Une fort bonne adaptation BD de ce qui était à la base un jeu : Injustice.
Des jeux vidéo adaptés en bande dessinée, ce n'est guère nouveau. À titre d'exemple l'on peut citer Halo ou World of Warcraft, tous les deux franchement décevants. Il faut dire qu'il n'est pas toujours aisé de retranscrire ce qui fait l'intérêt d'un jeu dans un récit. À plus forte raison lorsqu'il s'agit d'un jeu de combat.
C'est pourtant le pari qu'a tenté DC Comics avec Injustice. Il faut dire que le jeu contenait déjà un mode solo plutôt intéressant et un pitch de départ permettant de rendre certains personnages bien plus sombres qu'à l'accoutumée.
Injustice se déroule en effet sur une Terre parallèle, où tous les héros et criminels connus sont présents. Une différence de taille va cependant bouleverser l'avenir de certains.
Alors que Loïs Lane attend un heureux évènement, celle-ci se fait enlever par le Joker. Ce dernier utilise ensuite la toxine phobique de l'Épouvantail, mélangée à de la kryptonite, pour perturber les sens de Superman qui, croyant avoir affaire à Doomsday, en vient à tuer sa femme et l'enfant qu'elle portait...
C'est le point de départ des six longs chapitres (30 planches chacun) contenus dans le premier tome, publié en 2014 par Urban Comics, qui avait même ajouté le jeu PC en bonus de l'ouvrage.
Le scénario, brillant en tout point, est de Tom Taylor. Les dessins, allant du correct au franchement pas brillant, sont de Jheremy Raapack, Mike S. Miller, Bruno Redondo, Axel Gimenez, David Yardin, Tom Derenick et Diana Egea. Dommage qu'il n'y ait pas de véritables grosses pointures aux crayons car l'intrigue vaut vraiment le coup.
Voyons cela en détail.
Après avoir encaissé difficilement le choc de la disparition des siens, Superman en vient à commettre des meurtres et à intervenir de plus en plus souvent dans les affaires politiques internationales. Il est suivi notamment par Wonder Woman et la plupart des autres encapés.
Batman, lui, s'oppose à ce qui semble être le début d'un règne autoritaire, voire même d'une dictature.
Le thème des super-héros influant directement sur le monde par la manière forte a déjà été largement défriché, souvent de belle manière, que ce soit dans The Authority, No Hero, Black Summer (cf. ce dossier consacré à Warren Ellis) ou encore Supreme Power. Ici, cependant, il ne s'agit pas d'un individu isolé qui pète les plombs, ou d'une équipe de héros secondaires, mais de tous les poids lourds bien connus de DC Comics.
L'on retrouve, outre Superman et Batman, Flash, Green Lantern, Aquaman, Green Arrow, Cyborg... et la bat-family est aussi présente, avec Robin, Nightwing ou encore Catwoman. Questions vilains, en plus du Joker, déjà cité, l'on a droit à Harley Quinn, Ares, Double-Face ou encore le Sphinx.
Mais le casting ne fait pas tout, pour obtenir une histoire qui tienne la route, il fallait talent et savoir-faire, ce dont ne manque pas Tom Taylor, qui se révèle magistral et inspiré.
Tout d'abord, contrairement à un Civil War, excellent mais qui débutait sur une radicalisation des deux camps un peu rapide, Injustice glisse vers la confrontation avec une lente et logique progression dramatique. Les altercations se multiplient, opposant Superman à divers gouvernements ou même aux armées d'Atlantis. Toujours dans un noble but mais avec des dérives de plus en plus évidentes.
Les principaux protagonistes se connaissent bien, s'apprécient, se respectent, et leurs divergences n'en sont que plus déchirantes. Green Lantern tente de raisonner Supes, Flash commence à douter de la légitimité des méthodes employées, même Catwoman n'en revient pas que la communication soit rompue entre Bruce et Clark, alors que les deux hommes continuent de s'estimer et de poursuivre les mêmes buts. Ce traitement des personnages permet de ne pas seulement assister à une suite de combats mais de profiter des liens qu'ils ont pu tisser au fil des années.
Taylor va également explorer tout le spectre de la violence dans une habile déclinaison : que ce soit la violence aveugle des fous, celle perpétrée au nom du Bien, celle des états, celle que l'on peut libérer sous le coup de l'émotion, celle qui est purement involontaire ou même celle, plus pernicieuse, qui se cache dans les rouages de la finance.
Loin d'un propos manichéen, l'auteur démontre l'inéluctabilité de la confrontation, l'humanité de certaines personnes pourtant vues comme des monstres, et la relativité des plus nobles idéaux.
Autre point important, Taylor utilise au mieux ce terrain de jeu alternatif, qui permet notamment de tuer "pour de bon" certains personnages. Et là encore les tragédies sont bien amenées, surprenantes et servent au mieux l'intrigue, dont la noirceur est ponctuée de quelques jolies tirades, comme lorsque Catwoman va dire à un Bruce fou de douleur : "Juste aujourd'hui... ne sois pas Batman. Ne sois pas le Masque. Lâche tout, juste aujourd'hui. Tu peux t'effondrer. Je te tiens.", ce qui constitue tout de même une sacrée putain de belle déclaration d'amour.
Il y a tellement de gens qui donnent dans le "sois fort" et si peu qui disent "tu peux tomber, je te rattrape"...
Bref, voilà tout simplement une excellente saga, au rédactionnel soigné puisque les néophytes bénéficient de deux pages présentant de petits topos sur les protagonistes principaux. Le premier cycle, Gods Among Us, comprenant 11 tomes, est entièrement disponible en VF chez Urban Comics, tout comme les suites, Ground Zero (2 tomes) ou Injustice 2, en cours de publication (2 ouvrages publiés, le tome 3 est prévu pour mars 2019, le tome 5 en VO étant prévu, lui, pour avril). L'on peut aussi signaler une curiosité, Injustice vs Masters of the Universe, dont le premier TPB sort également en VO en avril, et qui témoigne de la vitalité de la franchise (et de son audace, parce qu'en tant qu'invité pour un crossover, ce n'est pas forcément à Musclor que l'on aurait pensé).
Une superbe histoire, sombre, mature, touchante et maîtrisée à la perfection.
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