Interview exclusive de Livia Pastore, dessinatrice de Sirène et Vikings #3


C’est avec joie que nous donnons aujourd’hui la parole à Livia Pastore, jeune dessinatrice qui, pour ses 33 ans, nous gratifie d’une participation remarquée à la saga Sirènes & Vikings chez Les Humanoïdes Associés (cf. cet article). 
En effet, après avoir participé à divers projets comme Extinction Seed, Knightingail ou Keyzer Soze : Scorched Earth, cette diplômée de l’Académie des Beaux-Arts de Naples et de l’École Italienne de Bande Dessinée signe les très beaux dessins du troisième tome de la saga, créée par Gihef, intitulé La sorcière des mers du Sud.


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Bonjour, Livia, et merci de nous accorder ici un peu de ton temps pour répondre à quelques questions. La première est tellement évidente que tu devais sans doute t’y attendre : comment en es-tu venue à prendre part à cette saga Sirènes & Vikings ?

 Salut et merci à vous. C’était vraiment une coïncidence. J'étais dans le train, je parcourais mon mur Facebook, quand j'ai lu l'annonce d'un scénariste français, Stéphane Louis, qui cherchait des designers pour son projet. L'annonce commençait à dater, mais j'ai quand même essayé en lui envoyant mon portfolio. Il m'a répondu qu'il avait déjà trouvé l'artiste qu'il cherchait, mais qu'il était impressionné par mes œuvres. Il voulait me proposer un autre de ses projets et il m'a donc demandé ce que je préférais dessiner. J'ai répondu "des sirènes". En effet, je voyageais beaucoup à cette époque et j’avais visité de nombreuses villes côtières. De plus, ma ville, Naples, a selon le mythe été fondée par la sirène Partenope et, au fil des années, j'ai réalisé de nombreuses illustrations à son sujet. Stéphane n'avait rien sur le sujet, mais il m'a écrit que certains de ses amis étaient en train d'écrire une série mettant en vedette des sirènes. C'était Gihef et Nicolas Mitric. Stéphane nous a présentés sur Messenger et ils m'ont proposé de faire deux pages de test. Je les ai réalisées sans même savoir à quel éditeur elles étaient destinées. Quand j'ai appris que les planches avaient été approuvées et que le projet serait publié par nul autre que Les Humanoïdes Associés, j'ai été choquée.

— Depuis le premier tome, certains protagonistes de ton histoire, comme Aegir, avaient déjà un design connu des lecteurs grâce aux illustrations de la troisième de couverture, même si les deux premiers albums ne les faisaient pas intervenir.  As-tu eu quelques libertés dans le traitement esthétique de ces personnages ou t’a-t-on imposé un cahier des charges rigoureux ?

— Honnêtement, le design des personnages comme Aegir et Ran, très bien fait par Marco Dominici, convient tellement à leurs rôles dans l'histoire que je n'ai vraiment jamais pensé à changer leurs traits. Je les ai juste déclinés dans mon style pour qu'ils me soient plus familiers et plus faciles à dessiner. Les petits changements que j'ai apportés aux personnages ce faisant n'ont jamais été critiqués par l'éditeur et le scénariste ; je suppose donc qu'ils leur conviennent.

— Avec ce troisième tome, Sirènes & Vikings se concentre sur le peuple aquatique, te donnant l’occasion de montrer une fois de plus ton talent pour dessiner des créatures féminines. À ta connaissance, est-ce dû au hasard ou a-t-on réservé ce tome très féminin à une artiste dont on connaissait la prédilection pour ce genre de sujets ?

— C'était aussi une coïncidence. Au départ, j'aurais dû travailler sur le quatrième volume, celui écrit par Nicolas Mitric. À l'époque, cependant, le scénario n'était pas encore terminé. Je n'ai reçu que la première page du script et, quand je l'ai terminé, ils m'ont déplacé vers le script de Gihef, déjà terminé, afin de pouvoir travailler immédiatement.

— On peut remarquer, en regardant ton trait, certaines similitudes avec d’autres acteurs de la bande dessinée et des comics. As-tu des maîtres ou des sources d’inspiration dont tu aimerais nous parler (en bande dessinée ou dans n’importe quel art) ?

Alessandro Barbucci, dessinateur d’œuvres phares
telles que Sky-Doll et Monster Allergy, est une source
d'inspiration pour Livia.
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Merci et oui, j'essaie d'apprendre de nombreux auteurs de bandes dessinées et de comics dont j'admire le talent. Alessandro Barbucci est l'un de mes créateurs préférés depuis l'enfance et c'est probablement grâce à ses personnages féminins que j'ai appris l'expressivité dont vous parliez. Je suis de près les œuvres de Stuart Immonen, Sara Pichelli et Pepe Larraz, le premier pour la narration et le dynamisme exceptionnels, les autres pour leur style réaliste. Grun, Philippe Scoffoni et Dylan Teague ont également des styles de dessin propres, concrets et détaillés. Bref, il y a beaucoup d'auteurs qui m'inspirent, mais j'espère ne jamais copier leur style à la lettre.

— De plus en plus d’artistes cèdent aux atours de la pratique sur tablette graphique. D’autres ne jurent encore et toujours que par le crayon et le papier. Peux-tu nous expliquer quels sont tes goûts et tes habitudes, pour ta part ?

— J'étais de ceux qui pensaient que la sensation du papier et du crayon ne pouvait être remplacée par la technologie. J'ai dû changer d'avis. La commodité de la tablette graphique est indéniable. Je crée les mises en page et les planches numériquement, mais pas les vignettes. Je réalise les miniatures des mises en page à la main, avec du papier et un crayon. J'ai ainsi l'impression de conserver le dynamisme du trait de crayon, et de le transmettre sur les pages numériques.

— Les italiens de GG Studio, les américains de Big Dog Ink et maintenant Les Humanoïdes Associés… tu as connu bien des employeurs de cultures différentes pour une si jeune artiste. As-tu remarqué des différences notables dans le fonctionnement ou les attentes de ceux-ci ?

— Oui, absolument, mais je ne sais pas si mes impressions sont dues à des nationalités différentes et à des éditeurs différents ou plutôt à mon évolution personnelle et stylistique. Quand je travaillais pour des éditeurs italiens, j'étais débutante, les corrections étaient toujours nombreuses et assez intrusives. Les attentes étaient élevées et j'ai été appelée à contribuer sur tous les aspects de la publication. Aujourd'hui, je pense qu'il valait mieux avoir des éditeurs aussi exigeants dès le début, qui m'ont appris à ne pas me contenter d'un plan évident et à penser aussi au travail d'équipe. Mais à l'époque, c'étaient des aspects du travail qui me stressaient beaucoup.
J'étais un peu plus mature lorsque j'ai commencé à travailler avec des éditeurs américains. Ils m'ont donné une grande liberté stylistique et expressive. Ils ont rarement suggéré des changements. Cela a été très relaxant pour moi et m'a incité à expérimenter autant que possible, mais cela m'a aussi permis de faire des erreurs flagrantes. Quoi qu'il en soit, cela m'a aidé à comprendre mes limites et à m'améliorer.
Avec Les Humanoïdes Associés, le premier éditeur français avec lequel j'ai travaillé, j'ai trouvé l'équilibre. Ils ont été d'excellents collaborateurs dès le début, ainsi que pendant le verrouillage du covid-19. Très sérieux et professionnels. Le fait que j'étais la seule étrangère du groupe ne m'a jamais pesé car ils m'impliquaient dans chaque décision, à chaque étape du processus. Pour moi, ce fut un honneur et un plaisir de travailler avec des professionnels de ce niveau.

— Les Humanos, c’est de la bonne vieille BD avec couverture cartonnée, papier glacé et couleurs magnifiques. Qu’est-ce que ça fait de tenir en mains un de ces beaux objets et de lire son nom sur la couverture ?

— C'est vraiment pas mal. C'est une grande émotion de tenir entre ses mains un si beau livre dont vous êtes co-auteur. Ma première réaction a été, comme toujours, de le parcourir pour voir s'il y avait des erreurs de ma part, afin d'éviter de les reproduire dans l'œuvre suivante. Mais l'impression était si belle et les couleurs si justes que j'ai fini par me laisser distraire et admirer chaque détail du livre.

— Et du coup, que penses-tu des bandes dessinées au format numérique ?

— Je n'ai toujours pas pu me rapprocher des livres et des bandes dessinées au format numérique. Ça vient de moi : je trouve peu pratique d'agrandir les pages sur la tablette. Je m'attarde longuement sur des dessins ou des écrits que je trouve intéressants, alors quand tout à coup l'écran s'éteint pour passer en stand-by... Aaargh! Quelle nuisance ! 
S’ils devenaient plus confortables, probablement m'adapterais-je comme pour la tablette numérique. Mais, pour le moment, je préfère la sensation du papier.

— Aurais-tu un conseil à donner à ceux parmi nos jeunes lecteurs qui rêveraient de devenir dessinateurs ? Y a-t-il selon toi un parcours à privilégier, des qualités à avoir à tout prix... ? 

— Je ne pense pas pouvoir donner de conseils, j'essaie toujours de me demander comment rester à flot.
Je crois que, comme pour toutes les choses, il est nécessaire de ne jamais être satisfait de ce que vous êtes capable de faire maintenant, de viser de plus en plus haut. Améliorez-vous toujours, en règle générale. Et, par conséquent, acceptez toujours tous les conseils constructifs mais ne reculez pas avant que l'expérience directe ne vous montre que ce n'est pas votre chemin.

— La situation sanitaire actuelle aurait apparemment, selon le Président du Syndicat National de l’Édition, été à l’origine d’une étonnante hausse de 6 % des ventes de bandes dessinées, là où les ventes de la littérature, elles, sont un peu à la baisse. Il semblerait que la BD ait un statut particulier dans le cœur des lecteurs, un côté rassurant. 
Alors, en cette période où l’on achète apparemment plus de bandes dessinées, quels seraient selon toi les incontournables du genre que l’on se doit d’avoir lus ?

— Je recommanderais certainement des classiques comme Incal d'Alejandro Jodorowsky, qui est définitivement le must-have de la science-fiction, et, parlant également d'autres genres, d'autres incontournables comme Jazz Maynard de Roger Ibáñez et Raule, Punk Rock Jesus de Sean Murphy et, bien sûr, Sky Doll de Barbucci et Canepa. J'en aurais beaucoup à recommander, des classiques comme V pour Vendetta au tout nouveau Lùmina de Tenderini et Cavallini, mais il serait trop long de tous les énumérer.

— Toi qui aimes les personnages féminins, quel est, selon toi, le personnage féminin le plus intéressant de la pop culture ?

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Quelle question difficile ! Si vous m’autorisiez à mentionner une personne réelle, je répondrais Greta Thunberg, la militante écologiste. Si jeune, mais elle comprend déjà le sens de la priorité, de l'éphémère. J'aime son courage et le franc-parler dont elle fait preuve en affrontant les personnalités qui s'opposent à elle.
Mais le personnage fictif que j'aime vraiment, bien que peut-être pas très "pop", est Elizabeth Bennet, de Pride and Prejudice. Une femme intelligente qui n'accepte pas les compromis dans sa vie et ses désirs, mais qui est également capable de reconnaître ses erreurs et d'en tirer des leçons. Paradoxalement, sa capacité à changer de point de vue, à comprendre qu'elle s'est trompée sur certaines choses, l'amène à réaliser ses souhaits.

— Pour ceux qui seraient tombés amoureux de ta technique, peut-on savoir si tu as déjà un nouveau projet en cours chez Les Humanos ou ailleurs ?

— Je ne peux pas encore révéler de détails mais oui, je suis ravie de pouvoir dire que je vais continuer ma collaboration avec Les Humanoïdes Associés sur un nouveau projet. Pour l'instant je ne peux que mentionner qu'il est basé sur des thèmes totalement différents de ceux explorés jusqu'ici dans Sirènes & Vikings. J'espère que vous l'aimerez !

— Rêvons un peu : parmi les très nombreuses licences déjà existantes dans le monde des comics et de la bande dessinée, à laquelle rêverais-tu de pouvoir un jour prêter ta plume, et pourquoi ? 

— J'ai toujours rêvé de travailler sur Ultimate Spider-Man de Brian Michael Bendis, qui m'a fait découvrir des designers exceptionnels comme Mark Bagley, Stuart Immonen et Sara Pichelli, qui ont été des points de référence importants pour moi. Ces dernières années, cependant, j'ai pensé que ce serait vraiment bien de faire un roman graphique en prenant soin de tous les aspects en personne, des textes aux dessins en passant par les couleurs, et de raconter une histoire de mon point de vue. Eh bien, ce sera pour quand je serai un peu plus expérimentée !

— Merci, Livia, pour ta disponibilité. La tradition veut que l’on termine tous nos entretiens par une question rituelle… alors, la voici : Si tu pouvais avoir un super-pouvoir, lequel serait-ce et pourquoi ? 

— Je sais ! J'aimerais avoir le pouvoir de contrôler le temps, de manière à en avoir plus et pouvoir me consacrer à chaque projet... et aussi pouvoir faire beaucoup d'autres choses ! 24 heures, c'est trop court !