Onslaught : la montagne qui accoucha d'une souris



En 1997, Marvel France (Panini) décide de publier le méga-crossover Onslaught sous la forme d'une saga en 11 phases et plusieurs tie-ins concernant la majeure partie des personnages principaux de la Maison des Idées, le tout étant destiné, comme toujours, à "changer leur univers à tout jamais".

Revenons tout d'abord un peu à la situation telle qu’elle était aux premiers frémissements du crossover : Lors de leur ultime confrontation, le professeur Xavier décide une bonne fois pour toutes d’empêcher Magnéto de nuire à nouveau – le souvenir des souffrances inhumaines qu’il avait fait subir à Wolverine en lui extrayant l’adamantium de son squelette le motivant encore davantage. Pour ce faire, une seule solution s’est imposée à lui, mesure qu’il avait jusque lors répugnée à envisager : user de son pouvoir pour faire subir à son ennemi un lavage de cerveau.
Depuis, le doute le ronge quant à la justification de son acte et ses pouvoirs lui jouent des tours. Parallèlement, une menace sournoise commence à s’en prendre aux X-Men, sous la forme de Post, un adversaire redoutable qui avoue n’être que le héraut d’un péril à venir plus grand encore, nommé Onslaught. Lorsque Jean Grey tente d’en savoir davantage, ses dons télépathiques lui dévoilent la terrible vérité : aura-t-elle le temps de révéler au monde entier qui se cache derrière Onslaught ?

J’ai tout récemment relu la saga Onslaught, un de ces trucs que balancent de temps en temps les deux éditeurs US qui ont la mainmise sur l’industrie des comics de super-héros, le genre à révolutionner le monde, à bouleverser la vie des personnages tout en se débarrassant des scories du passé. J’en gardais un bon souvenir, quoique assez confus et teinté de frustrations diverses. Après avoir mis la main sur un épisode manquant, j’ai décidé de me retaper l'intégrale parue en kiosques – notons qu’il existe également une version Omnibus éditée par Panini, un gros pavé très cher dans l’investissement duquel je ne trouvais aucune pertinence.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à la base, l’ambition était bien là. Le plus réussi vient probablement de la montée en puissance dans les phases préparatoires : on pouvait remarquer un réel souci de continuité. Certaines planches des séries plus contemporaines qui annonçaient Civil War y font d'ailleurs irrémédiablement penser. Cependant, le déroulement de l’intrigue, inutilement dispersée, et la multiplication des dessinateurs (pourtant souvent renommés) font beaucoup de mal à l’ensemble : c’est nerveux, coloré, mais terriblement embrouillé. Quant aux scénaristes, certains tout aussi réputés que les illustrateurs, ils ont bien du mal à tout faire tenir ensemble, avec des épisodes annexes bien ternes (le sauvetage du Fauve, le destin des ex-Nouveaux Mutants), des flottements dans la logique narrative et une psychologie des personnages pour le moins déconcertante. On ne comprend pas trop les atermoiements de Hulk ou les initiatives de X-Man, et on a souvent l’impression que l’emploi de "lieutenants" (comme Post) par Onslaught résultait surtout d’une volonté d’étoffer l’ensemble en proposant de grosses bagarres. En outre, ces dernières, qui auraient dû constituer autant de points d’orgue du crossover, sont souvent, il faut l'avouer, assez confuses.

N’empêche… les moments se concentrant sur Jane Storm et sa volonté de sauver Franklin, les actions désespérées des X-Men et le renfort bienvenu des Avengers redonnent un coup de fouet. L’intensité atteint à ce moment précis les sommets attendus, et certaines confrontations ont le punch et l’amplitude souhaités au départ. Kubert, sans être au top – c’est indéniable – parvient néanmoins à faire passer beaucoup de choses dans certaines des dernières cases.
Au final, la saga foncièrement intéressante par son ambition première s’avère globalement ratée par son côté fourre-tout, sa longueur et sa complexité inutile, de plus, si elle est effectivement parfois jouissive dans certains actes clefs, elle procure davantage de frustration et d’agacement que de satisfaction. Rétrospectivement, la gestion catastrophique de l’univers Heroes Reborn (cf. notre dossier sur les univers alternatifs Marvel) et l’impact quasi nul de la saga sur le long terme (en dehors du sort réservé à Xavier) ruinent sérieusement la pertinence d’un tel investissement éditorial.



Passons à présent en revue les éléments constitutifs de la saga.
En dehors de quelques épisodes des X-Men vaguement annonciateurs, c’est en France avec X-Men Extra 5 (novembre 1997) qu’Onslaught fait officiellement parler de lui, avec deux épisodes signés Mark Waid, dans lesquels Jean Grey se retrouve face à un ennemi redoutable mais encore inconnu.
On peut considérer ce numéro comme le véritable prologue à la saga.
Celle-ci se constituera de 11 Phases (des magazines comportant les épisodes les plus importants pour la continuité) et 4 Impacts (épisodes secondaires, objectivement bâclés ou de peu d’intérêt).


Phase 1 : Marvel Mega HS 2 - janvier 1998 

Un épisode de Cable et deux des X-Men, avec les artistes les plus en vue de l’époque (Waid, les Kubert, Scott Lobdell). L'on retrouve aussi Ian Churchill, livrant une excellente prestation, et le calamiteux Rick Leonardi.
Premiers affrontements d'envergure (Cable face à Post, les X-Men face à Onslaught) et premières révélations : la course contre la montre commence.


Phase 2 : Marvel Mega 4

X-Force, Excalibur et un épisode spécial sur le Fléau emprisonné par Onslaught dans le cristal de Cyttorak.
Jeph Loeb et Warren Ellis essaient de nous conter des histoires cohérentes tout en les intégrant à la saga, mais les dessins ne suivent pas, c’est très décousu. Pris séparément, le one-shot sur le Fléau reste sans doute le plus intéressant. Signalons la présence du Docteur Strange en invité vedette.


Phase 3 : X-Force 32

Loeb revient à la saga principale, avec une ligne plus sombre et passionnante ; à l’ombre d’Apocalypse, Sinistre intervient alors que X-Force va tenter d’aider Nate Grey à résister à Onslaught, lequel désire l’enlever afin d’accroître son immense pouvoir.
Grâce aux dessins très dynamiques de Skroce, l’intensité croît de manière substantielle, mais ça reste malheureusement confus, avec des sous-intrigues qui se multiplient.


Phase 4 : Cable 21

Les duos Loeb/Churchill puis Peter David/Medina nous narrent l'affrontement épique entre Cable et Hulk. Des dessins explosifs dans l'une des meilleures histoires de la saga, avec un duel sur tous les plans (physique et psychique), un Cable qui va payer de sa personne (et qui aura besoin de l'aide de Tornade) et un Hulk qui ne sait pas qu'il est manipulé.
La grosse artillerie déployée met en valeur la grande maîtrise des scénaristes.


Phase 5 : X-Men Extra 6
Trois épisodes qui rompent un peu la dynamique de la saga, le premier (un Uncanny X-Men) revenant en arrière dans la chronologie pour raconter la ré-émergence d'Apocalypse... qui n'apparaît que le temps de trois planches et de quelques lignes de dialogue pompeuses indiquant que "l'ère prodigieuse s'achève" et que, comme il l'avait toujours prédit, seuls les plus forts survivront. L'essentiel de l'histoire constitue une forme de ce que les Anglo-Saxons nomment aftermath, les conséquences immédiates de la bataille contre Onslaught qui a ravagé l'Institut Xavier et confirmé à la fois les dires d'X-Man et la prédiction de Bishop.
Un épisode qui marque les retrouvailles des X-Men, des Avengers (encore nommés Vengeurs) et de X-Force, avec Excalibur en arrière-plan. Le temps des alliances est venu, avec, dans l'ombre, Onslaught qui ourdit ses plans machiavéliques, forçant McCoy à lui trouver de nouveaux renforts et Logan qui décide d'entamer sa quête personnelle. Lobdell signe un script dense plutôt bien servi par un Madureira un peu pressé.
Les deux autres épisodes sont tirées de X-Factor, avec des dessins allant du passable (Jeff Matsuda) à pas terrible (Stefano Raffaelle) : Dents-de-Sabre et Mystique ont été kidnappés afin qu'ils servent la cause de McCoy tandis que Fatale emmène Havok affronter ses anciens copains, qui ne savent pas qu'un traître est dans leurs rangs. Combats brouillons + découpage chaotique + équipe artistique à la ramasse = un sentiment aigu de confusion et de lourdeur.


Impact 1

Le numéro 400 des Avengers par la paire Waid/Wieringo marque la prise de conscience par le groupe de la menace Onslaught. Mais elle n’arrive qu’à la toute fin, le temps pour eux d’affronter la plupart de leurs anciens ennemis, derrière lesquels se cache celui qui est à l’origine de leur création.
Les autres séries (concernant Spider-Man et Daredevil) n’ont rien à voir avec Onslaught. Ça sent un peu l’arnaque.
Suivent un épisode des X-Men, signé Madureira (dont j’étais grand fan à l’époque) et deux de X-Factor, écrits par Jeff Matsuda. Cela devait être le sommet de la saga, avec l’intervention des Vengeurs, l’irruption d’Apocalypse dans le combat, la menace des Sentinelles. Ça reste assez faible dans la réalisation, avec un Onslaught qui préfère se défiler et Dark Beast terriblement mal employé. Sans doute le numéro qui plombe le plus l’aura de la saga...




Impact 2 : Génération X 1

Bachalo et Lobdell racontent comment Emma Frost va tout faire pour sauver les jeunes mutants des griffes d'Onslaught.
Un récit assez intéressant dans sa conception, avec une vision plus intimiste qui constitue une pause bienvenue dans la fureur chaotique de la saga.




Phase 6 : Avengers 13

Un bon épisode de Waid et Deodato, dans lequel les Vengeurs et quelques X-Men traquent Magnéto et tombent sur... Joseph, défendu becs et ongles par Malicia. Ça n'ira pas sans heurts, tandis qu’Iron Man se retrouve face aux Sentinelles qui ont envahi New York, avec la Panthère Noire pour seul appui.
En bonus, un épisode de Captain America… qui n'a rien à voir avec la saga.


Phase 7 : Silver Surfer 13 

Les Fantastiques se retrouvent dans la mêlée, avec une Jane qui refuse que qui que ce soit puisse tenter d’enlever Franklin. Aidés de quelques X-Men et Vengeurs, ils vont devoir combattre Onslaught. Mais la lutte est déjà désespérée.
Pacheco est aux dessins dans un très bon épisode, un peu naïf mais moins brouillon que les précédents. Ensuite, sous les pinceaux de Deodato, les Vengeurs essaient de sauver New York des griffes d’Onslaught qui, pour gagner du temps, envoie ses hérauts Post et Holocauste. Ça dépote, c’est assez bourrin mais salvateur. On se dit alors que si on perd en cohérence et en profondeur pour y gagner en énergie et en destruction, ça vaudra tout de même le coup.
Évidemment, on se trompe.


Phase 8 : X-Men 13

Tous contre Onslaught ! C’est l’ère des combats, très attendus pour la plupart.
Les X-Men en quête des protocoles de Xavier tombent les premiers. Nate Grey n’a plus que Sinistre pour l’aider à échapper à Onslaught : cruel dilemme ! Hulk est revanchard et veut lui faire payer la façon dont il s’est servi de lui. Mais encore une fois, il ne sera qu’un jouet pour l’esprit tout-puissant d’Onslaught.
L’épisode de X-Force est curieusement décalé, sur un ton nostalgique limite puéril.


Phase 9 : Wolverine 50

Une belle couverture pour deux épisodes de Larry Hama où Logan, revenu à un état bestial depuis la perte de son adamantium, est en quête d’humanité en même temps qu’il cherche l’identité de celui qui est derrière Onslaught. Il aura besoin pour cela de l’aide affectueuse d’Elektra.
Deux histoires séduisantes, bien que finalement peu importantes pour la saga.


Impact 3 : Spider-Man 13

Le Tisseur essuie les plâtres et apporte son soutien aux habitants de New York face à des Sentinelles implacables. Il lui faudra l'aide de Peter Parker (oui, le vrai-faux clone) pour y arriver, dans des épisodes inégaux dont le plus beau est signé Romita Jr. 


Impact 4 : X-Factor 51 

X-Factor à la recherche du vrai Fauve et les membres d'Excalibur complètement à l'ouest, qui ne font que constater les dégâts.
Un tie-in franchement dispensable.


Phase 10 : X-Men Saga 5 

Pacheco aux commandes d'un numéro des FF où Namor et Fatalis entrent à leur tour en scène pour épauler les parents de Franklin. Ce n’est qu’un prologue à la suite, un épisode des X-Men d’une rare intensité dans lequel Madureira fait des merveilles pour rassembler tout ce beau monde face à Onslaught, tandis que Xavier et Franklin luttent de leur côté pour s’en sortir, sous le regard d’Apocalypse et de l’incontournable Gardien.


Phase 11 : Marvel Mega HS 3

L’ultime assaut. La phase 10 avait montré qu’une brèche était possible dans la défense d’Onslaught et nos héros vont tout faire pour retenter le coup, sous l’impulsion d’une Jane qui refuse de voir son enfant prisonnier du tyran omnipotent, suivie de Cable allié (?) à Apocalypse. Puis les autres, séparément d’abord, et tous ensemble ensuite, se lancent dans un combat perdu d’avance, où les petites victoires ne peuvent empêcher une défaite globale inéluctable.
On peut établir de nombreux parallèles avec la saga Infinity Gauntlet, lorsque les héros s’assemblent pour affronter un Thanos tout-puissant, où encore Crisis on Infinite Earths, avec une panoplie de héros luttant contre l’omnipotent Anti-Monitor. Certains duels sont très réussis (Hulk est impressionnant) mais la fin s’avère décevante et, qui plus est, pas très intelligible.
On sent ici la préparation de ce qui allait devenir Heroes Reborn, des signes avant-coureurs mal pensés, mal gérés, mal insérés.




Si l'on est très motivé, l'on peut également ajouter à cette saga :

Onslaught Epilogue : X-Men Saga 7

Le professeur Xavier s'étant rendu aux autorités, le voilà incarcéré par Bastion. Les tortures mentales succèdent aux manipulations pour un épisode intéressant marquant un tournant dans l'approche du monde mutant, par Hama et Green.


Magnéto : Marvel Mega 5 

Peter Milligan et Kelley Jones se penchent sur l'avenir de Joseph, qui pourrait s'avérer être un Magnéto amnésique et rajeuni, et qui se retrouve avec un très lourd héritage.
Pas capital ni très passionnant, mais prometteur.


Onslaught Reborn

Une mini-série signée Jeph Loeb et Bob Liefeld. D'un point de vue graphique, cette histoire est tout à fait honorable, mieux, son côté 90's peut être rafraîchissant. En ce qui concerne l'intérêt global ou la narration, c'est vraiment très mauvais : histoire inexistante, combats ennuyeux, dialogues écrits par un stagiaire, bref... un rejeton pas très glorieux mais qui a finalement les défauts de la "saga mère".





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Des intentions prometteuses, dont celle de rassembler tous les héros contre un adversaire tout-puissant.
  • Un défilé de très grands noms de l'industrie des comics, auteurs et dessinateurs.
  • Des duels impressionnants par leur intensité et leur côté dévastateur (on est parfois plus proche d'un World War Hulk que d'un Civil War).
  • Un catalogue d'adversaires redoutables pour les Avengers, les X-Men ou les FF, qui ne sont pourtant que des amuse-gueules avant d'affronter celui qui est derrière tout ça.
  • La recherche d'une certaine cohésion dans la dynamique commune entre tous les héros.
  • Des cliffhangers souvent bien trouvés, qui permettent d'entretenir un réel suspense dans le développement des intrigues.

  • Le défaut habituel des méga-crossovers : "tout ça pour ça".
  • Des épisodes inégaux, qui nuisent à la cohérence de l'ensemble.
  • Un manque d'homogénéité artistique : aussi talentueux qu'ils soient, ces artistes ont des styles trop divergents pour donner une réelle continuité à ce crossover.
  • Une gestion des personnages parfois discutable, similaire à ce qu'on a pu relever dans des affrontements massifs comme dans la saga Infinity War (au ciné comme sur papier).