The Ghost in the Shell Tribute



Pour les anglophones même novices, le titre de cet article est suffisamment explicite : ce manga édité en 2020 par Glénat (pour l'édition française), dans le sens de lecture nippon qui n'est pas du goût de tous, et incluant sous la jolie couverture glacée un mini-poster, est avant tout un assemblage hétéroclite de petites histoires liées à l'univers créé par Shirow Masamune (cf. la "perfect edition" chez le même éditeur), développé dans deux films somptueux de Mamoru Oshii ainsi que dans des séries TV ambitieuses. Petites histoires issues d'abord de l'imagination d'artistes désireux de rendre hommage à l'œuvre et son créateur, ainsi que l'attestent les petites pastilles d'introduction par lesquelles ils racontent comment ils ont connu Ghost in the shell (souvent une révélation, voire un choc existentiel) et de quelle manière le manga original, comme le film d'animation, ont inspiré ou influencé leur existence. 

Une démarche empreinte de sincérité, qui confère à l'ouvrage un certain charme. Certains vont crier leur admiration pour le génie du géniteur de la Section 9 et de sa fascinante Major Kusanagi, d'autres avouer avec humilité combien ils se sentent modestes face à ces monuments de la culture contemporaine. D'autant que parmi eux, quelques-uns se sont frottés à la franchise, participant notamment aux séries dérivées comme SAC déjà cité, 2nd Gig ou Arise, tel Yu Kinutani qui ouvre ce manga par une histoire nerveuse rappelant fortement les flashbacks déjà présents dans Stand Alone Complex avec la première rencontre entre Saito et Kusanagi, sur le champ de bataille, au sein d'une escouade cernée par des terroristes, face à une situation désespérée. Le trait précis, la mise en page alerte conviennent parfaitement au récit et au style graphique originaux. Masayuki Yamamoto, au contraire, livre une historiette nettement plus axée sur ce comique qui était perceptible dans le manga (mais avait disparu dans l'animé au profit d'une ambiance plus profonde, plus nostalgique) et qui se déroule dans un futur hypothétique où Batou, devenu chasseur de primes fauché mais toujours flanqué de son Tashikoma (ces mini-tanks intelligents curieusement renommés Fushikoma dans ce manga), se retrouve embarqué dans une affaire qui lui fera reprendre contact avec ses anciens coreligionnaires.


Les genres alternent ainsi, conférant à ces pages un caractère fortement éclectique et déroutant. On a souvent droit à des enquêtes, parfois très courtes et mettant en scène des acolytes de Kusanagi : outre Batou, Paz a droit à son petit scénario assez ironique, et Togusa hérite sans doute de l'histoire la plus dense (et réussie). En effet, Takumi Oyama reprend avec brio une réflexion déjà présente dans le film d'Oshii, lorsque Kusanagi et Batou se moquent gentiment du fait que l'ancien flic soit le seul de la section disposant d'un corps non artificiel (en dehors d'un cerveau boosté), ce qui pourrait dans certaines situations extrêmes compromettre la sécurité du groupe. Il prouve assez adroitement ici qu'au contraire, sa différence peut constituer un atout dans un monde reposant un peu trop sur la cybernétique.


Deux épisodes sortent néanmoins du lot, dont le caractère extrémiste peut rebuter certains lecteurs. Il y a d'abord Boichi, ce Coréen devenu star internationale, sans doute davantage connu pour ses voluptueuses héroïnes que pour la virtuosité de ses dessins, tout en décadrages osés (on en parlait dans l'add-on Terra Formars : Asimov). Il livre ici une prestation paradoxalement assez dans l'esprit du manga original, tout en accentuant le côté sexuel, avec une Motoko qui devra payer de sa ravissante personne afin d'accéder à la mémoire interne d'un dangereux adversaire. Prétexte à des scènes violemment érotiques qui plairont sans doute à certains (après tout, Kusanagi est déjà ouvertement bisexuelle dans le manga de Shirow, et elle a incarné le fantasme ultime de très nombreux adolescents - dont celui qui écrit ces lignes, je l'avoue). 


Et on achève par le délire total de Tony Takezaki sur la mise en chantier d'une version live de Ghost in the Shell : et toute l'équipe de s'extasier sur la possibilité de voir enfin le major dans le plus simple appareil ("Il y aura des lolos ?" s'écrie un personnage...), puis de proposer des goodies totalement farfelus, systématiquement fondés sur le sex-appeal de Kusanagi, laquelle ne sait plus à quel sein se vouer. Le choc des différentes visions proposées (la version hollywoodienne face à la version japonaise) fait tout le sel d'un récit néanmoins trop profondément ancré dans l'humour gras pour intéresser les amateurs du côté philosophique et SF de la saga. Cela dit, le chapitre dans lequel l'auteur digresse sur le fameux camouflage thermo-optique est assez irrésistible.

Si vous êtes fan, c'est sans doute fait pour vous, il y a à boire et à manger et l'édition est suffisamment soignée. Certains épisodes demeurent dans l'esprit de l'animé contemplatif et existentiel d'Oshii, la plupart des autres virevoltent allègrement autour des standards du manga de Shirow. 
À tenter.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un hommage sincère à un véritable phénomène culturel.
  • Une édition soignée.
  • Un panel d'artistes reconnus dans le milieu du manga. 
  • Certains personnages ont droit à un développement inhabituel.


  • Davantage des variations sur le même thème que de véritables développements.
  • Le côté hétéroclite de cette anthologie peut dérouter.
  • Le caractère fortement sexuel (Boichi) ou totalement farfelu de certains passages peut rebuter.