First Look : Cliff Burton



Nouveau First Look aujourd'hui, consacré cette fois à Cliff Burton !

Rappelons que le principe de cette rubrique consiste à s'intéresser au tout premier album d'une série. Cette fois, nous remontons jusqu'en 1984 avec Brouillard sur Whitehall, un récit qui introduit le personnage de Burton mais qui, nous le verrons plus loin, s'avère très particulier puisqu'il contient de multiples références à un classique de la BD franco-belge.
Mais présentons tout d'abord notre héros. Cliff Burton est un ancien du MI5 et un détective privé bossant occasionnellement pour Scotland Yard, dont il est également un ex-agent. Il est plutôt futé et athlétique et se démarque du profil classique du héros de BD policière par son look (il est roux et moustachu) et sa passion pour les fleurs.

La série, qui a pris fin en 1998, ne comporte que neuf albums. Tous sont scénarisés par Rodolphe (scénariste prolifique et romancier) et dessinés par Frederik Garcia puis Michel Durand. Le style graphique change donc radicalement à partir du quatrième album, intitulé Les Poupées de Sang.
L'ambiance générale de la série, résolument axée sur les enquêtes, va peu à peu verser dans un fantastique "light" et s'enrichir de touches d'humour fort bienvenues. 

En ce qui concerne ce premier tome, il débute par une série de meurtres sordides visant les forces de l'ordre. Le Yard de Sa Majesté découvre bien vite qu'une mystérieuse et sanguinaire secte indienne se cache derrière ces exactions. Sir Scott Dickson fait alors appel à Burton pour que le moustachu file un petit coup de main. Il faut dire que l'affaire se complique quand, aux meurtres de policiers, s'ajoutent une étrange dégradation au musée Madame Tussauds ainsi qu'une menace de mort visant Lord Campbell, membre de la Chambre et délégué aux Affaires Indiennes. 



L'action se déroule en 1921 et a pour cadre Londres et la campagne anglaise environnante. L'atmosphère graphique des scènes sous la pluie ou dans la pénombre est très réussie. De plus, la mise en page évite le classique "gaufrier" et se permet quelques plans larges et divers effets dynamiques. Le récit est, quant à lui, efficace et bien mené. Si l'on suit l'enquête avec plaisir, l'on peut toutefois regretter que le personnage de Burton soit à ce point transparent et banal, les quelques éléments originaux dont l'a gratifié son auteur peinant à lui insuffler une véritable personnalité.
C'est cependant dans une foule de petits détails que ce Brouillard sur Whitehall va se révéler surprenant à plus d'un titre.

Tout d'abord, la première planche de cette BD s'avère être un hommage à La Marque Jaune, d'Edgar P. Jacobs. Une info évidente, qui se trouve même sur Wikipédia. Mais les références, plus subtiles et moins immédiatement décelables, ne s'arrêtent pas là. L'ensemble de l'album semble être en effet un hommage appuyé à l'une des aventures de Tintin, en l'occurrence Les 7 Boules de Cristal. Tout d'abord dans son ambiance, inquiétante et liée à une menace exotique, mais surtout dans de nombreuses scènes faisant écho au récit d'Hergé sus-cité.
Quelques exemples : les personnages se retrouvent tous, à un moment, dans une grande et sinistre demeure, entourée d'un parc ; la décoration de cette maison est composé d'éléments exotiques ; le propriétaire de la demeure est assassiné malgré le fait qu'il soit sous protection policière ; Burton doit défoncer la porte de sa chambre pour constater ce fait ; le crime a eu lieu alors que la porte est verrouillée de l'intérieur ; un indien (amérindien dans les 7 Boules) disparaît ; les criminels s'enfuient à bord d'une conduite intérieure noire ; ils changent de véhicule pour échapper aux recherches ; le héros remarque ce fait en comparant les traces de pneus dans la boue ; le témoignage de policiers en vélo s'avère crucial, etc. Il faut encore ajouter à cela la nature des adversaires du héros (des Incas pour Tintin, des Thugs pour Cliff), le fait que ce récit soit en fait un diptyque (qui se poursuit dans L'Ombre de Victoria) et le périple dans la jungle que l'on retrouve dans le second opus. 

Il y a sans doute encore de nombreux détails communs à ces deux œuvres à répertorier, mais précisons qu'il s'agit bien de clins d'œil, et aucunement d'un plagiat, Brouillard sur Whitehall et Burton s'éloignant nettement des 7 Boules de Cristal et de Tintin sur le fond, le style graphique et la personnalité du héros (qui, lui, rencontre de séduisantes jeunes femmes par exemple). Cependant, impossible de ne pas faire le lien entre les deux histoires lorsque l'on connaît bien le récit mettant en scène la malédiction de Rascar Capac.
 
Au final, si vous aimez l'ambiance british, les bonnes enquêtes mâtinées de fantastique et les délicates pointes d'humour, n'hésitez pas à accompagner Cliff Burton dans ses trop rares pérégrinations. Ce détective, qui n'a sans doute pas la notoriété qu'il mérite, n'a pourtant pas à rougir face à ces homologues (cf. Ric Hochet ou encore Jérôme K. Jérôme Bloche), anciens ou plus récents. 




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Des scénarios bien ficelés.
  • Un style graphique agréable.
  • Des références bien employées.
  • Un humour discret mais efficace, qui se révèle sur la longueur de la série.


  • Un personnage un peu lisse.
  • Un lettrage pas toujours au top.

Shonen Avengers



On plonge dans les dessins animés culte des années 70 et 80 avec l'album parodique Shonen Avengers !

Attention, voilà une bande dessinée qui s'adresse plutôt à un public de vétérans. Du genre qui ont connu les téléphones à cadran, les albums Lug de L'Araignée, Récré A2, les pulls qui grattent, les bagnoles sans ceintures à l'arrière (bah, c'est des gosses, qu'est-ce qu'ils feraient avec ça ?) et les Ovomaltines au café (putain, c'était les meilleurs ceux-là !). Autrement dit, il y a de la nostalgie dans l'air.
Mais de quoi est-il question exactement ?
Eh bien, Shonen Avengers, publié chez Delcourt et conçu (scénario, dessin et couleurs) par ZeMial, est un recueil de strips humoristiques mélangeant les univers de GoldorakCapitaine Flam, Ulysse 31Cobra ou encore Albator. Autant de génériques ultra-connus qui reviennent immédiatement en mémoire...

Après une courte introduction expliquant comment ces univers distincts ont pu se mélanger, l'auteur déroule une série de gags, en général en trois cases, présentées verticalement sur chaque planche. Ils sont parfois entrecoupés de pleines-pages plus spectaculaires.
Commençons par l'humour. C'est ce qu'il y a de plus dur à manier au niveau de l'écriture, non seulement parce que cela demande une grande précision, mais aussi parce qu'il existe tellement de styles d'humour différents qu'il est très difficile de faire l'unanimité. Ici, au fil des pages, l'on va retrouver évidemment des références liées aux différents héros, mais aussi parfois des allusions à l'actualité (le professeur Raoult...) qui semblent moins heureuses, d'une part parce que l'on s'écarte du sujet mais aussi et surtout parce que c'est prendre le risque de faire vieillir l'album prématurément. Niveau rigolade pure, bon, on va du franchement amusant au gag un peu plat et attendu, mais l'ensemble reste agréable.



Passons au dessin, à n'en pas douter le gros point fort de l'album. Les personnages sont très réussis, aisément identifiables et charismatiques dans leur version cartoony convenant parfaitement au propos. Bien entendu, les "méchants" célèbres sont là aussi (le Grand Stratéguerre, pour ne citer que lui) et l'on a droit également aux célèbres vaisseaux de l'époque (Astrolabe, Odysseus, Atlantis...). Enfin, une colorisation efficace apporte la dernière touche à un ensemble léché et esthétique (certaines grandes illustrations étant vraiment sublimes).
Notons également, dans la partie bonus, des illustrations plus réalistes, tout aussi réussies.

Puisque l'on évoque ces bonus, voyons cela en détail.
Tout d'abord, il faut souligner la présence d'une liste venant expliquer la référence principale de chaque gag (d'autres sont parfois à dénicher soi-même). Plutôt bien vu histoire de rafraîchir la mémoire de certains et de fournir un minimum de contexte aux plus jeunes. L'on retrouve également une longue explication sur la genèse du projet (là encore, c'est richement illustré) ainsi qu'une partie plus ludique puisqu'elle regroupe des mini-jeux du genre labyrinthe, mots fléchés, jeu des 10 différences, etc. Plutôt sympa.

Au final, voilà un album réalisé avec soin. Si l'on peut regretter parfois certains gags un tantinet simplistes ou mal amenés, il faut reconnaître que l'on a souvent un sourire d'enfant sur le visage pendant que ces personnages de notre enfance font remonter à la surface de notre conscience d'anciens et précieux souvenirs, polis et magnifiés par le temps. Cette rencontre improbable entre héros iconiques est un peu, comme l'explique l'auteur, un rêve d'enfant, s'amusant à inventer et dessiner des aventures improbables et sans limites. Il y a donc plus que de simples gags là-dedans, il y a un peu de notre passé, un peu de notre imaginaire, un peu de notre insouciance. On se prend à rêver, du coup, à une aventure certes toujours parodique mais plus ambitieuse et construite, montrant les protagonistes et leurs relations sur la longueur. Peut-être pour un éventuel tome 2 ? 




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • De très belles planches.
  • Des personnages mythiques.
  • Une partie bonus bien fournie et intéressante.


  • Des gags inégaux.

La Parenthèse de Virgul #39




Hey les Matous, ça ronronne dans les chaumières ?
On va parler fringues aujourd'hui. Non, il ne s'agit pas de vous donner des conseils vestimentaires, si on aborde les vêtements, c'est par la biais de la BD et... d'un conflit pas si bien connu que ça de ce côté de l'Atlantique.
Miaw !

Cinquante nuances de Gris
Si vous aimez la bande dessinée franco-belge, vous devez probablement connaître les célèbres Tuniques Bleues, série créée par Louis Salverius (qui sera remplacé par Lambil) et Raoul Cauvin. Série toujours en cours de nos jours et qui s'attache à suivre les aventures du sergent Chesterfield et du caporal Blutch. Ces derniers faisant partie de l'armée de l'Union, ils affrontent donc régulièrement des soldats sudistes, en général vêtus d'impeccables et immaculés uniformes gris. 
Mais qu'en était-il dans la réalité ?

Eh bien, parler d'uniformes en ce qui concerne l'armée confédérée relève presque de l'abus de langage tellement les tenues étaient disparates en son sein. Tout d'abord, il serait faux de penser que le bleu était réservé aux nordistes et le gris à leurs adversaires. Ces deux couleurs se retrouvaient dans les régiments des deux camps, ce qui donna d'ailleurs lieu à de nombreuses méprises et "tirs amis" lors des combats. 
Il faut bien comprendre également que le gris était moins un choix esthétique qu'une nécessité économique et pratique ; teindre une tenue en gris (ou une couleur approchante) s'avérant relativement peu coûteux.
Ceci dit, si le Sud disposait de matières premières suffisantes, son industrie textile était dans l'incapacité de fournir des uniformes standardisés à des centaines de milliers de combattants. La priorité était d'ailleurs donnée à d'autres secteurs plus vitaux (comme les munitions ou les chaussures). 

Le soldat sudiste va ainsi devoir recourir à du bricolage et au fameux "système D" pour se vêtir. Mélange de tenues civiles, de rapiéçage de fortune et de prises de guerre, la tenue confédérée est, dès le début de la guerre, loin d'être uniformisée. 
L'un des colorants utilisés, bon marché et facilement accessible, provient du noyer cendré et donnera aux vestes une couleur tirant plutôt sur le brun ou le beige. L'on est donc déjà loin de ce gris parfait qui est certes bien pratique en BD mais demeure un cliché. À ces teintes aux nuances très différentes, il faut ajouter les régiments de zouaves, d'inspiration européenne, qui étaient dotés de tenues jugées plus confortables et qui se révélèrent franchement exotiques avec leur touche de rouge
Bien entendu, il existait aussi des différences entre les régiments, certains optant pour des couleurs leur étant propres. Sans compter les miliciens de chaque État, qui là encore n'étaient pas dotés de tenues spécifiques et devaient faire avec les moyens du bord.

L'on pourrait penser que les officiers étaient mieux lotis, donc disposaient de tenues plus homogènes, mais la réalité est loin d'être aussi simple. Certains vétérans ressortirent de vieux uniformes en les modifiant un peu, alors que les lieutenants fraîchement sortis de l'école militaire devaient supporter la charge financière de leur équipement, ce qui ne facilita pas non plus la recherche d'uniformité. Certains éléments distinctifs, comme les galons, les épaulettes, les écharpes de couleur ou les nœuds autrichiens, furent parfois abandonnés volontairement, car trop repérables par l'ennemi. En ce qui concerne les généraux, c'est encore pire, ces derniers ayant pratiquement "quartier libre" pour déterminer leur apparence. Certains opteront pour des tenues flamboyantes, colorées et à la limite du ridicule alors que d'autres privilégieront un uniforme basique et simple, à la propreté parfois douteuse.

Ainsi, de nombreuses raisons vont engendrer l'aspect en apparence négligé des soldats confédérés, que ce soit la logistique défaillante, le coût des uniformes, les disparités entre États et régiments ou même le souci de discrétion. La distinction entre le bleu nordiste et le gris sudiste n'était donc au final pas si nette que l'on pourrait le penser, elle était même parfois inexistante. 

Voilà les matous, vous en savez un peu plus sur les problèmes vestimentaires du soldat confédéré, entre 1861 et 1865. Ça vous fera une petite anecdote pour le repas de Noël de cette année. Ou bien ça vous donnera peut-être envie de vous pencher sur Les Tuniques Bleues, une série dont tous les albums ne sont pas pleinement réussis mais qui demeure un classique du franco-belge.
Miaw !


Ci-dessus, des uniformes d'un gris impeccable. Ci-dessous, une reconstitution historique donnant un aperçu
du mélange de couleurs au sein de l'armée sudiste. Imaginez la même chose avec des trous et la crasse en plus,
et il n'est déjà plus évident de distinguer l'ami de l'ennemi sur un champ de bataille.


Celui que tu aimes dans les ténèbres


Elle cherchait l'inspiration, elle a trouvé l'amour.
Quoi de plus beau qu'une romance ?


Rowena... Non, pardon... Ro. Ro est une artiste, une peintre. Elle a du talent. Elle a même acquis une certaine renommée. Elle n'aime pas son prénom, Rowena, parce que ça fait vieux. Mais ce qui est ancien pour elle ne l'est pas nécessairement pour moi.

L'inspiration manquait à Ro. Alors, elle a cherché un endroit isolé où se ressourcer. Elle trouvé a un vieux manoir où se remettre à la peinture. On lui a dit qu'il était hanté mais elle n'en avait rien à faire. Alors, elle a décidé d'occuper l'ancienne bâtisse... Alors, elle est venue à moi.

Et moi... Moi, je vais devenir ce qu'elle aime. Je peux être tout ce qu'elle aime. Je suis là dès qu'elle veut de moi. Je la rendrai heureuse. 

Elle veut de moi. Elle a besoin d'inspiration. Je serai son inspiration. Elle a besoin de moi. Elle m'a peint, elle m'a donné forme sous ses doigts. Je l'appelle trésor et elle aime ça... Ce que l'on vit est irréel. Elle dit que je suis irréel moi aussi. Mais le réel est un concept fluide. 

Elle et moi, nous nous blottissons dans la maison, dans la pénombre, et nous nous aimons... mais après plusieurs semaines de bonheur à être ce qu'elle aime, elle veut aller dehors. Pourquoi ? N'a-t-elle pas tout ce qu'il lui faut auprès de moi, avec moi, en moi ? Je suis ce qui l'aime, je suis ce qu'elle aime. Pourquoi ne suis-je pas suffisant ? Pourquoi veut-elle de la lumière ? Pourquoi veut-elle sortir là où je ne peux être ?

Il faut qu'elle m'aime à nouveau. Je la ferai m'aimer à nouveau.


Celui que tu aimes dans les ténèbres est la première incursion du duo Skottie Young et Jorge Corona dans le genre horrifique (après la fantasy très légère de Middlewest) et le moins que l'on puisse en dire est que c'est une réussite formelle. Mais, qui plus est, cela s'avère être une réflexion métaphorique pertinente sur les relations toxiques de possessivité que peuvent développer certains êtres qui se vouent entièrement à l'objet de leur amour, ces âmes égarées qui, en couple, finissent par ne plus se voir qu'à travers les yeux de l'autre, par n'être plus vivants que par procuration.

Envoûtant, angoissant puis terrifiant, ce comic, paru dans la collection Indies de Urban, a le bon goût de maîtriser tout autant son ambiance que son sujet, son histoire que son esthétique et son message que sa narration.

Le dessin de Jorge Corona et la mise en couleurs de Jean-François Beaulieu sont des modèles d'adéquation au récit. 

La lecture d'une bande dessinée horrifique a cela de particulier qu'elle nous oblige à voir, bien plus qu'un roman ou un film. Impossible ici de sauter un passage qui nous effraie et d'échapper au malaise en sautant les pages sans lire : les dessins s'imposent à nous, nous sautent aux yeux et s'agrippent à notre imagination contre notre gré ; impossible ici de cligner des yeux un peu trop longtemps pour éviter la scène que l'on sent venir et qui dérangera notre petit confort mental : il nous faut lire et tourner les pages, ça ne se fait pas les yeux fermés. Lorsque c'est bien fait, la bande dessinée d'horreur nous semble plus puissante que les autres médias en matière de restitution de cette inéluctable obligation de regarder l'indicible en face. Cet effet, qui nous avait déjà marqué avec Infidel de Pornsack Pichetshote et Aaron Campbell, nous le retrouvons ici encore par d'autres procédés et sous d'autres facettes.

Nous vous préconisons la lecture de Celui que tu aimes dans les ténèbres à une heure avancée de la soirée, lorsque les ténèbres s'emparent de votre foyer et que le moindre objet familier génère depuis sa base une ombre fantomatique glissant sur les murs, tel un amour transi désireux de se pencher sur vous pour vous étreindre de sa noirceur.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un bon scénario mêlant horreur concrète et psychologique.
  • Un dessin et une mise en couleurs parfaitement adaptés.
  • Un rythme de narration maîtrisé.
  • Le récit tombe parfois dans quelques clichés du genre mais rien qui puisse vraiment vous empêcher d'en savourer la qualité !

Persistance de la vision de John Varley


John Varley
est apparu aux yeux des fans de science-fiction en 1977, avec un quasi chef-d’œuvre, le Canal Ophite, qui fit grand bruit lors de sa parution : une imagination débordante et une écriture sensible venaient enjoliver les solides bases scientifiques de ce physicien, qu’on croyait voir s’orienter davantage vers les parages rigoureux de la hard science : de fait, on retrouve davantage chez lui les préoccupations d'un Theodore Sturgeon (cf. cet article sur les Plus qu'humains) plutôt que l'assise scientifique d'un Hal Clement. Car ce qui compte chez cet écrivain singulier, c’est l’humain, l’évolution de ses personnages ainsi que les relations qu’ils entretiennent avec leurs pairs et leur monde, que ce soit sur une Terre d’un proche mais triste futur, sur Mars, Vénus ou encore un satellite de Jupiter.  Et peu importent l’âge, le genre ou même les fragiles barrières métaboliques quand la science permet de réparer, remplacer ou modifier des éléments de votre organisme, au point de transcender le corps et de tutoyer l’immortalité : les interactions sociales demeurent et les rapports, physiques ou simplement amicaux, engendrent toujours leur lot de drames et d’incompréhension…  


Malgré un accueil enthousiaste pour son roman, Varley s’est dans un premier temps principalement consacré aux récits courts, dans lesquels il excelle, accumulant un nombre invraisemblable de prix avant de faire une longue pause d’écriture. Entre-temps, il proposa un recueil de certaines de ses meilleures nouvelles (novellettes ou novellas suivant les acceptions anglo-saxonnes) qui a été traduit en France en 1979 et édité d’abord en deux volumes : Persistance de la vision est l'un d'eux, qui présente trois nouvelles et un récit un peu plus long dans un ouvrage plus qu'intéressant dont la lecture laisse une sensation étrange, une sorte de gêne aux entournures de la pensée, une gêne pouvant s'avérer… persistante. On ne sait effectivement comment réagir à ces visions très proches de nous, chargées de nombreuses préoccupations - toujours actuelles - sur l'avenir de l'espèce humaine, la manière dont elle va (ou peut) s'adapter pour évoluer ainsi que les travers qu'engendrera la course à l'immortalité promise par la science toute-puissante... Varley sait de quoi il parle lorsqu'il évoque les expériences virtuelles, les banques d'organes et les mutations : son verbiage scientifique est pertinent et clair, il n'apparaît pas dans le but d'obscurcir l'esprit ou d'emberlificoter inutilement ses intrigues. Néanmoins, ce qui l'intéresse avant tout réside dans les sentiments et émotions que ressentent ces êtres lancés dans une quête perdue d'avance, cherchant ailleurs le but d'une vie souvent misérable, parfois futile. Doté d'un humour corrosif mais dénué de tout cynisme, l'auteur explore librement des avenirs possibles au sein de notre système solaire au travers du regard de personnages généralement pathétiques bien que bercés d'illusions.

Dans le chaudron/In the bowl
nous raconte à la première personne le périple d’un citoyen de Mars venu s’encanailler sur Vénus en quête de gemmes mythiques, mais qui se retrouve forcé de quémander l’aide d’une jeune médicanicienne (sic) afin de remplacer un organe défectueux, avant d’accepter à contrecœur qu’elle lui serve de guide pour le reste de son séjour. Davantage que les péripéties qui émaillent leur voyage, ou le décor futuriste à mi-chemin entre le golden age désinvolte et une SF plus mûre et désenchantée, c’est la relation particulière qui se tisse entre cet homme un peu blasé dans une société en déliquescence et cette pré-ado pleine de morgue et de fougue qui enflamme le texte. 
Une liaison qui ferait s’évanouir les bien-pensants actuels mais qui s’inscrivait plutôt adroitement dans les questionnements identitaires de la fin des années 70.

Dansez, chantez/Gotta sing, gotta dance
est plus surprenant sur tous les plans. Barnum et Bailey arrivent sur Janus à bord de leur vaisseau, à la recherche d’un… agent musical célèbre du nom de Xylophone - car ils ont l’intention d’enregistrer un titre. Ce n’est pas tant qu’ils s’ennuient dans leur environnement habituel (en apesanteur au milieu des astéroïdes), mais c’est avant tout du fait que leur statut particulier leur confère une capacité artistique hors normes. En effet, Barnum et Bailey sont liés par une symbiose spécifique, l’un étant une sorte de végétal évolué procurant à l’autre toute la protection et l’alimentation nécessaires, lui servant autant d’armure que de poumon. Et ce couple extraordinaire, parfaitement adapté aux conditions d’existence en orbite, se fait violence pour se rendre sur ce satellite de Jupiter afin que quelqu'un puisse transcrire en musique les symphonies qu’il a dans sa tête. On va donc assister à un lent et tumultueux processus de création, où Xylophone usera d’une sorte de synthétiseur afin de rendre concrètes les notes qui hantent le double cerveau du symbiote, allant jusqu’à une sorte de fusion spirituelle afin de parvenir à produire la symphonie espérée. Constamment déroutant par son humour et sa légèreté, le récit d'une étonnante densité s’avère également capable d’engendrer des visions inhabituelles et explore le concept même de l’art tout en présentant une vision d’une humanité future extrêmement décalée.

Trou de mémoire/Overdrawn at the Memory Bank
est plus “classique” dans ses thèmes, et permettra au jeune lecteur de retrouver des bases plus connues. Fingal déprime et son psychologue lui a conseillé d’aller faire une cure au disneyland du Kenya en se fondant dans la peau d’un félin de la savane le temps qu’on mette de l’ordre dans ses souvenirs et qu’on lui fasse une sauvegarde mémorielle (procédé permettant ainsi de se réincarner à l’infini dans des corps tout neufs). L’opération, routinière, est normalement sans danger mais évidemment un incident survient après la visite d'un groupe d'écoliers (faut toujours qu'il y en ait un qui fasse le con !) et Fingal se retrouve coincé dans sa réalité virtuelle. Une informaticienne viendra régulièrement l'orienter, le consoler ou le conseiller en se projetant à ses côtés, le temps que les services ad hoc trouvent la panne et la réparent sans endommager ses souvenirs ou sa psyché. Plongé dans une monde où il peut littéralement tout accomplir, Fingal devra en profiter pour faire un peu d’introspection et tenter ainsi de se guérir des troubles qui pourrissent sa vie. Malgré de grandes similarités avec Total Recall, la nouvelle fonctionne remarquablement bien grâce encore à cet humour pince sans rire qui désamorce le tragique tout en donnant de l’épaisseur aux protagonistes de l’histoire, lesquels finissent par tisser un lien dépassant le simple cadre du patient/médecin. Un obscur téléfilm (connu surtout des amateurs de curiosités) avec Raul Julia en a été tiré dans les années 1980. 

Enfin on retourne sur Terre pour la dernière nouvelle, les Yeux de la nuit/the Persistence of vision, la plus longue, la plus dérangeante aussi, située dans une fin de XXe siècle alternatif, sur un territoire américain désordonné. Avec une liberté de ton étonnante, Varley évoque le périple d'un auteur raté qui se retrouve dans une communauté d'aveugles et sourds ayant développé un langage absolu par le biais du toucher. Il présente cette entreprise avec un tel luxe de détails qu'on ne peut s'empêcher de se demander si cette communauté a réellement existé . Pourtant, là encore, l'intérêt est ailleurs, et notamment dans la manière dont le héros va tenter de s'intégrer au sein de cette sorte d'utopie où des invalides manifestes passent outre leurs lacunes pour parvenir à vivre en une autarcie presque totale. Aujourd'hui encore, certains de ses propos frisent le tabou (on pourrait penser que certaines remarques ont été imaginées à l'époque où l'écrivain avait participé au Summer of love) mais il ne se formalise pas des antiques barrières morales, lesquelles devront forcément tomber le jour où la technologie et les progrès de la médecine briseront les codes des genres. Tout de même, on retrouve un parallèle équivoque entre la première et la dernière nouvelle avec un personnage principal masculin qui s'éprend d'une toute jeune fille à peine pubère mais dotée d'un caractère bien trempé. 
De quoi faire jaser les puritains, ce qui n'a pas empêché le récit de remporter les prix les plus prestigieux à la fin des années 70 (prix Hugo, prix Nebula et prix Locus, plus le prix Apollo pour le recueil de nouvelles), ce qui aurait tendance à prouver que les lecteurs, critiques et auteurs de SF savent voir plus loin que les limites de leur société étriquée.

Des textes emplis d'une imagination foisonnante servant des réflexions profondes sur l'individu, l'être et le paraître, et constituant un jalon indispensable dans la science-fiction contemporaine.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un recueil d'une rare densité avec quatre récits aussi différents qu'intéressants.
  • Un auteur au style clair et à l'imagination débordante, proposant une vision du futur pleine d'à-propos.
  • Des textes au contexte stimulant mais qui se concentrent davantage sur l'évolution et les rapports de l'homme avec ses pairs.
  • Une écriture sensible et un humour piquant.


  • L'apparente légèreté avec laquelle sont traitées les liaisons entre un homme adulte et une jeune fille peut prêter à confusion, voire choquer ou outrer le lecteur.

The unnamed : Geiger


Je suis luminescent, je pète de la radioactivité, j'ai un clébard à deux têtes
et je suis la gardien inlassable d'un espoir bien vain... Je suis, je suis, je suis ?


Nous sommes en juillet 2030. Enfin non ! Mais si, bien sûr que si, si vous relisez cet article en juillet 2030, oui ; mais autrement, non... Allez, c'est bon, arrêtez de finasser, on s'est bien compris.
Le monde a cédé à une violence échevelée et ce qui devait arriver arriva : "Ils l'ont fait, ces fous !"
Oui, on est sur UMAC alors vous avez évidemment tous la référence puisque notre lectorat constitue l'élite du net : une attaque nucléaire globale a ravagé notre planète et seuls les plus rapides ont trouvé le temps de s'en abriter.

Tarik Geiger, lui, a dû se sacrifier pour permettre à sa femme et ses enfants de se protéger juste avant l'impact d'une bombe dont il s'est pris le souffle en pleine face, le gavant généreusement d'une dose de radiations à faire fondre en une seule fois les prothèses mammaires de toutes les candidates de télé réalité du Monde. Pourtant, Tarik s’est relevé. Et Tarik est devenu pour les décennies à venir une véritable légende vivante connue sous le nom de "l'homme qui brille". C'est que son passé médical l'avait quasiment préparé à ce moment, voyez-vous...

L’Homme Atomique au corps phosphorescent est devenu le seul rempart entre l’abri où sa famille s’est réfugiée et la folie d'un monde qui n'a de cesse de s'effondrer. 
À la suite d'une incartade avec quelques-uns de ses hommes, il devient la cible numéro un du nouveau roi de Las Vegas, un jeune excité prêt à tout pour démontrer à tous les survivants qu’il est le seul à pouvoir revendiquer le trône de dirigeant de ce nouveau monde irradié…
Au fil de l'histoire, de déception en désillusion, celui qui fut Tarik n'aura bientôt d'autre choix que d'investir l'énergie qu'il lui reste dans des enfants qu'il va choisir de protéger, malgré les menaces qui pèsent sur lui.

Geoff Johns
nous livre, après cette histoire de bonne facture, un univers étendu dans lequel plusieurs personnages croisés dans l'histoire de Geiger vont se succéder.
Ce genre de démarche est souvent assez intéressante, en ce qu'elle offre différents points de vue à ce monde original.
Sans la moindre logique chronologique, le scénariste varie donc les époques, les décors et les styles pour nous narrer l'existence (parfois très longue) de divers protagonistes croisés par notre luciole humaine...
Super-héros, super-robots, super-méchants, super-clichés, tout s'y côtoie pour le meilleur comme pour le pire et, malheureusement, c'est un peu trop souvent le pire et le moins intéressant qui domine vers la fin de l'ouvrage où l'on sent poindre une certaine appétence pour le n'importe quoi.
 
L'ensemble est efficacement servi par le dessin de Gary Frank dont le trait réaliste est assez approprié au récit. Aussi bien le dessin en lui-même que la mise en couleurs sont d'ailleurs à nos yeux les principales raisons pour céder à la relecture de ce volume : c'est objectivement beau, méticuleux, net, précis et soigné. Chaque planche apporte son lot de détails qui accrochent l'œil et l'on se prend à en oublier le scénario au plafond parfois quasiment en contact avec le plancher pour céder à la contemplation du travail de l'artiste. 

Au final, nous avons entre les mains une œuvre, parue dans la collection Indies de chez Urban, qui n'a rien de radioactif et qui peut être parfaitement recommandée à qui se satisfera de l'approche un peu pulp du sujet et du côté un peu kitsch de certains aspects du scénario. 
 
Le personnage de L'Homme qui brille est au final assez charismatique et son destin tragique, à bien y regarder, est plus intéressant que ce que l'auteur en fait. L'on regrettera donc essentiellement l'exploitation à petits pieds d'une idée initiale bien plus intéressante que le résultat final. Comme lorsque l'on constate, par exemple, le croisement entre une jument et un zèbre : ça donne un zébrule, magnifique animal à l'apparence incontestablement splendide... mais stérile ! 



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Avant toute chose, un traitement graphique quasi irréprochable.
  • Un scénario amusant et sans prise de tête pour l'histoire principale.
  • Une thématique plus originale qu'il n'y paraît, à notre époque... même si elle fut beaucoup exploitée il y a quelques décennies de cela.
  • Le scénario n'a sans doute pas l'intention de passer pour un chef-d'œuvre et, en cela, il a bien raison... c'est du simple divertissement.
  • Les histoires de l'univers étendu en fin de volume sont de qualité et d'intérêt très variables.
  • Une idée initiale et un personnage central sous-exploités.

À l'Ouest, rien de nouveau




Actuellement sur Netflix, À l’Ouest, rien de nouveau s’impose comme une excellente adaptation et un très bon film sur la Première Guerre mondiale.

1917. Paul et ses camarades s’engagent dans l’armée impériale du Kaiser, le sourire aux lèvres, heureux de faire leur devoir et de bientôt marcher sur Paris. Lorsqu’ils rejoignent le front occidental, leur enthousiasme est soufflé par la violence des bombardements, la saleté repoussante des tranchées et le hurlement des blessés, déchiquetés par la mitraille.
Pour ces jeunes gens, perdus dans un conflit qui les dépasse, commence alors une longue litanie de combats, d’attente, de privations et de traumatismes. Un an plus tard, l’armée allemande, qui n’a toujours pas pu exploiter la moindre offensive pour briser la ligne de front, doit faire face à l’arrivée toujours plus massive des Américains. De longues négociations s’engagent au plus haut niveau. Mais chaque jour, chaque heure, coûte des vies. Encore plus de vies…

Il est important, dans un premier temps, de s’arrêter un instant sur le roman éponyme d’Erich Maria Remarque (Im Westen nichts Neues), dont ce film est une adaptation. Il s’agit d’un récit s'attachant au destin de soldats allemands mais touchant à l’universalité. Le propos n’est nullement manichéen ou revanchard mais tend à condamner l’absurdité d’un conflit terriblement meurtrier. Et c’est plutôt bien fait. Car si À l’Ouest, rien de nouveau est un roman qui condamne la guerre, il le fait intelligemment et sans recourir aux propos vains et mille fois radotés d’auteurs qui pensent faire un exploit en enfonçant des portes largement ouvertes. De plus, si condamner ce conflit armé et ses responsables de nos jours ne demande aucun courage, il n’en était pas de même en 1929, date de parution du roman. 
Ce roman a d’ailleurs été accueilli de manière mitigée à l’époque, certains auteurs reprochant à Remarque l’utilisation de personnages à la psychologie parfois caricaturale (ce qui peut s’admettre, effectivement) mais aussi des erreurs techniques concernant certaines tenues ou quelques armes, ce qui n’a finalement que peu d’importance, le propos de cette fiction ne résidant pas dans ce genre de détails. 

Le réalisateur, Edward Berger, partait donc avec sous le bras un matériel de qualité. Restait à le mettre en scène de manière convaincante. Et force est de constater que si Im Westen nichts Neues n’atteint pas la beauté crépusculaire et la maestria visuelle d’un 1917, il en a le souffle épique et désespéré. Les scènes dans les tranchées sont impressionnantes, tout comme les combats au corps à corps, les bombardements ou les charges de blindés. Les moments de la vie quotidienne sont également porteurs de sens et permettent aux acteurs de livrer des prestations hautement honorables.
Alors, certes, l’on ne peut échapper à une certaine caricature, mais c’est le sujet qui veut ça. Difficile en effet d’évoquer les tranchées sans recourir à ce qui pourrait apparaître comme des clichés (le désespoir des soldats, l’inflexibilité des officiers, la peur qui ronge jusqu’à la folie, la puanteur omniprésente…) qui demeurent pourtant des faits bien réels. 




L’on peut reprocher au film de passer un peu vite sur certains passages poignants et importants du roman, comme la condamnation de ces maîtres qui envoient les gamins dont ils ont la charge poursuivre une chimère, sans leur faire part des atrocités qu’ils préfèrent taire ou, plus probablement, qu’ils n’imaginent même pas. Mais globalement, le fond est parfaitement rendu. Plus qu’une condamnation de principe du recours parfois inévitable aux armes, il s’agit ici de dénoncer l’acharnement criminel, la transformation d’une société (allemande comme française) en machine à broyer des gamins et l’absurdité d’une guerre qui a consisté pour l’essentiel (sur le front Ouest en tout cas) à sacrifier des millions d’hommes pour quelques rigoles sanglantes, perdues dans un paysage lunaire. C'est un peu plus compliqué que ça, évidemment, mais sur un pur plan factuel, cela revient tout de même à ça. 

Certaines critiques actuelles dénoncent le parti pris avec lequel sont soi-disant présentés les officiers français (Foch, Weygand…) qui participent aux négociations concernant les conditions de reddition de l’Allemagne. Alors, d’une part, ces généraux sont des hommes de leur époque, et en plus des militaires, autant vous dire qu’il y a de grandes chances pour qu’ils aient été un peu… « secs ». D’autre part, il est évident que les Français se sont montrés rigides et exigeants jusqu’à l’absurde lors de ces négociations, au point d’ailleurs qu’ils perdront la paix après avoir gagné la guerre (et installeront les conditions d’un nouveau conflit qui se déclenchera quelques années plus tard). 

Voilà un très bon film (qui se suit avec intérêt et même passion malgré ses 2h30) et une adaptation intelligente d’un roman dont la force reste intacte de nos jours. Certes nous ne sommes pas dans de la précision méticuleuse sur le plan technique, mais il s’agit après tout d’une fiction, non d’un documentaire. 
Le fait d’être du côté allemand permet en plus (pour les spectateurs français en tout cas) de découvrir un point de vue différent, même si en réalité, les conditions furent les mêmes pour chaque camp. Cette guerre, souvent menée par des bouchers, a été vécue par des mineurs, des ouvriers, des paysans, des artisans, des enfants même, d’un côté comme de l’autre. Ils ont non seulement vécu l’horreur intemporelle de la guerre mais aussi la mécanisation et la démesure d’un conflit qui a, comme rarement, vu les pires saloperies (gaz, bombardements massifs, lance-flammes, chars…) être employées de concert.
Au final, cette histoire (le roman comme le film) ne condamne pas la guerre, ce qui serait aussi vain que de se plaindre de la pluie, mais ses effets les plus monstrueux. En cela, elle demeure indispensable et permet de faire parvenir jusqu’à nous les râles de soldats que la terre a depuis longtemps engloutis.

Plus que réussi, indispensable. 




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le propos du roman, toujours pertinent de nos jours, est parfaitement rendu.
  • Une reconstitution impressionnante des combats et même de la vie dans les tranchées.
  • De nombreuses scènes "coup de poing", parfaitement maîtrisées.
  • La musique, parfois terrifiante.
  • Le casting.


  • Un petit côté caricatural qui n'enlève rien à la profondeur du récit et à l'exactitude, au moins dans les grandes lignes, de ce qui est décrit.
  • La partie montrant la vie de ces jeunes, leur engagement dans l'armée et leur entraînement aurait pu être plus développée, mais il est vrai que le film est déjà fort long.

L'épée

Tourmentée par la légitimité de la passation de pouvoir, l’héritière du trône, Ania, décide de vérifier les faits contés dans la légende de son royaume tout en s’opposant au régime mis en place par la Reine, sa mère adoptive. Cette dernière possède la Magie issue d’une source dont elle dissimule l’existence à son peuple qui croit ses capacités innées. Bravant les interdits, Ania récupère la fameuse épée et, poussée par le démon qu’elle renferme, elle part mener à bien une quête : retrouver une trace du héros de l’épopée inscrite sur les murs en ruine, vaincre la créature qui manipule l’arme antique... Face à elle, sa mère, insondable, apparaîtra tour à tour avec elle et contre elle. Car Ania s’enfonce dans une histoire de famille complexe, un passé surprenant et dérangeant.

L’épée offre un récit des plus classiques sur la transmission du pouvoir, l’héritage des ancêtres et la recherche de soi. La légende se détricote et le héros gravé dans la pierre n’en ressort pas glorieux : la vérité a été brodée pour métamorphoser la lâcheté en bravoure, afin de maintenir un pays paisible et un peuple ignorant. La Reine, froide et intransigeante, prend de difficiles décisions pour la prospérité du territoire, quitte à engendrer des guerres.

L’aventure est narrée par la courageuse et indépendante Ania, qui dévoile ses atermoiements. En rébellion, elle critique la vie qu’elle mène, de la scolarité au Palais avec sa fratrie et les enfants méritants, à la manière dont sa parente conduit son existence. Les personnages importants ne croisent ni pauvres, ni malades, ni vieux ou très jeunes. Le peuple est à peine représenté. Point de roi ici : la Reine seule conserve le pouvoir et fait ou récupère des progénitures au hasard de ses nombreuses conquêtes, tout autant féminines que masculines.

Cette Bande dessinée espagnole de Anabel Colazo, dont les éditions çà et là ont sorti deux précédents albums, se termine en un volume. La dessinatrice se concentre sur l’essentiel en omettant que l’imprévu peut surgir d’en dehors du cercle du palais, métaphore d’un cocon familial très replié sur lui-même. Le graphisme est naïf et faussement enfantin, les valeurs de plans se répètent, malgré des teintes captivantes apportant un côté enchanteur aux décors. La représentation des affrontements apparaît comme la plus ratée, ce n’est pas ce que l’artiste préfère mettre en avant, juste un passage obligé. L’histoire tient sur les dialogues. Les attitudes corporelles sont raides, il y a énormément de visages de face et de profil. Les décors ne doivent leurs profondeurs qu’à des superpositions de plans colorés. Par le choix d’une mise en scène lancinante, un découpage assez plat et des scènes d’actions bâclées, l’empathie envers les protagonistes n’existe qu’au travers de la lecture du texte et non de l’image, réduisant cette dernière à de la pure illustration. Un côté très jeu vidéo des années 80-90 se dégage des planches, car les personnages se déplacent souvent entre la gauche et la droite, tels des hiéroglyphes, mais ne pénètrent que rarement dans la profondeur ou les diagonales.

Coincé entre une palette éclatante et la platitude de son découpage, difficile de savoir à qui s’adresse ce titre. Un jeune public ? Des adultes qui apprécient le côté pop, arty, aux influences mangas présentes et dont la mise en scène prend à contre-pied les poncifs du genre ? Dans ce cas, l’album rafraîchit les rétines.

Les éditions çà et là ont réalisé un très joli travail éditorial : le livre moyen format de 180 pages est imprimé sur papier épais, au dos piqué cousu avec une couverture rigide. Les couleurs explosent dans les cases. Mais, L’épée est vendue maladroitement comme un conte féministe sur l’argument d’une majorité de personnages féminins... alors que le propos touche à l’universel.

Bande dessinée au façonnage soigné, L’épée d’Anabel Colazo se concentre sur une quête identitaire et l’émancipation d’un enfant quasi adulte d’un parent autoritaire. Un album à découvrir par curiosité pour ses couleurs, son dessin aux traits naïfs et les choix de mise en scène de l’auteur, mais difficile à conseiller. 

L’épée, Anabel Colazo, çà et là, 20 euros.



+ Les points positifs
- Les points négatifs
  • De belles couleurs.
  • Le façonnage du livre.
  • Un graphisme faussement naïf.

  • Un récit déjà vu qui reste en surface.
  • Des scènes d’action ratées.
  • Une symbiose bancale entre l’écrit et l’image.