Chronique d'une catastrophe filmée : l'adaptation de The Dark Tower.
Par où commencer... ah, oui, vous pouvez sans aucun problème allez voir ce film si vous nourrissez le projet de lire ensuite les romans de King, aucun risque de spoiler, ça ne vous dévoilera rien de la saga. C'est d'ailleurs un bel exploit des scénaristes (ils sont quatre tout de même) de disposer d'un matériel si riche et de réussir à en faire quelque chose d'aussi vide, fade et étriqué.
Mais revenons tout d'abord à la base. Car La Tour Sombre, avant d'être une bouse cinématographique, c'est une magnifique saga de huit romans, contant l'épopée d'un pistolero et de son ka-tet. Le récit est un mélange de science-fiction, d'heroic-fantasy sauce western et de tragédie épique. Une pure merveille, pleine d'intelligence, de suspense, de concepts fascinants et d'émotion. Mais, ça, ce sont les romans.
Difficile de savoir ce qu'a voulu faire Nikolaj Arcel (le réalisateur et l'un des co-scénaristes) avec cette soupe tiédasse de seulement 1h35 mais qui contient cependant quelques longueurs (un autre exploit). L'intrigue puise des éléments dans tous les romans de la saga, même les derniers, mais en les survolant ou en les dénaturant totalement.
Voyons tout de même les points positifs, car il y en a. Peu, mais il y en a.
Tout d'abord, le personnage de Jake Chambers bénéficie d'une longue exposition, plutôt bien faite. C'est d'ailleurs devenu le personnage principal.
L'on a droit à deux scènes marrantes (à l'hôpital et dans le bus (ou le métro, je ne sais plus)), grâce aux réactions décalées de Roland par rapport à notre monde moderne.
Et enfin, seul moment un peu classe qui donne des frissons (en tout cas lorsque l'on sait ce qu'il y a derrière) : la litanie du Pistolero.
Voilà, on a fait le tour du positif, passons au reste.
Roland... mais bordel, qu'est-ce que c'est que ce traitement pourri du personnage ? Et moi qui me souciais du casting, parce que je pensais que la couleur du personnage allait poser problème lorsqu'il en viendrait à rencontrer Susannah, pfff, mais non, hahaha, suis-je bête, je m'en faisais pour rien ! En fait, ça ne pose aucun problème vu que Susannah n'est pas là et que, de Roland, il ne reste que des lambeaux. Exit le héros tragique, profond et hanté, Roland de Gilead n'est ici qu'un vague tireur sans âme, sans passé, sans épaisseur.
L'Homme en Noir, devenu ici un sorcier finalement lisse et endimanché, est à peine mieux.
Niveau intrigue et concepts, c'est d'une pauvreté stupéfiante. La Tour est présentée d'une manière simpliste, tout comme la façon de "l'attaquer", la quête de Roland est remplacée par une simple vengeance, les Tahines sont également vite expédiés, pas de traces de robots et très peu de la technologie des Grands Anciens, aucun réel élément du monde de Gilead et des baronnies, rien sur Roland et les épreuves traversées dans sa jeunesse, bref, c'est le néant.
Et bien entendu, lorsque l'on rogne sur les personnages, l'intrigue et les concepts qui la sous-tendent, il ne faut pas s'étonner de vider le récit de ce qui fait sa réelle substance. Rien ici ne parvient à intriguer ou émouvoir, l'on est face à un film fantastique basique, sans originalité ni enjeux (cf. à l'inverse cet article faisant le point sur les romans, ou cette chronique de Vance sur la conclusion du récit).
Alors, vous allez me dire que Stephen King, lui, parait très content du résultat. Ben oui mais, en la matière, c'est l'antithèse de cette pleureuse d'Alan Moore, il est toujours content. On lui aurait annoncé que c'était Jackie Chan qui allait interpréter Jake, il aurait twitté que c'était le plus beau jour de sa vie. Donc son avis est, au minimum, à relativiser.
Autre point, c'est une mauvaise adaptation (bien pire que la version comics, déjà pas terrible), d'accord, mais est-ce un bon film ? Non plus. Juste une vague histoire de lutte entre le Bien et le Mal, avec en plus une happy end débile (et à mille lieues du caractère de Roland).
Bien entendu, l'on ne peut pas s'attendre à ce que tout soit fidèle aux romans, c'est impossible, ne serait-ce que parce que le cinéma a des impératifs techniques différents. Il est normal aussi qu'un réalisateur donne sa propre version d'un récit, on ne lui demande pas d'être fidèle au poil de cul à l'histoire originelle. Mais tant qu'à dépenser du pognon en droits, c'est peut-être pour se servir quand même de deux ou trois trucs non ? Là il n'y a rien. Au final, on a juste un type qui sait super bien se servir de ses flingues. Et quand on sait ce qu'est réellement La Tour Sombre, à quel point c'est un récit puissant, bien écrit, qui vous hante longtemps après avoir tourné la dernière page, eh bien ça fait forcément mal au cœur de voir un tel saccage.
Le verdict est évident : n'allez pas voir ce truc (mais ça n'a pas l'air d'attirer les foules, nous étions sept dans la salle) et lisez les romans à la place (et même cette petite sélection avant) !
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
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