Avant-Première : Goldorak



Il est de retour le mois prochain en BD et c'est probablement l'une des sorties les plus attendues de l'année, on décortique tout de suite les nouvelles aventures de... Goldorak !

J'ai 6 ans quand, en 1978, je découvre un nouveau dessin animé à la télévision. L'on y voit un robot géant défaire les assauts de forces extraterrestres déterminées à envahir la Terre. Très vite, comme des milliers d'enfants de l'époque, je me passionne pour l'œuvre de Go Nagai. Goldorak va vite devenir un véritable phénomène, engendrant la sortie de diverses adaptations BD, de 45 tours, de jouets... plus récemment, nous avons eu droit à la réédition du manga original (cf. cet article). Et, plus de 40 ans plus tard, c'est une suite, une création française qui plus est, que nous avons la chance de découvrir !
Il s'agit d'un bel album cartonné, grand format, de 168 pages, édité par Kana (sortie le 15 octobre). 
Le scénario est signé Xavier Dorison et Denis Bajram, les dessins sont l'œuvre de Bajram, Brice Cossu et Alexis Sentenac. Enfin, c'est Yoann Guillo qui se charge de la couleur.

Inutile de vous dire que depuis l'annonce de la sortie de cet album (cf. cette news), j'étais on ne peut plus fébrile et impatient. D'où ma joie lorsque je pus enfin caresser le précieux objet au doux parfum d'encre fraîche. J'en avais rêvé, au sens propre, il y a quelques années, bien avant d'avoir vent de ce projet francophone. Je me trouvais dans un bureau de presse où j'avais découvert un nouveau magazine BD, intitulé Goldoraks. Pourquoi au pluriel ? Aucune idée. Mais je fus bien déçu au réveil de constater que cette sortie était purement onirique. C'est donc avec une certaine incrédulité que j'en vins à tourner les premières pages de cet album bien réel, le cœur battant et un sourire de gamin aux lèvres. Cette introduction est très longue, hein ? Mais bon, c'est Goldorak quand même, les souvenirs d'enfance, c'est trop précieux pour les présenter à la va-vite, comme s'il s'agissait du dernier torche-cul de Christine Angot. 
Allez, le petit tacle à l'autre dinde, c'est fait, l'on peut maintenant rentrer dans le vif du sujet ! (Ceci dit, si vous voulez découvrir les "pré-origines" de Goldorak, n'hésitez pas à consulter la Parenthèse de Virgul #30 !)



Voyons tout d'abord un peu le synopsis. 
Alors que les habitants de la Terre pensaient que la guerre contre les forces de Véga n'était plus qu'un lointain et désagréable souvenir, voilà que les rescapés de Stykadès débarquent, accompagnés d'un Golgoth surpuissant, pour demander qu'on leur remette... le Japon. Rien que ça ! Le coup des demandes de rançon, c'est connu, mais exiger tout un pays, c'est quand même rare. Évidemment, le gouvernement japonais et son armée n'entendent pas se plier à de telles exigences sans réagir. Et certains vétérans sont prêts à reprendre le combat. Malheureusement, Goldorak n'est plus là. Actarus est bien loin. Et si pourtant, encore une fois, c'était de lui que dépendait le destin de la planète bleue ?

Nous sommes donc face à une suite directe de la série, et non un reboot ou une relecture des anciennes aventures. Tout cela est d'ailleurs bien amené même si l'album n'est pas sans quelques défauts. Et c'est d'ailleurs par ça que nous allons commencer, histoire d'être débarrassé. 
Tout d'abord, le texte est parfois quelque peu... maladroit dirons-nous. Ça accroche, ça manque de savoir-faire et de fluidité. Par exemple "il n'y a rien d'assez gros pour faire des chocs pareils" ("pour générer" serait plus correct) ; ou encore "mets-lui des tranquillisants" (on dit plutôt "administrer", pas "mettre") ; "vouloir me retrouver est la dernière chose que tu veux" (outre la répétition, l'emploi de l'indicatif semble ici peu... indiqué). Je passe sur les "que quand" ou des constructions désagréables du même genre qui, si elles ne sont pas fautives, manquent clairement d'habileté. Pourtant ils sont quatre à bosser sur le truc, plus une relectrice, sans compter l'éditeur... or, l'on a la fâcheuse impression que les dialogues ont parfois été quelque peu bâclés. Pas tout le temps, heureusement, mais suffisamment pour que ce soit agaçant et que ça laisse un arrière-goût d'amateurisme coupable. 

Dans les demi-couacs, l'on peut citer le grand moment dramatique, bien trop vite expédié pour être complètement efficace et atteindre son plein potentiel émotionnel. Un peu dommage vu le nombre de planches. Les personnages, quant à eux, même s'ils sont modernisés, demeurent à peine esquissés et très monolithiques dans leur manière de fonctionner. Enfin, la philosophie qui se dégage du récit est d'une naïveté confondante, bien que, sur ce point, il ne s'agisse pas d'un défaut mais de la volonté de respecter l'atmosphère et les valeurs, belles mais simplistes, de la série originelle. 
Voilà, on a fait le tour de ce qui pique. On peut se plonger avec délectation dans les nombreuses qualités de l'œuvre maintenant. 



Intéressons-nous en premier lieu à l'aspect graphique, parfaitement réussi. Les planches sont soignées et servies par une colorisation nuancée et efficace. Les scènes les plus emblématiques et attendues sont présentées sur de magnifiques pleines pages, quant au découpage, il permet de conserver une parfaite clarté de l'action.
Autant dire qu'on s'en prend plein la vue. 
Niveau "fan service", l'on a un beau package, avec la présence de tous les personnages secondaires, une photo "rétro", le 45 tours du générique, bref, des clins d'œil appuyés mais bien employés (on est loin de la pluie de références stupides et incongrues de Nicky Larson). 
Il convient également de noter le respect des personnages et du matériel original. L'on reconnaîtra sans peine la bienveillance de Procyon, le côté plus léger d'un Alcor ou même l'extravagance d'un Rigel (dont le rôle aura cependant une certaine importance). 
Enfin, l'intrigue respecte parfaitement les codes de la série, avec notamment une volonté de s'écarter du manichéisme pur (ce qui était rare à l'époque, moins de nos jours). 

Si c'était une bande dessinée de plus, avec des personnages non-ancrés dans notre passé, l'on aurait là une œuvre a priori banale, honnête mais sans plus. Seulement, voilà, ce n'est pas une bande dessinée comme les autres. Tout comme Le Club de Pagel naguère, ce Goldorak s'adresse tout d'abord aux survivants d'une époque révolue, aux adultes qui, sans pour autant devenir ces "adulescents" immatures dont se repaissent des médias fainéants, ont réussi à conserver au fond d'eux cette capacité d'émerveillement qui donne ce parfum capiteux et envoûtant aux choses à la fois familières et disparues. Si Pagel, dans un exercice risqué, profanait pour transcender, Dorison, Bajram, Cossu et Sentenac ont choisi une autre forme d'hommage, plus en rondeurs mais pour autant pas moins couillue. Car il fallait la réussir cette aventure présentant des héros à la fois vieillissants mais toujours reconnaissables. Il ne faudrait pas minimiser le défi qu'a pu représenter ce travail "à la manière de", basé en plus sur ce qu'il y a de plus sacré pour le lecteur compulsif et le spectateur assidu : ces premiers émois fictionnels qui marquent suffisamment pour générer encore frissons et humidité du regard, même une fois adulte.   
Ce Goldorak n'est pas un chef-d'œuvre, j'ignore même s'il pourra intéresser un lectorat autre que les quarantenaires et plus, mais il fait le taf et génère pincements au cœur et excitation presque à chaque scène, qu'elle rappelle une arme improbable dont le déclenchement était hurlé avec enthousiasme ou au contraire un moment d'intense mélancolie comme savait en réserver la série. 

La magie de la fiction est un peu spéciale. Elle peut briller de mille feux, envoûter des millions de personnes, puis s'éteindre peu à peu, les personnages qu'elle avait engendrés retombant dans les limbes de l'Imaginaire. Mais il suffit d'une étincelle, de quelques sorciers bien intentionnés, armés d'encre et de papier, pour faire renaître le passé de ses cendres et réenchanter des lieux et héros anciens. 
C'est ce que nous offre cet album et ses auteurs. Un beau et émouvant voyage dans nos souvenirs, en compagnie d'un vieil ami. Un tendre retour en arrière, dans cette époque où tout était plus coloré et baigné de l'insouciante gravité de l'enfance. Et rien que pour ça, putain, ça vaut le coup.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Des planches splendides et efficaces.
  • Une intrigue classique mais respectant scrupuleusement l'atmosphère et les bases de la série.
  • Une tonne de bonus intéressants, de la lettre d'intention envoyée à Go Nagai, en passant par les différentes covers, des crayonnés, les storyboards, etc.
  • Des références bien employées.
  • Ben... le retour de Goldorak, quoi ! Mince, c'est pas rien !


  • Un texte largement perfectible.
  • L'on aurait aimé des personnages plus fouillés et une plus grande prise de risque.