La Tour Sombre : ce qu'il faut lire avant / ce que vous réservent les romans
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La Tour Sombre, c'est une adaptation cinématographique complètement nulle (cf. cet article), mais c'est surtout une formidable saga de huit romans. Pour l'aborder dans les meilleures conditions, il est cependant préférable de lire auparavant quelques ouvrages connectés à cet univers.

Si vous connaissez déjà The Dark Tower grâce à l'adaptation en comics qui en a été faite alors... vous ne connaissez pas réellement cette saga. En effet, la BD ne fait que résumer, très imparfaitement, les nombreux rebondissements décrits dans les romans. Et surtout, les comics échouent notamment à rendre la profondeur des personnages et même, chose curieuse, la beauté et l'étrangeté des lieux visités (cf. cette chronique consacrée à la version comics de Magie & Cristal).
Pour découvrir réellement cette fantastique épopée, il faut donc le faire par le biais des romans. À ce jour, huit livres constituent l'intégralité de la saga (à l'origine, il n'y en avait que sept, un huitième s'est par la suite intercalé entre les tomes 4 et 5).

Si dans l'absolu l'on peut se lancer dans cette longue lecture sans rien connaître de l'œuvre de Stephen King, il est néanmoins souhaitable, pour pleinement profiter de l'ensemble, de commencer par quelques romans qui, en apparence, n'ont pas grand-chose à voir avec La Tour Sombre.
En réalité, si l'on cherche bien, l'on peut trouver des connexions avec The Dark Tower dans pratiquement tous les - nombreux - romans du plus célèbre écrivain du Maine. Et dans quelques nouvelles. Mais tous ne sont pas d'importance égale. Si une vague allusion n'est pas cruciale, certains personnages, concepts ou évènements, développés dans différents livres, le sont bien plus.
Voici donc une sélection de ce qu'il semble souhaitable de lire et de ce que l'on peut laisser de côté.

Le premier ouvrage à lire avant d'aborder l'univers de Roland Deschain est Salem. C'est assez ancien puisqu'il s'agit du deuxième roman de l'auteur, publié en 1975. Il est question d'une histoire, classique mais habilement menée, de vampires. Comme souvent avec King, les personnages sont attachants et finement ciselés. Et le quotidien d'une petite ville apparemment banale va lentement basculer dans l'horreur. 
Si ce roman est si important, c'est en fait parce que l'un des personnages va jouer un rôle non négligeable dans La Tour Sombre. Même si ce qu'il a vécu est quelque peu résumé dans la saga, il va sans dire que connaître précisément les évènements dont il est question sera un plus. Et le roman en lui-même aura également son rôle à jouer (les barrières entre fiction et réalité étant largement abolies dans The Dark Tower).  

Le second ouvrage est un classique puisqu'il s'agit de The Stand, traduit en français sous le titre Le Fléau.
Cette fois, l'histoire est bien plus ambitieuse et verse dans l'apocalyptique : une super-grippe décime la quasi totalité de l'humanité. Quelques survivants, immunisés, s'organisent en deux camps qui ne vont pas tarder à s'affronter...
Ce livre est doublement important. Non seulement il y est question de Randall Flagg, "l'homme en noir" qui hante les pages de bon nombre d'histoires du Kingverse, mais le fléau dont il est question a également son importance dans La Tour Sombre. Ce n'est pas forcément essentiel, mais connaître ces faits permettra d'augmenter la portée dramatique (et la magie) de plusieurs scènes.


Enfin, dans les indispensables, il serait compliqué de passer à côté d'Insomnie.
Il s'agit probablement de l'ouvrage ayant le lien le plus direct avec The Dark Tower puisqu'il y est notamment question du terrible Roi Cramoisi, ainsi que de concepts et personnages liés directement au dernier tome de la saga. Cela pourrait presque être en fait le préambule officiel de l'épopée. 
Dans les faits, il s'agit d'une excellente histoire, basée sur un lent basculement dans une autre réalité ou, au moins, une autre perception de cette réalité. Le thème, toujours complexe, de l'avortement y est également abordé.

Avec ces trois romans, SalemLe Fléau et Insomnie, vous êtes parés pour aborder La Tour Sombre dans de bonnes conditions. Disons qu'il s'agit d'un "kit" minimum (ne passez surtout pas à côté des deux derniers). Bien entendu, d'autres peuvent encore être conseillés. 
L'on peut notamment placer Ça (It, cf. cet article) dans les indispensables. Pour une raison fort simple, il s'agit du chef-d'œuvre absolu de King, inégalé à ce jour. Tant sur le plan narratif et technique qu'émotionnel, ce roman est une pure merveille. L'adolescence (ou l'enfance, cf. cet article) y est décrite avec le charme de la nostalgie mais aussi toute la violence de cette période cruciale. Mais, surtout, "ça" fait peur, c'est le cas de le dire.
Il y a bien quelques passerelles vers La Tour Sombre, mais objectivement, elles ne sont pas fondamentales, même s'il sera question à plusieurs reprises d'entités et concepts que l'on retrouvera dans la saga. Ce roman est si bon qu'il serait de toute façon dommage de s'en priver. 

Certains pourront s'étonner aussi de l'absence de Shining dans les romans conseillés, alors que le shining est constamment présent dans la saga. Une explication s'impose. Le shining est une sorte de clairvoyance, de télépathie, qui fait en effet le lien entre certains personnages de The Dark Tower et le roman Shining. Néanmoins, Shining (et sa récente suite, Doctor Sleep) n'ont pas de rapport direct avec la saga. Et le pouvoir en question y étant très bien décrit, il n'est donc pas indispensable de lire ce roman, sauf si bien sûr vous avez envie de lire une bonne histoire (ne croyez surtout pas la connaître si vous avez vu la "version" de Kubrick, ça n'a aucun rapport, on se demande même pourquoi le réalisateur a tenu à se baser sur ce roman, dont il n'a retenu que le cadre).

Pour terminer, l'on peut signaler également Les Yeux du Dragon, un conte très heroic fantasy qui a également plusieurs connexions avec le monde de The Dark Tower. Il peut néanmoins très bien se lire après, en "complément". 
Quant aux nombreux romans dans lesquels des "morceaux" de Tour sont distillés (BazaarRoadmasterSac d'OsRose Madder...), il vous appartient de décider s'ils vous font ou non envie.

Voici donc le tiercé (voire quarté) conseillé, dans l'ordre (de lecture, pas d'importance) : SalemLe FléauInsomnie, plus Ça pour ceux qui ne sont pas trop impatients de commencer.
Cette sélection a également un autre but, quelque peu caché. En effet, Le Pistolero, le premier tome de La Tour Sombre, n'est pas un grand Stephen King. De l'aveu même de l'auteur, il faut "s'accrocher" un peu pour basculer dans l'univers de Roland et de son ka-tet. Aussi, lire quelques bons romans de King avant de vous lancer à l'assaut de son Everest vous permettra non seulement d'y évoluer avec plus d'aisance mais certainement aussi plus de confiance.

Mais, dans quoi allez-vous vous lancer exactement ? C'est ce que nous allons tenter de vous expliquer en essayant de ne rien révéler d'essentiel.



1. Des histoires dans l'Histoire

La Tour Sombre est une saga épique, un western-fantasy mâtiné de SF et percé de portes vers notre monde, contemporain et réel, mais c'est aussi une belle réflexion sur le pouvoir du Conteur ainsi que la portée et la beauté des histoires.

Le point culminant de cette mise en abîme, ou métaphysique du Conteur, apparait sans doute dans La Clé des Vents, le fameux "huitième" roman, rajouté bien après la fin de la saga. Ce qui nous permet de vous dire que, bien qu'il ne soit pas indispensable sur le plan de l'intrigue, il serait dommage de s'en passer, car il est très bon et contribue à enrichir l'univers de The Dark Tower. Par contre, si vous décidez de le lire, ne le lisez pas dans l'ordre de parution, donc en dernier, mais bien entre les quatrième et cinquième tomes.
En gros, Roland raconte à ses compagnons une aventure qui date de ses jeunes années (après les évènements de Magie et Cristal). Dans cette histoire, il se met à en raconter une autre à l'un des personnages. Et c'est cette histoire, racontée par la mère de Roland, racontée par Roland lui-même (d'une manière déjà très étrange, car il raconte le fait qu'il l'a racontée), puis contée, évidemment, par King, qui est la clé de ce roman.
Simple (contrairement à ce qu'il parait) et beau.

Outre ce roman particulier, les histoires sont toujours considérées comme importantes au sein de la saga. Des inconnus sont invités à raconter la leur, les membres du ka-tet, lorsqu'ils sont séparés, ne manquent pas de conter leurs aventures, et Roland, qui pourtant manque d'imagination, d'humour et est le type le plus prosaïque qui soit, est toujours fasciné par une "bonne" histoire.

C'est également grâce à une histoire (celle de Magie et Cristal), que les personnages vont commencer à considérer Roland comme ce qu'il est : un héros tragique. C'est aussi grâce à cette histoire et son pouvoir libérateur que Roland recouvre sa part d'humanité, voire sa capacité à aimer.

Bien entendu, King lui-même, en intervenant comme personnage de la saga, en utilisant même des éléments importants et bien réels de sa vie (l'accident qui faillit lui coûter la vie lorsque, lors d'une promenade, il fut renversé par un abruti incapable de se concentrer sur la route), devient une intéressante réflexion - et une mise en abîme, encore une - sur le pouvoir du Conteur. Il sera même soupçonné un temps d'être Gan lui-même mais remettra les pendules à l'heure en évoquant, avec justesse et humour, la prétention et la vanité de certains écrivains.

La fin pourrait également rentrer dans cette réflexion sur l'histoire et la manière de conter, mais elle est suffisamment riche pour qu'on la garde, justement, pour la fin.

2. Quelques défauts...

Une saga de huit, bon disons sept à la base, romans, écrite sur plus de trente ans, ne peut être exempte de défauts. Mais rares sont les textes qui n'en ont pas, à part peut-être quelques courtes nouvelles, et encore. Ce n'est donc en rien rédhibitoire, et presque même naturel. Certains défauts ont d'ailleurs été gommés par l'auteur lui-même, grâce à une réédition des premiers tomes. Nous allons donc considérer l'édition revisitée actuelle.

Tout d'abord, Stephen King avoue sans peine que le premier roman, Le Pistolero, est un peu "dur" à passer. L'histoire prend en fait son réel envol environ à la moitié du troisième tome (Terres Perdues). Alors, attention, il ne s'agit pas de dire que c'est nul avant et que ça devient bien ensuite. D'ailleurs, en général, un truc nul, on ne peut pas le rattraper par un tour de passe-passe, et si ça commence mal, l'histoire à tendance à s'effondrer de plus en plus. Non, il y a de bons moments dans Le Pistolero, et même des scènes géniales dans Les Trois Cartes, simplement, une fois arrivé à Lud, tout prend une autre ampleur.

Certains défauts sont inhérents aux tics de l'auteur. Ceux-ci sont naturellement présents dans ce long récit. Par exemple, King ne s'embarrasse pas tellement d'explications sur certains éléments "fantastiques" ou "paranormaux" (ou même "scientifiques" d'ailleurs).
Loin de moi l'idée d'affirmer que tout doit s'expliquer dans un récit. On peut parfois laisser des zones d'ombres, c'est même souvent nécessaire. Et, tout aussi souvent, il n'est pas utile de s'appesantir sur un élément "déclencheur". Pour rester dans les exemples des romans de King, 22/11/63 est basé sur un voyage dans le temps avec des contraintes très précises, mais, bien que le "truc" qui permette le voyage en lui-même soit probablement lié au vaadasch, rien n'est expliqué concernant cet élément. Ce n'est pas grave pour ce roman car l'intérêt réside ailleurs, on se fiche bien de savoir pourquoi ou comment ça fonctionne.
Par contre, dans La Tour Sombre, où il est question de multivers, de cohérences et de coïncidences, de destin, de science des Grands Anciens, l'on en arrive parfois à être devant des raccourcis un peu fumeux et des vides douloureux.

Il arrive aussi à King d'ergoter. De perdre du temps sur des conneries, où l'on se dit "mais, putain, avance ou je te jure que je te mords les couilles !", enfin, vous vous direz peut-être ça en moins... vulgaire.
Ce n'est pas constant, et je précise que je suis un grand adepte des récits de King, simplement, parfois, il semble un peu "pédaler sur place".
Il ne s'agit pas de longueurs, ou de descriptions inutiles, au contraire, les romans de King se lisent très rapidement, avec une sorte de rythme naturel, et je suis loin de partager l'avis de ceux qui disent l'apprécier mais ronchonnent quand il sort des pavés (si c'est bon, autant que ce soit long).
Non, cet ergotage vient de situations qu'il serait bon de passer sous silence, ou au moins d'accélérer. Par exemple, dans Les Régulateurs, publié sous le nom de Richard Bachman, au début du roman (et bien que ce soit un bon roman, qui fait écho à Désolation), il enlise à un moment deux personnages qui se perdent en palabres sur la meilleure façon de... saisir un tapis. Un type a été blessé, ou tué, ils veulent le transporter, et King en fait des tonnes sur ces deux personnages qui se demandent comment ils pourront se servir au mieux de leur putain de tapis. La réponse est simple, du moins simple pour qui a déjà replié un drap : chacun prend les deux bouts d'une extrémité, bordel, pas besoin de deux heures sur ça !

Enfin, il y a encore la traduction française, qui n'est pas ignoble (on est loin d'un Dôme, cf. l'encart de cet article) mais reste perfectible, tant sur le fond (il est question parfois du barillet de... pistolets automatiques) que sur la forme (certains verbes hasardeux).

3. La Venue du Blanc (ou les immenses qualités)

Si l'on prend le temps de vous conseiller des ouvrages à lire avant même la saga principale, c'est bien parce que celle-ci réserve des moments de lecture fabuleux.

Les personnages, tout d'abord. Si une Susan Delgado peut paraître niaise et seule responsable des ennuis qui la mèneront à un charyou tri prévisible, bien d'autres sont faits de ce bois noble qui résiste au temps et à l'humidité des scènes larmoyantes.
Roland, évidemment. Vieux cowboy solitaire, gentil salaud, obsédé par sa quête et hanté par ses démons. Eddie... ah, Eddie... le ka-mai brillant, qui un temps va haïr Roland pour finir par l'aimer au-delà de toute considération. Il y a dans ce rapport, maître/élève, toute l'abnégation et le fol espoir que l'on peut retrouver dans certains arts martiaux traditionnels : une longue quête vers l'Éveil. Ou le Blanc. Ce qui n'est en rien synonyme de happy end.

Le rapport entre les personnages, et notamment entre les personnages du ka-tet de Roland (l'ancien puis le plus "actuel", si le temps a encore un sens dans ce monde qui change), est suffisamment complexe et teinté d'amertume pour que tout le jus acide de la tragédie puisse nous faire grimacer de dégoût autant que de plaisir.
Même certains Tahines ne sont pas que des "méchants". Et un grand nombre d'humains basculent dans le mauvais camp ou font preuve d'une lâcheté méprisable.

Le monde lui-même, ensuite, contribue à rendre le récit unique.
King n'aura pas été aussi loin qu'un Tolkien dans la cosmogonie de son monde (encore que sa cosmogonie est différente, car liée à l'Écriture même en tant qu'élément primordial, ou "Prim"), encore moins dans l'invention des langues et termes qui le sous-tendent. Néanmoins, le charme opère et l'on retient la plupart des étranges et si importants mots sans effort.
Qui n'a, depuis cette lecture, jamais pensé à un groupe, peut-être ancien, en termes de ka-tet ?
Qui n'a jamais rêvé de parler dan-dinh ?

Enfin, certaines scènes sont aussi prévisibles que poignantes.
Si vous ne l'arrêtez pas, peu importe que vous voyiez partir le poing qui va vous décrocher la mâchoire, l'effet sera le même, sans la surprise : douleur et larmes.
Or, la souffrance fait partie du Truc. Un bon récit doit vous remuer, vous interroger. Une excellente histoire doit vous défoncer le bide et vous hanter.

Alors quoi ? De bons personnages, quelques termes exotiques, un soupçon de larmes, et ce serait tout ? Il y a autre chose, c'est certain. Et même si cette "autre chose" est difficile à appréhender, l'on peut aussi aller la chercher dans l'inconscient collectif et les mythes.
Roland n'est-il pas fils d'Arthur ? N'enfante-t-il pas Mordred ?

4. La Fin (ou l'arrivée au Sommet de la Tour)

Bien des lecteurs se sont déclarés déçus par la fin de La Tour Sombre.
Difficile pourtant, en tant que lecteur, de décider de la fin, ou même de la substance, d'un récit. Il faut s'abandonner, en faisant confiance ou en suivant son instinct. Quel serait l'intérêt de dicter à un Conteur la fin que l'on souhaite ?
Tout le monde a besoin d'entendre des histoires. De bonnes histoires.
Mais tout le monde n'éprouve pas le besoin d'en écrire. Et parmi la multitude des scribouilleux (des bafouilleux dirais-je, voilà encore un terme qui, pour ceux qui ont lu la saga, est lourd de sens et d'émotion), peu parviennent à saisir l'essentiel, à faire en sorte qu'une histoire soit plus qu'une suite de mots.
King fait partie de ceux-là.
Tous ces romans ne sont pas géniaux, mais tous sont bons et honnêtes. Écrits par le genre d'artisan qui ne salope pas son travail. Et à qui l'on finit par faire confiance. Ce qu'il construit n'a pas toujours la forme que l'on attendait, mais s'il s'agit d'un siège, l'on peut s'y asseoir sans crainte, il ne va pas s'effondrer.

Mais OK, parlons-en de cette fin.

-- Attention spoiler important (revenez lire ce passage après avoir lu les romans, ou alors passez directement à la suite, après la balise de fin de spoiler) --

King lui même nous donne le choix à... la fin. En rester là, avec une vue (presque) idyllique sur Central Park, ou continuer pour savoir ce qu'il y a dans la Tour, et notamment au dernier étage. Il nous le dit clairement, c'est à nous qu'il appartient de choisir.
Rester presque heureux à Central Park, en imaginant Roland à la Tour. Ou être déçu en croquant la Pomme, en sachant ce qu'il y a derrière la Porte, derrière toutes les portes.
Qui pourrait résister à cela ? Heureux et ignorant ou maudit mais dans le secret des Dieux ?
19 !
Bien sûr, comme vous, je me suis maudit. J'ai choisi de savoir malgré la mise en garde (dont le rôle n'est pas de nous arrêter mais de nous précipiter dans l'abîme).

Est-elle bonne cette fin ? Elle l'est, j'en jurerais, sur ma montre et mon billet. Elle boucle la boucle, l'éternelle roue du ka, elle offre au lecteur l'amertume qu'il est venu chercher (vous ne croyez plus aux contes de fées, ne soyez pas surpris si l'on ne vous en raconte pas), et donne même une chance, minime, infime, à Roland de rompre le cercle. Un détail change et tout peut être modifié. Ou rien.

Quelle importance ? L'histoire était bonne puisque nous avons tourné les pages. Et j'avoue, j'ai pleuré pour Eddie et Ote. J'ai pleuré leur mort comme s'ils étaient réels. Et d'une certaine façon, ils l'étaient, n'est-ce pas ? Nous avons tous nos Eddie et nos Ote. Et des raisons de les abandonner. De bonnes et glaciales raisons. Et, à la toute fin, quand Roland s'avance vers la Tour en hurlant les noms de ses proches, des gens dont il a, un peu, précipité la perte, vous aussi ressentirez sa solitude, sa vanité, sa détermination et... sa noblesse.

-- fin spoiler --

Au final, quelles que soient les histoires, et quelles que soient leurs formes (nouvelle, roman, chanson, poème, film, série TV, BD...), elles ne se divisent qu'en deux grands groupes. Celles auxquelles l'ont peut accorder du temps - et le temps est précieux dans ce monde-ci, comme vous l'intuitez - et les autres, celles que l'on peut ignorer.
La Tour Sombre fait partie de ces histoires que je suis heureux d'avoir lues. Il y a quelques années, parce que j'aimais déjà la plume (même maltraitée par les traducteurs et éditeurs français) du Maître. Aujourd'hui, parce que j'ai porté un regard moins naïf, plus acéré, mais tout aussi passionné sur ce récit. Cela m'a permis d'en découvrir de nouveaux pans mais jamais de contourner le glam essentiel de sai King.
Même en relisant d'un œil qui se voulait froid, j'ai été touché, envouté. Encore.
Pas seulement parce que le ka est une roue, mais parce que la magie des mots, lorsqu'elle est maîtrisée et lorsque l'on y est un peu ouvert, est une magie essentielle, à la puissance indicible.

Si l'on y réfléchit sereinement, Ote n'est rien d'autre qu'une suite de lettres, un personnage de papier, même pas humain. Et pourtant... qui connaît Ote sait qu'il est bien plus. Une forme transcendante de l'animal de compagnie. Un glam essentiel mais qui a besoin d'un savoir-faire réel pour fonctionner.
Bref, la fin est douloureuse, mais sans cela, elle ne serait pas une fin. Ou plutôt, la douleur est présente parce que "ça s'arrête", non parce que le final est mauvais ou pas tout à fait celui que l'on avait espéré.
Cette "descente", qui suit toute les bonnes histoires, est horrible, comme si rien ne méritait plus d'être lu, comme si l'on allait être hanté à vie par le souvenir de personnages ne voulant pas mourir. Mais, outre le fait que cette descente est délicieusement douloureuse, elle finit par passer.
Un jour, l'on se réveille et l'on est prêt à lire autre chose. L'effet dur de la magie s'est dissipé. L'on se souvient alors de Roland et de ses compagnons, mais ils n'ont plus d'emprise sur nous. Ils sont retournés au Papier. Jusqu'à ce qu'un lecteur les invoque de nouveau. Mais bordel, ce que c'était bon !


Tel un Pistolero, vous êtes au début de votre quête... 
Si vous faites vos premiers pas en empruntant les quatre histoires conseillées en pré-lecture, et que bien entendu vous continuez ensuite avec les huit romans de La Tour Sombre, vous voilà avec pas moins de douze très bons livres devant vous. Douze est un bon chiffre, car il y a douze Gardiens qui... oh, mais je m'égare sai. J'implore votre pardon car il ne m'appartient pas de conter l'histoire de Roland Deschain de Gilead, serviteur du Blanc, descendant de la lignée de l'Eld et dernier pistolero d'un monde qui a changé. Cela a été fait, et de belle manière. Si fait ! Quelle heureuse rencontre que celle que pourra faire le Lecteur avec ce Conte Ultime, peuplé de mages et de robots, de démons et de chevaliers. Il y aura des pleurs, des sourires, des frissons, et à la fin, comme toujours, quelques cicatrices et un brin de nostalgie. Car l'on ne ressort pas indemne d'une telle quête.
Je vous envie, car je connais le Chemin que vous allez parcourir. Et il est plein de merveilles...
Que vos jours soient longs, vos nuits plaisantes et vos lectures agréables !
Et n'oubliez pas...
Je ne tue pas avec mon arme. Celui qui tue avec son arme a oublié le visage de son Père.
Je tue avec mon cœur. 



I do not aim with my hand; he who aims with his hand has forgotten the face of his father.
I aim with my eye.
I do not shoot with my hand; he who shoots with his hand has forgotten the face of his father.
I shoot with my mind.
I do not kill with my gun; he who kills with his gun has forgotten the face of his father.
I kill with my heart. 
The Gunslinger Litany
Stephen King, The Dark Tower