècle, il y a un potentiel qui vaut bien celui de la Terre plate !). Dans les récits de Burroughs, David Innes (l'autre héros emblématique de l'auteur, sorte de double inversé de Tarzan qui est tout ce que l'homme-singe n'est pas) a découvert le monde sous-terrain de Pellucidar grâce à l'emballement d'un système de forage novateur. C'est dans ce monde en dehors de notre perception que Tarzan et Innes se retrouveront pour leur unique rencontre dans un crossover qui a dû flanquer des crises d'épilepsie au palpitant de plus d'un fan du Burroughs Pulp Universe, il y a quelques poignées de décennies.

Je sais que cette bande dessinée exploite ce background et offre une histoire dont le rythme et les 
péripéties sont calqués sur les romans originaux et les bandes dessinées qui en ont été adaptées... 
Je sais tout ça... mais c'est pile poil ce que je lui reproche !

Ces cases datent de 1932 !
Si vous aimez ça, foncez à vous en arracher les semelles, le contrat est plus que rempli ! En plus, Stefano Raffaele (déjà associé à Bec sur Prométhée) et Roberto Pascual De La Torre (un artiste venant du monde de l'animation qui a dû souffrir, gamin, quand il a dû apprendre à écrire son nom) livrent des planches d'une qualité graphique respectable (même si moins poignantes que le travail de Stevan Subic sur le premier album). Ma préférence va au traitement plus détaillé de De La Torre sur les 56 premières pages mais Raffaele ne lui fait pas injure en terminant l'album.

Une continuité dans l'esprit de Seigneur de la Jungle aurait été préférable. En plus, la belle couverture signée Eric Bourgier semblait avancer cette promesse.
Difficile d'accrocher à ce type d'histoire qui semble être improvisée par un élève de dix ans : "Et... et... et alors, Tarzan, il tue un lion ; et alors, il devient ami avec le chasseur Waziri ; et... et alors, le chasseur l'amène à son village ; et Tarzan... Tarzan, il... il va jusqu'aux montagnes et là... là... là, il cherche avec les Waziris la cité écroulée pour trouver le trésor qu'il y a dedans ; et alors, on l'assomme mais il se réveille et ça va mieux et il voit une dame avec des gros nénés et elle le libère parce qu'il est beau et... et... et il se sauve et il prend l'or ; et... et... et alors, il devient le roi de Waziris parce que l'autre roi, il est mort."

Ma déception ne tient qu'à cela. Mais je sais que cela contentera, à l'inverse, nombre d'amateurs du genre.

Pour rester objectif, il faut admettre que ce type de narration est bien un genre à part entière. Et dans ce genre, le travail de Bec tient presque du tour de force : parvenir à nous balader de l'Afrique équatoriale au Pôle Nord en passant par l'Europe dans le même album de moins de 80 pages, le tout en alignant les phases d'action... c'est fortiche, même si certaines ellipses taillées à la tronçonneuse et dissimulant à nos yeux les voyages de Tarzan peuvent parfois rendre les transitions entre les environnements trop abruptes. Pour qui aime les récits d'aventures et se fiche pas mal de la crédibilité de l'ensemble tant que le souffle épique les embarque, ce doit être une réussite. Après tout, regardez cette case à gauche et osez me dire que ça ne sent pas la démesure de la grande aventure !

Dans ce tome 2, il y a encore deux autres détails qui peuvent faire sortir du récit : le langage et les rapports sociaux.

Le tome 1 nous offrait de nombreuses planches muettes. Pour ce héros qui avait grandi loin des hommes, quoi de plus logique ?  Le lecteur pouvait accepter le contrat tacite l'obligeant à suspendre son incrédulité et à gober que le simple fait d'avoir essayé de répéter les paroles d'une chanson sur gramophone avait permis de stimuler chez Tarzan ses capacités linguistiques et de ne pas faire de lui un être inapte au langage une fois arrivé à l'adolescence, ce qui est pourtant le sort effectif de tous les enfants sauvages recensés : au-delà de quelques années, le cerveau n'est plus apte à réveiller la zone du langage si elle n'a pas été stimulée.
Dans ce tome 2, Tarzan parle et écrit comme le Lord qu'il aurait dû être. Il a, pour ce faire, été formé à ces subtilités par le Capitaine d'Arnot entre le tome 1 et le 2... suis-je vraiment le seul que cet apprentissage improbable aurait au moins autant intéressé qu'un face à face avec une tortue géante ou des Vikings en armure ? 
Pour ma part, ça ne passe pas. Autant le "Moi Tarzan, toi Jane" de certains anciens films peut sembler naïf, autant je le préfère pourtant aux soliloques poétiques quasi baudelairiens et totalement improbables que l'on accorde ici à cet homme élevé par des singes.
De toute façon, l'ouvrage entier fait clairement fi de la barrière de la langue, comme le prouve l'image ci-dessus.

Il y a aussi les rapports sociaux que nourrit Tarzan avec son entourage.
J'adhère sans peine à l'idée qu'il devienne le roi des Waziris tant sa force leur inspire le respect (il pourrait être des leurs, il vit selon les mêmes codes qu'eux). 
Je peux comprendre la confiance et l'admiration que lui portent les occidentaux l'ayant vu à l'œuvre et lui devant parfois la vie (c'est que le gars impose le respect, quand même !).
J'ai déjà plus de mal à le croire aussi facilement accepté parmi la bonne société parisienne...
Mais on ne me fera pas gober que les membres de l'équipage du zeppelin acceptent de le prendre pour chef et de mettre leur vie entre ses mains sans trop sourciller. Après tout, ils ne savent rien d'autres de lui que des rumeurs et des récits de faits héroïques dont ils ont toutes les raisons de douter de la véracité... 

Mais il nous faut une conclusion, un avis, une sentence... eh bien soit, faisons cela.

Au centre de la Terre est un album rédigé comme on le faisait "dans le temps". Ceux qui aimaient et aiment encore cela seront conquis. C'est en ce sens un bon album : aucun des auteurs ayant travaillé dessus ne se moque de nous, c'est comme ça qu'on fait ce genre de BD...
Mais Au centre de la Terre pourra sembler hautement improbable, voire absurde ou ridicule à certains parmi nous dont je regretterais presque de ne pas faire partie. Ce doit être agréable de pouvoir se laisser porter par le fil des événements sans chercher la petite bête, agréable de ressentir l'appel tonitruant de l'aventure épique... Là où d'autres bloquent sur une case où deux gars qui ne devraient pas se comprendre tiennent une conversation, là où je m'envoie un facepalm à me projeter le lobe frontal au fond du cervelet en voyant Tarzan se prendre une bastos sans frémir...

Si vous avez gardé suffisamment votre âme d'enfant ou êtes très indulgent envers les aberrations scénaristiques, vous aimerez cet album. Et tant mieux pour vous comme pour les auteurs !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un album ambitieux, dépaysant et respectueux de la période pulp de Tarzan.
  • Un dessin et une mise en couleurs mêlant les inspirations des comics originels et une approche plus moderne.
  • Plus pulp que le tome 1. Peut-être même trop. Le scénario en devient parfois difficile à accepter, voire devient carrément risible... surtout après un tome 1 bien plus réaliste.
  • Globalement une déception... mais si vous aimez le pulp, foncez ! Le travail des auteurs est très honnête !