Retour sur un roman relativement peu connu de Stephen King : Roadmaster.
Sous son titre original, From a Buick 8, ce roman sorti en 2002 aux États-Unis est resté plusieurs semaines (comme souvent avec les œuvres du plus célèbre habitant du Maine) dans la liste des best-sellers. Il ne figure cependant pas parmi les récits les plus connus de King. Il faut dire que, même si plusieurs projets ont été initiés avant d'être annulés, aucune adaptation filmée de cette histoire n'a encore vu le jour (un nouveau projet de long métrage serait en cours pour une sortie cette année).
Les scénaristes et le futur réalisateur risquent cependant de faire face à un défi de taille, tant cette intrigue s'avère atypique.
Voyons en gros le pitch.
Ned Wilcox est un jeune garçon dont le père, policier, a perdu la vie dans un accident de la route. Ned traîne du coup dans les locaux de la compagnie D, une unité de flics du fin fond de la Pennsylvanie. Il réussit même à s'y faire embaucher l'été pour réaliser de menus travaux. Sander "Sandy" Freemont Dearborn, le chef de la compagnie, va alors se prendre d'amitié pour le jeune homme. Ce dernier s'intéressant à une Buick en train de dépérir dans le hangar de la compagnie, Dearborn va lui raconter ce qu'il sait à propos de cet étrange véhicule, retrouvé en 1979 dans une station-service.
En fait, bien qu'elle soit arrivée à la station en roulant, il ne s'agit pas d'une véritable voiture mais d'une sorte de maquette grandeur nature : le volant ne bouge pas, le tableau de bord est factice, etc. Surtout, des phénomènes étranges ont lieu depuis sa découverte. La Buick génère des éclairs lumineux, la température chute parfois brusquement lorsqu'on se trouve à proximité de la caisse, et de son coffre s'échappent de temps à autre d'étranges et dangereuses bestioles...
On ne le répétera jamais assez, King n'est pas le "maître de l'horreur" décrit parfois par certains journalistes (qui en général ne le lisent pas). Bien des auteurs sont plus horrifiques que lui (nous allons bientôt voir ça, par exemple, dans un autre retroreading que l'on vous prépare et qui sera consacré cette fois à un roman de James Herbert). Ce qui caractérise King, c'est l'émotion intense qui se dégage de ses récits. Émotion obtenue grâce à la construction minutieuse des personnages, à la psychologie fouillée et aux réactions très humaines et vraisemblables.
C'est également le cas ici, avec cette histoire très mélancolique et étrange. Dans Roadmaster, le surnaturel surgit par à-coups, pour simplement intriguer ou cisailler des destins. Et bien que le suspense soit là, il ne faut pas s'attendre à de l'action classique : la plupart du temps, il ne se passe... rien (d'où la difficulté d'adapter ça à l'écran). Mais attention, pas d'action, ça ne veut pas dire "pas de contenu".
Non seulement la galerie de personnages (assez réduite) est parfaitement bien installée par l'auteur, mais la construction du récit, par petites touches surnaturelles, est un modèle du genre. C'est donc bien l'ambiance particulière qui va être mise en avant. Les anecdotes défilent, décrivant tantôt un phénomène inexpliqué, d'autres fois des créatures bizarres, venues d'un autre monde. King joue ici avec nos nerfs, dépeignant une menace diffuse mais néanmoins angoissante.
Certains ont parfois durement jugé ce livre, arguant qu'il était ennuyeux ou trop long. Et pourtant, l'on est ici au cœur de l'univers de "maître" King. Et ce n'est pas parce qu'il n'y a pas un gros chien enragé pour défoncer votre caisse ou des vampires pour vous poursuivre que c'est ennuyeux pour autant. Simplement, l'essentiel ici est plus dans les esprits et les dialogues que dans les fusillades ou les courses-poursuites. Les créatures insensées qui surgissent parfois dans notre monde ou encore cette faille vers un univers lointain et très différent du nôtre (que l'on va entrapercevoir) sont des plus fascinantes et permettent de conserver intact l'intérêt du lecteur, pour peu qu'il ne soit pas réfractaire à ce style, basé sur l'atmosphère étrange et les interrogations métaphysiques et laissant de côté (enfin, presque) le gore et l'action trépidante.
Roadmaster se rapproche finalement assez de Brume (du même auteur), en moins spectaculaire, plus "localisé", mais tout aussi bon (voire même complémentaire).
Notons enfin que le roman se rattache très indirectement à l'univers de La Tour Sombre, notamment à cause de ce passage vers une autre dimension (un espace vaadash) et du multivers qu'il suggère.
Vivement conseillé.
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