Les Marqués #1


Prenez les X-Men, remplacez le Professeur Xavier par une fille gavée de pouvoirs du nom de Mavin,
saupoudrez tout ça de grosse culture rock et punk façon déglingue
et couvrez-moi le tout de tatouages hyper stylés farcis à la magie brute...


Mega warning avant toute autre chose : pour jolie que soit la couverture de cet album publié chez Glénat, elle me semble peu convenir en raison de sa mise en couleurs. Ici, on a l'impression de voir la couverture d'une des nouvelles graphiques qui paraissent dans les excellents recueils DoggyBags (dont on a déjà parlé). Mais que nenni ! Dès la première page, vous voyez bien que vous avez affaire à un comic aux traits chiadés et aux couleurs clinquantes. C'est dessiné de façon extrêmement propre, ça joue avec les ombres et les lumières... on n'est pas dans cette esthétique un peu trash que la couverture pourrait nous laisser imaginer.
Voilà. Maintenant qu'on s'est débarrassé de ce point qui m'a perturbé (ouais, je sais, il ne me faut pas grand-chose), passons au reste qui, par contre, m'a bien botté et a rappelé au vieux geek que je suis des tas de références diverses et variées.

Marqués, ça parle des Marqués ; ouais, déjà, on peut louer la pertinence du titre. Et les Marqués, c'est une sorte de caste de magiciens-arcanistes-sorciers-super-héros-tatoo addicts avec lesquels on va faire connaissance par le biais de leur toute nouvelle élève.
Je sais, le procédé scénaristique "Toi aussi, découvre cet univers fantastique à travers les yeux du personnage candide", on nous l'a fait mille fois ; même Harry Potter nous a fait le coup ! Mais ici, la recette fonctionne plutôt pas mal en raison de l'originalité du système de recrutement... aucune chouette n'ayant ici été domestiquée à des fins purement postales.
Dans un coffee house, Saskia (une jeune dessinatrice que l'on découvrira particulièrement à l'aise dans toutes les situations) va tomber sur une offre d'emploi lui demandant de dessiner ce qu'elle voit d'autre que l'image en regardant un dessin sur un prospectus. Pour elle, c'est évident : ce profil de femme cache en réalité l'image d'un phénix. Pour nous, c'est évident : elle voit des trucs que l'on ne voit pas... ou elle est totalement raide défoncée, ce qui est possible aussi !


Elle va donc se faire remarquer par "l'école de design" (tu parles !) ayant publié le tract et sera conviée à y rencontrer sa dirlo : Mavin. Bon, le bahut est une grosse bâtisse flippante du centre-ville et elle y est accueillie par le fils caché du portier de la Famille Addams (mais oui, Lurch, vous savez bien...) mais notre petite Saskia, elle, semble bien le prendre... elle a des nerfs, c'est bien ! 
Elle y rencontrera ensuite les élèves, la directrice et... Dahlia qui accompagne sa grand-mère, une vieille avec une coiffe à cornes façon "Amérindien fan de Age of Conan" du nom de Kismet qui s'met (oui, je m'amuse comme je peux) à faire des dessins dans les airs à l'aide d'une magie lumineuse flamboyante. La seule réaction de notre petite Saskia étant, texto : "Whaou. Euh... C'est pas vraiment une école d'art, hein ?", cela nous permet d'emblée de constater que la gamine est perspicace et vraiment, vraiment mais vraiment pas facilement effrayée !
Je vous la fais courte mais on lui explique qu'à peine une personne sur un million aurait pu voir le phénix dissimulé qu'elle a dessiné, que c'est le propre de quelques élus hommes et femmes (même si les lieux comptent davantage d'élues féminines... mais bon, le cahier des charges, j'imagine...) détenteurs de pouvoirs magiques.
Pour acquérir le pouvoir qui lui revient de droit, la vieille Kismet va devoir user de ses pouvoirs pour épurer avec Saskia le dessin de l'oiseau de feu et le lui tatouer magiquement sur le corps car elle est l'endoscribe de cette petite communauté ("endoscribe", sans rire, j'adore ce mot, je le trouve super bien choisi... j'aime les mots, on a tous nous marottes... oui, j'aime bien "marotte", aussi).


Il se fait que les Marqués sont une bande de joyeux drilles prompts à faire la fête et à utiliser certains des pouvoirs contenus dans leurs tatouages juste pour la déconne mais, aussi (voire surtout), un des seuls remparts historiques de l'Humanité contre les armées-démoniaques-du-Mal-infernal-de-la-méchanceté-véritable-vilaine-pas-belle tellement pas sympatoches que même qu'elles étaient dans le camp d'Hitler, alors t'as qu'à voir !
Je sais, résumé comme ça, ça a l'air de partir dans tous les sens mais je vous rassure : c'est le cas ! Toutefois, ça se calme ensuite et on va pouvoir se concentrer sur le scénario contemporain.

Une des élèves particulièrement douée de l'école,
Liza, joue à un jeu dangereux : elle mêle la magie ancestrale des tatouages de pouvoir avec de la haute technologie, et ce contre l'avis de ses professeurs... Elle va même aller jusqu'à offrir quelques glyphes technologiques à Saskia qui, trop heureuse de faire de nouvelles expériences, de s'être trouvée une amie et d'être toujours aussi inconsciente depuis le début du bouquin, va accepter sans hésiter.
Pas de bol, on ne peut pas dire que ce soit un franc succès... Le pouvoir initial de Saskia n'étant guère compatible avec celui que Liz lui a choisi, son esprit n'a d'autre choix que la rendre aveugle (c'est hyper logique dans le récit mais je ne développerai pas ici).
Pour sanctionner Liz qui s'est ainsi permise de mettre une condisciple en danger, on la renvoie de l'école pour toujours en la privant de ses pouvoirs. Sauf qu'au dernier moment, sa plus proche amie et mentor n'a pas le courage de lui ôter ses tatouages magiques et use juste d'un sort pour les dissimuler.
Malheureusement, ce faisant, cette amie ne peut imaginer qu'elle va créer la némésis de leur établissement. En effet, une organisation gouvernementale secrète détentrice de puissants artefacts arcaniques ne va pas tarder à être très intéressée par le profil atypique de cette Marquée bannie par les siens... 


Comme dit dès le chapeau, on a ici un patchwork un peu improbable de plein de références de la geekosphère mais l'ensemble fonctionne bien.

L'école fait un peu Poudlard ; les tatouages magiques poussent la logique du tatouage Yantra au maximum mais ce n'est pas une première ; certains pouvoirs vous rappelleront Doctor Strange ; l'esthétique des tenues est représentative de tout ce que l'on peut croiser dans les vidéos de gaming, dans les boîtes de nuits actuelles et dans les festoches rock ; l'organisation secrète et sa base m'ont fait penser à Nikita et consorts ; l'allusion à la technologie démoniaque nazie récupérée à notre époque a déjà été vue aussi...
Mais ici, ça s'assemble bien dans un récit qui ne nous laisse aucun répit.
S'il y a juste un reproche à faire à ce comic, ce serait que, pour fluidifier sa narration, on n'hésite pas à gommer chez Saskia, notre petite candide de service, toute forme d'appréhension face au monde de dingues dans lequel elle est immergée en quelques minutes. Ça m'a donné d'elle l'image d'une pauvre fille en mal d'attaches prête à se lier à n'importe quels barrés aux activités totalement irrationnelles pour peu qu'on lui prête de l'attention. Dommage, je ne pense pas que ce soit l'image qu'on voulait lui donner, vu qu'on en fait un personnage plutôt fort et indépendant, en parallèle.


Au scénario, nous avons
David Hines qui n'a rien d'un novice puisqu'il touche aux comics depuis le début des eighties. Il a travaillé chez Marvel (X-Men : The 198, Civil War : X-Men, Inhumans et What if ? ...), chez DC (The Brave and the Bold, Deathstroke...), chez Image (Spawn) et d'autres éditeurs indépendants.
Il signe ici une histoire certes assez conventionnelle mais bien écrite et ne souffrant, malgré le nombre d'écueils potentiels, d'aucune incohérence majeure ni d'aucun temps mort. Mais bon... le gars n'est pas un newbie : il sait ce qu'il fait.

Brian Haberlin est un des co-créateurs du bien connu Witchblade Il a fait des tas d'autres choses mais, devenu éditeur en chef pour Todd McFarlane Productions en 2006, il dessinera et encrera Spawn à maintes reprises.
Ici, il met ses talents au service d'un nouveau projet avec, une fois de plus, un grand talent pour les anatomies féminines réalistes et un goût prononcé pour les effets de lumières en tous genres.
Avec autant de personnages couverts de tatouages, on ne peut pas dire que la tâche a dû lui être rendue facile. Au moins a-t-il sans doute pu bénéficier des indéniables avantages et ressources de l'infographie pour les restituer d'une case à l'autre... Le résultat est très séduisant : les looks des protagonistes, de leurs tenues à leurs silhouettes en passant par leurs tatouages, sont terriblement contemporains.

La collaboration entre ces deux briscards des comics a dû sembler toute naturelle : les deux hommes ont déjà bossé ensemble sur Medieval Spawn / Witchblade et Sonata, tous deux déjà parus en français chez Delcourt.


J'imagine assez aisément que le titre s'adresse à un public auquel je n'appartiens pas. C'est très ado... et les filles en surnombre (et pas traitées façon pin-up comme dans Witchblade du même dessinateur) me laissent imaginer que ça s'adresse à de grands ados ou jeunes adultes de l'actuelle génération. Vous savez, cette génération soucieuse de bien montrer patte blanche aux féministes en ne sexualisant surtout pas les femmes à outrance malgré leur surreprésentation numérique dans leurs lectures...
Ça pourrait potentiellement bien me gaver, ça ! Mais ici, c'est tellement logique avec cette école ressemblant à un convent de sorcières que ça n'a rien eu de rebutant à la lecture qui, je dois bien l'avouer, a été un réel plaisir. Un comic Delcourt auquel je vous invite à laisser sa chance si vous êtes amateur de baston magique et d'ésotérisme !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un récit féministe mais pas trop.
  • Une histoire bien ficelée et fluide.
  • Des personnages aux personnalités tranchées, presque archétypales.
  • Un dessin de qualité et une colorisation moderne tout à fait correcte.
  • Les personnages sont parfois monolithiques.
  • La jeune candide n'est, pour le moment, vraiment qu'un prétexte scénaristique à la découverte de cet univers. 
  • Cette couverture, boudiou ! Elle ne correspond pas du tout à l'esthétique du reste !