Pour les amateurs de vampires et de mafieux, retour sur À Crocs et à Sang, un ouvrage qui sent la poudre, l'hémoglobine et... le cul.
La famille Del Toro est à la tête du plus puissant clan mafieux de Miami. Particularité intéressante : les Del Toro sont également des vampires. Un aspect tout de même non négligeable bien que le monde connaisse parfaitement l'existence de cette minorité.
Lorsque leur patriarche est assassiné, ce ne sont pas les successeurs potentiels qui manquent. Risa, aussi belle que cruelle, ou encore Eddie junior peuvent prétendre relever le défi sans problème. Pourtant, c'est à leur frère, Leto, que le vieil Eduardo a laissé, dans son testament, les rênes de l'organisation qu'il dirigeait.
Cela n'est pas sans créer dissensions et jalousies, d'autant que Leto s'était éloigné du clan depuis deux ans pour devenir... prêtre.
Que ce soit l'inspecteur Fortine, qui s'est juré de démanteler le cartel de vampires, Victor, qui s'est déjà glissé dans le lit d'Arabella, veuve pas si éplorée que ça, ou la troublante Risa, tous ont un énorme appétit. Pour le sang. Pour l'argent.
Pour le pouvoir.
Le recueil qui nous intéresse ici compile en fait deux mini-séries Vertigo (cf. notre dossier encyclopédies comics pour en savoir plus sur ce label) : Bite Club (6 épisodes) et Bite Club : Vampire Crime Unit (5 épisodes). Le scénario est de Howard Chaykin & David Tischman, les dessins de David Hahn et la colorisation de Brian Miller.
Des histoires de vampires, il en existe un paquet en comics, que ce soit American Vampire, la version BD du Dracula de Stoker, ou encore la suite de la série True Blood (cf. cet article). Lorsque l'on manipule un thème aussi souvent employé, il faut donc se montrer particulièrement inventif et bâtir une intrigue solide, ce qui est le cas ici. Ouf !
Tout d'abord, les vampires sont traités de manière réaliste. Le terme peut surprendre, mais rappelons que la plupart des clichés de la littérature sont en fait parfaitement explicables. Le fait d'être extrêmement sensible à une exposition au soleil se retrouve ainsi dans l'épouvantable maladie connue sous le nom de Xeroderma Pigmentosum, et le fait de ne pas pouvoir apercevoir son reflet dans un miroir, contre toute attente, est également possible et est dû à un trouble psychologique et un phénomène d'hallucination négative. Mais inutile de tenter ici de donner un peu de crédit à la légende car les vampires de À Crocs et à Sang ne craignent pas la lumière, pas plus qu'ils ne volent ou ne se transforment en chauves-souris.
Cette minorité ethnique, au système immunitaire renforcé et à la force améliorée, est en fait le résultat d'une saloperie véhiculée par les chauves-souris vampires originaires d'Amérique du Sud (la Transylvanie est bien loin !). De là découlent trois catégories de dentus : l'Alpha, transformé directement par l'animal, le Bêta, qui n'a jamais été humain et est issu de l'union de deux vampires, et enfin l'Oméga, transformé par la morsure d'un vampire. Si leur espérance de vie, tout comme leurs sens, sont considérablement renforcés, ils restent mortels et totalement dépouillés du folklore gothique habituel.
Les auteurs utilisent en fait ces prédateurs pour renforcer l'aspect violent et hors des conventions du milieu mafieux tout en conservant néanmoins une ambiance troublante et explicitement érotique. Car attention, si la violence n'atteint pas des sommets, le sexe - et les perversions sexuelles encore plus - est très présent. Tout comme d'ailleurs un langage très cru qui peut éventuellement choquer.
Pour contrebalancer cette dureté, Hahn et Miller livrent un graphisme doux, très esthétisant (même si les visages ne sont pas toujours très réussis) et lissé par une colorisation monochrome qui alterne les teintes et permet de jouer sur des détails ou sur la froideur (ou la chaleur) d'une scène. Le contraste entre l'innocence du dessin et les propos tenus est des plus réussis et exploite parfaitement le potentiel, énorme, de la BD en tant que médium développant des particularités propres. C'est suffisamment rare pour être souligné.
Violent, réaliste, esthétique, Bite Club s'avère également parfois plus subtil qu'il n'y paraît, notamment dans la première partie. Les relations père-fils ou la souffrance adolescente y sont notamment abordées avec une simplicité non dénuée d'émotion, ce qui permet d'insuffler un peu d'humanité dans un univers qui en est souvent dépouillé, et incite également à relativiser la perception que l'on peut avoir du "monstre" qui, quel que soit ses actes, leur immoralité et l'envie légitime d'y mettre un terme, est souvent plus complexe que la réduction stéréotypée dans laquelle l'on va rapidement le cloisonner. Une approche plutôt intelligente donc.
Au final, nous voici devant une œuvre dont l'outrance et le côté trash ne doivent pas masquer la pertinence de la forme et la richesse du fond.
Un mot sur la VF, sortie en 2011 chez Panini. Elle n'est pas désastreuse mais pas exempte non plus de boulettes : "mon coeur bat à la chamade" ou "ce flic est belle et bien..." sont autant d'exemples assez irritants.
Autre remarque, plus technique : un "grâce à rico" dans le texte peut également dérouter certains lecteurs et aurait pu faire l'objet d'une note explicative ou même d'une meilleure formulation ("grâce à la loi RICO") [1] pour éviter que l'on puisse penser qu'il s'agit d'un individu. Mais bon, avec Panini, l'on n'en est plus à finasser depuis longtemps...
Un bon polar, sulfureux, musclé et bénéficiant de fort belles planches.
De quoi vous donner le goût du sang.
[1] L'acronyme RICO désigne le Racketeer Influenced and Corrupt Organizations act, soit une loi fédérale qui a permis, entre autres, de s'attaquer au crime organisé aux États-Unis en autorisant l'inculpation du capo (chef) d'une "famille", même quand celui-ci n'est pas directement impliqué dans les crimes qui sont perpétrés sous son autorité.
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