Une archéologue descendante d'esclaves, sa fille, une mère maquerelle, son protecteur, les restes d'un nécromancien et une clique d'adoratrices en tenues de Mères Noël... un joyeux cocktail fort peu conventionnel.
Au dessin, nous avons Patrick Boutin-Gagné, dessinateur de La bête du lac et Brögunn, storyboarder sur trois saisons d'Ultimate Spiderman et Puss in boots, illustrateur pour Ubisoft Montréal sur les séries Assassin's Creed, Far Cry et Rainbow Six : Siege. Le dessin donc de cet album témoigne de l'expérience du bonhomme en alternant entre certaines cases très détaillées et d'autres rappelant davantage un storyboard mis en couleurs. La mise en images est efficace et joue sur une grande diversité de plans dont on identifie parfois les influences cinématographiques ou vidéoludiques.
Au scénario, nous avons Serge Le Tendre, le mythique auteur de La quête de l'oiseau du temps (sans doute la BD qui a initié à la fantasy la moitié des bédéphiles de ma génération, les autres ayant biberonné L'épée de cristal de Didier Crisse) et Le réveil du tigre. Il fut aussi le créateur de Jérôme Bloche et du Cycle de Taï Dor, entre autres... Plus récemment, il a participé au western asiatisant Chinaman et au préquel de son œuvre-phare avec Avant la quête. Pour cet album, il nous narre une histoire de sorcières.
Fin du XIXème siècle, dans une ambiance hivernale, des citoyens de la petite ville de Shaleem se soulèvent pour mettre le feu à la maison d'Olivia, jeune veuve métisse accusée de sorcellerie. Elle décide de défendre son foyer fusil en mains et confie sa fille Mercy à sa meilleure amie qui n'est autre que la tenancière de la maison close locale. Malheureusement, en l'absence de nouvelles d'Olivia après l'incendie de sa maison, sa fille devient l'enjeu de manipulations orchestrées par Miss Ruth Taylor, épouse du juge local et sombre sectatrice vouant un culte morbide au cadavre d'un nécromancien maléfique qu'elle compte bien ramener à la vie. Miss Ruth, avec une clique de fidèles encapuchonnées de rouge comme autant de Mamans Noël, compte en effet ressusciter le vieux sorcier enfermé depuis plus d'un siècle dans le sarcophage des âmes. Olivia reparue, son amie proxénète Abbie et son imposant protecteur Hugo vont l'aider à récupérer son enfant... Tous trois vont allier leurs compétences multiples pour mener à bien ce sauvetage.
Avec un tel duo d'auteurs, l'éditeur Drakoo prenait peu de risques. Et, en effet, le résultat est assez fidèle à ce que l'on pouvait attendre de ces messieurs, à savoir : de l'inattendu. Toutefois, tout n'est pas parfait alors décortiquons un peu cet ouvrage très sympathique mais peut-être un peu léger.
Commençons, comme ci-dessus, par le trait du dessinateur : pour efficace qu'il soit, il ne parvient jamais à émerveiller. Il est un bon outil fiable au service du scénario mais n'arrive pas vraiment à émouvoir. Ce qui, pourtant, aurait pu être un atout indéniable et totalement justifié par cette histoire mettant en péril une adorable gamine. Sans doute les traits assez secs sont-ils la cause de ce petit défaut : les courbes du visage de la petite Mercy et ses gros yeux humides en couverture pouvaient nous faire penser à une approche émotionnelle mais les cases, elles, nous livrent des personnages anguleux aux contours semblant trop proches des croquis initiaux. C'est beau, bien entendu. Et soigné. Mais ce choix artistique (car c'en est un, à n'en pas douter ; nous avons affaire à un professionnel) amène au titre une dureté qui correspond certes au récit et au caractère de son héroïne Olivia... mais au détriment de la partie sensible et du personnage de Mercy.
Pour le scénario, il a l'énorme qualité de nous arnaquer comme Le Tendre sait le faire : il nous mène sur quelques pistes bien connues des amateurs de fantastique pour ensuite, en un pied de nez culotté, nous proposer un chemin alternatif tout aussi crédible mais nettement moins prévisible. C'est habile et agréable. Néanmoins, le récit souffre (à mes yeux) de certains défauts minimes comme des ellipses parfois un peu brutales et peu préparées ou quelques facilités trop évidentes à notre époque où l'on a lu maintes et maintes histoires fantastiques. Il est ici question de factions ayant des pouvoirs, certes... mais on en explique suffisamment peu les contours pour que certains desdits pouvoirs, lorsqu'ils apparaissent, puissent un peu faire l'effet d'autant de petits lapins sortis du chapeau du scénariste. Parfois, l'on a du mal à retenir un "Ah ben tiens, comme par hasard, il y a cette capacité-là". Alors que, oui... pourquoi pas ? Mais comme cela n'a pas été introduit, ça a des relents de deus ex machina un peu regrettables. L'on comprend aisément le désir d'introduire l'univers par l'action et l'on ne peut qu'être adepte du "show, don't tell" mais "show for the first time at the right moment to save the situation", c'est un peu gros.
Du coup, oui : c'est une lecture intéressante, divertissante et agréable. Oui, le dessin fait le job. Oui, c'est original et digne de la ligne éditoriale hautement qualitative de Drakoo, même si c'est en-deçà d'autres références de la maison. Oui, l'on serait ravis de voir une suite éventuelle (suggérée par les dernières cases de cette BD pourtant présentée comme un one shot) aux aventures de ces attachants personnages. Mais il y aurait alors l'obligation d'explorer davantage les arcanes de cet univers qui semble le mériter.
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